Le Franc CFA, instrument de domination de la France en Afrique?

Les pays africains anciennement colonisés par la France considèrent cette monnaie comme un vestige de la colonisation. Ils veulent disposer librement de leurs ressources pour construire leur avenir. Aussi, envisagent-ils de créer une monnaie commune qui sera adossée à l’or.

Gaston Mutamba Lukusa

A la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février 2022, des sanctions ont été prises contre Moscou par des pays du G7, de l’OTAN et de l’Union européenne. Depuis, des voix s’élèvent en faveur d’un monde multipolaire et de la fin de la domination du dollar américain dans les échanges commerciaux. Les pays BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du sud) sont considérés comme ceux qui pourraient mettre fin à cette injustice mondiale et à façonner des relations mutuellement bénéfiques. Certains pays espèrent qu’une nouvelle dynamique va mettre fin au modèle hégémonique actuel qui n’est pas équitable ainsi qu’au diktat du Fonds monétaire international (FMI). Dans ce contexte le 15e Sommet des pays BRICS qui s’est tenu à Johannesburg (Afrique du sud) du 22 au 24 août a pris toute son importance. Il en est de même de l’élargissement des BRICS, à partir du 1er janvier 2024, à six nouveaux pays (l’Argentine, l’Egypte, l’Ethiopie, l’Iran, l’Arabie saoudite et les Emirats Arabes Unis). Ces pays envisagent de créer à la longue une monnaie commune qui sera adossée à l’or. C’est dans un tel environnement que des pays africains anciennement colonisés par la France évoquent leur émancipation économique et financière. Ils veulent disposer librement de leurs ressources pour construire leur avenir, Dans ce contexte, le Franc CFA est considéré comme un vestige de la colonisation.

Qu’est-ce qu’est la zone franc CFA?

La zone franc fut créée à la fin des années 1930 par la France pour regrouper ses colonies et territoires d’outre-mer qui utilisent des monnaies liées au franc français. L’expression « zone franc » apparaît pour la première fois en 1939 lors de l’instauration d’un contrôle des changes. La zone CFA est donc le prolongement des arrangements économiques et financiers dans le cadre desquels la France administrait ses colonnes. Avant la deuxième guerre mondiale, les colonies françaises maintenaient leur propre monnaie à des parités étroitement liées au franc français. Après la guerre, le système a été simplifié par consolidation des monnaies des colonies du Pacifique en une seule monnaie appelée franc CFP soit franc des colonies françaises du Pacifique. Quant aux autres colonies, en Afrique pour la plupart, la monnaie devenait le franc CFA, soit franc des colonies françaises d’Afrique.  Le franc CFA (franc des colonies françaises d’Afrique) et le franc CFP (franc des colonies françaises du Pacifique) furent créés le 26 décembre 1945. La zone monétaire franc CFA comprend 14 pays africains qui vont du centre de l’Afrique à l’Ouest du continent. Le sigle CFA a cependant une signification différente selon que l’on se trouve en Afrique centrale ou en Afrique de l’Ouest. En Afrique centrale, CFA veut dire « coopération financière en Afrique » alors qu’en Afrique de l’Ouest le même sigle signifie « communauté financière africaine ».

Les 6 pays membres de l’Afrique centrale comprennent le Cameroun, le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale, la République centrafricaine et le Tchad. Ils disposent d’une banque centrale dénommée Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC). En Afrique de l’Ouest, les pays membres sont au nombre de 8 à savoir le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo. Ils possèdent aussi d’une banque centrale appelée la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Les Comores utilisent également le franc comorien qui fait partie de la zone franc. Dans tous les cas, les monnaies étaient convertibles en franc français puis en euro à la parité fixée. Actuellement 1 EURO = 655,957 francs CFA.  Chaque banque centrale participante dispose d’un compte d’opérations auprès du Trésor français sur lequel elle place la plupart de ses avoirs extérieurs.  Le compte d’opérations du franc CFA réalisait un prélèvement de 100% des recettes d’exportations en dollars jusqu’en 1974. Cette quotité est fixée aujourd’hui à 50%. Cette pratique est considérée comme une ingérence dans la souveraineté des Etats. La convertibilité des monnaies est garantie par des règles prévoyant, en cas de besoin, des possibilités de découvert sur ces comptes moyennant taux d’intérêt. Ce système a permis d’assurer une totale mobilité du capital dans toute la zone. Il a favorisé l’essor des échanges internationaux en instituant des politiques communes dans les domaines commercial et financier. L’aspect le plus frappant de la structure CFA, fut sa parité avec le franc français. Avec l’avènement de l’euro, la Banque de France garantit toujours la convertibilité du franc CFA à l’euro.

Le désir d’abandonner le franc CFA

Les avantages d’appartenir à la zone monétaire portent évidemment sur la stabilité monétaire appuyée par une certaine convertibilité que cela confère. La France a su utiliser la zone monétaire comme un espace privilégié pour dispenser l’aide économique et accaparer des ressources des pays africains. La perte de la souveraineté par l’appartenance à une telle zone est un autre grand inconvénient. Elle empêche les pays de mener une politique de taux de change que la situation économique intérieure commande. Il est impossible de manier judicieusement le taux de change en tant qu’un élément intégré d’une politique économique cohérente. En  d’autres termes, la parité fixe avec l’euro empêche les pays de la zone franc d’ajuster leur taux de change en fonction de leurs besoins économiques, ce qui peut nuire à leur compétitivité, à leur diversification et à leur croissance. Dans ces pays confrontés à des difficultés économiques, le franc CFA est souvent surévalué avec des conséquences négatives sur les exportations et sur les transferts de capitaux.  L’avantage du franc CFA réside principalement dans sa stabilité à l’égard de l’euro. Sa force provient du fait que cette monnaie dispose d’une convertibilité garantie par la Banque de France. Cette convertibilité a permis d’assurer aux pays de la zone franc une stabilité des prix remarquable, liée à la discipline financière qu’elle impose. Ce qui n’est pas le cas dans beaucoup de pays africains.  Mais en contrepartie de cette convertibilité, les réserves de change sont centralisées, à deux niveaux. Les États des deux zones UEMOA (Union économique et monétaire de l’Afrique de l’Ouest) et CEMAC (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale), rassemblent leurs réserves de change auprès de leur banque centrale, lesquelles sont tenues d’en déposer 50 % auprès du Trésor français, sur un compte d’opérations ouvert au nom de chacune d’elles. Ainsi donc, la moitié des réserves en devises qui aurait pu être utilisée aux besoins de financement du développement des pays africains, alimente le budget de l’Etat français.

Il existe actuellement un projet de création d’une monnaie commune à toute l’Afrique de l’Ouest en replacement du franc CFA dans les 8 Etats membres de l’UEMOA. Ce projet qui est plus large concerne en fait tous les 15 pays de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO): Bénin, Burkina Faso, Cap-Vert, Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Libéria, Mali, Niger, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone et Togo. Cette monnaie qui pourrait s’appeler l’Eco, a l’ambition de s’intégrer plus au marché régional et d’être plus représentative de la diversité des économies de la zone. L’objectif est d’adapter leur politique monétaire à leurs besoins spécifiques, sans être contraints par la parité fixe avec l’euro qui peut être défavorable à leur compétitivité et à leur croissance. Cependant, le projet n’a pas encore abouti à ce jour. Il soulève encore des défis et des incertitudes comme la stabilité de la nouvelle monnaie, les critères de convergence, les relations avec la France. ainsi, le lancement de l’Eco qui était prévu au 3ème trimestre 2020, a été reporté sine die.

Gaston Mutamba Lukusa

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