L’eau devient un enjeu stratégique majeur

Selon l’UNICEF, le Congo-Kinshasa possède plus de 50% des réserves d’eau du continent africain mais malgré ce potentiel fabuleux, 33 millions de personne en milieu rural n’ont pas accès à de l’eau de qualité. Malgré des efforts continus, seulement 52% de la population a accès à un point d’eau amélioré et 29% à des installations sanitaires améliorées. Bâtie au bord du fleuve Congo, Kinshasa est confrontée à une pénurie d’eau potable. Dans beaucoup de quartiers, surtout ceux de l’Ouest et du Sud, les citadins font plusieurs jours sans voir une seule goutte d’eau tomber de leurs robinets. La pénurie d’eau est due à l’accroissement exponentiel de la population et au déclin des investissements dans les infrastructures de l’eau. Face à la pénurie mondiale de l’eau, le fleuve Congo est l’objet de nombreuses convoitises.

Gaston Mutamba Lukusa

Avec l’accroissement de la population, l’expansion de l’agriculture, l’accroissement des industries et les perturbations climatiques, l’eau devient une denrée rare dans le monde. Suite à sa rareté, l’eau est devenue une ressource vitale à protéger. Elle est essentielle à la sécurité alimentaire, à la biodiversité, à la santé et à la paix entre les nations.

Selon les dernières estimations des Nations unies, en 2020, il y a eu deux milliards de personnes qui n’avaient pas d’accès à l’eau potable à leur domicile. Bien pire, 771 millions de personnes devaient se déplacer à au moins trente minutes de leur domicile pour accéder à une eau sûre. Enfin, plus de 100 millions de personnes dans le monde boivent une l’eau non traitée et de mauvaise qualité.

Le Sénégal a organisé du 21 au 26 mars 2022, le 9ème Forum mondial de l’eau, sur le thème de « La sécurité de l’eau pour la paix et le développement ». Le Forum mondial de l’eau est le plus grand événement planétaire sur l’eau. Il est organisé tous les trois ans depuis 1997 par le Conseil mondial de l’eau, en partenariat avec un pays hôte. Il réunit des participants de tous les niveaux et de tous les domaines, notamment de la politique, des institutions multilatérales, des universités, de la société civile et du secteur privé. Le Forum mondial de l’eau offre une plateforme unique où la communauté internationale de l’eau et les principaux décideurs peuvent collaborer et progresser à long terme sur les défis mondiaux liés à l’eau. Au fil des ans, le nombre de personnes participant au Forum est passé de quelques centaines à des dizaines de milliers.

A l’issue des travaux, le Forum a lancé un appel à la communauté internationale afin de garantir le droit à l’eau et à l’assainissement pour tous. Dans un document intitulé « Déclaration de Dakar », les participants ont réclamé l’accélération de l’application du droit à l’eau potable. Les participants ont aussi lancé un appel à la communauté internationale à garantir le droit à l’eau et à l’assainissement pour tous. Ils ont préconisé « une mobilisation des ressources financières en faveur de l’accès des populations et une gouvernance de l’eau qui inclue les secteurs agricole, industriel, de la santé, de la biodiversité, ou encore de l’énergie. Enfin, l’eau doit faire l’objet d’une coopération renforcée entre différentes entités, régionales ou internationales ». Ce ne sont encore que des vœux pieux.

Malgré un riche bassin hydrographique l’eau potable est rare au Congo-Kinshasa

Selon l’UNICEF (Fonds des Nations unies pour l’enfance), le Congo-Kinshasa possède plus de 50% des réserves d’eau du continent africain mais malgré ce potentiel fabuleux, 33 millions de personne en milieu rural n’ont pas accès à de l’eau de qualité. Malgré des efforts continus, seulement 52% de la population a accès à un point d’eau amélioré et 29% à des installations sanitaires améliorées.

Heureusement que par suite d’une abondance et d’une régularité des pluies, la RD Congo possède un très riche bassin hydrographique. Le bassin du fleuve Congo est le deuxième du monde (après celui de l’Amazone) par son étendue. Les eaux atteignent à son embouchure, après un maximum de crue, 70.000 à 80.000 m³ par seconde. Paradoxalement, Kinshasa qui est bâtie au bord du fleuve Congo est confrontée à une pénurie d’eau potable. Dans beaucoup de quartiers, surtout ceux de l’Ouest et du Sud, les citadins font plusieurs jours sans voir une seule goutte d’eau tomber de leurs robinets. Il faut parfois attendre jusque 3 heures du matin pour apercevoir un mince filet d’eau! La joie n’est que de courte durée puisque la fourniture d’eau cesse avec la levée du jour.

Même si l’eau ne coule pas aux robinets, les factures, quant à elles, continuent à pleuvoir avec une régularité de métronome. La pénurie d’eau est due à l’accroissement exponentiel de la population et au déclin des investissements dans les infrastructures de l’eau. A titre d’exemple, les besoins de la ville de Kinshasa en eau potable sont estimés à 1.000.000 m³ par jour alors que les capacités installées sont seulement de 550.000 m³ par jour, d’où un déficit de 450.000 m³ par jour.

Cette année, l’usine de traitement d’eau potable de Lemba Imbu d’une capacité de 35.000 m³ par jour sera opérationnelle. Il en est de même de l’usine de traitement d’eau de Binza Ozone d’une capacité journalière de 110.000 m³, ce qui va diminuer quelque peu le déficit en eau potable.

La REGIDESO (Société nationale de traitement et de distribution d’eau) qui détient le monopole de fourniture de l’eau potable dans les zones urbaines nage en pleines difficultés financières. Cela est la conséquence non seulement d’une mauvaise gestion financière mais aussi du non-paiement des factures par les instances officielles (écoles publiques, camps militaires, administration publique, hôpitaux) qui représenteraient 30 à 40% des ventes en valeur. Le manque de ressources financières se traduit évidemment par la dégradation de l’outil de production par suite du manque d’investissements. Les difficultés financières sont telles que la société est incapable non seulement de procéder aux investissements nécessaires mais aussi de renouveler les stocks de consommables (chlore, sulfate d’alumine, chaux, gasoil) sur fonds propres. Elle recourt régulièrement aux coopérations étrangères et à la Banque mondiale pour suppléer à ses besoins. La plupart des usines de traitement d’eau sont ainsi vieilles et dégradées, avec des puits de recueillement d’eau présentant parfois des fentes. La population boit régulièrement une eau non traitée et de mauvaise qualité.

A part cette vétusté des équipements, il y a des coupures fréquentes d’électricité qui mettent à l’arrêt les usines d’eau. Finalement, très peu d’eau arrive aux robinets. Ces fréquentes coupures d’eau entretiennent le mécontentement social. La plupart des installations de production et de distribution d’eau ont besoin d’une réhabilitation urgente. La société est si mal gérée qu’elle ne dispose pas d’un site internet propre.

Face aux déficiences de la REGIDESO, la question se pose s’il ne faut pas la privatiser pour améliorer les services de fourniture d’eau. En 2012, un contrat de service fut conclu avec un opérateur privé spécialisé (SDE/FINAGESTION) dans le secteur de l’eau potable pour renforcer la REGIDESO dans des fonctions clés de gestion. Les résultats ne sont pas à la hauteur. Il faut plutôt une privatisation des infrastructures de l’eau comme dans beaucoup de pays d’Afrique francophone. Depuis le 4 septembre 2014, la REGIDESO est transformée en société commerciale sous la forme de Société Anonyme (REGIDESO S.A.) ayant jusque-là comme unique actionnaire l’Etat congolais. Son champ d’action est le milieu urbain et le milieu semi-urbain. Espérons qu’un jour son capital sera ouvert à des investisseurs privés.

Les projets de détournement des eaux du fleuve Congo

Face à la pénurie mondiale de l’eau, le fleuve Congo est l’objet de nombreuses convoitises. Régulièrement, des projets de captage de l’eau du fleuve Congo sortent des tiroirs. C’est ainsi que l’on a parlé du projet libyen d’amener l’eau de l’ex-Province de l’Equateur vers le Moyen-Orient et un autre vers le lac Tchad. Les Sud-Africains, confrontés régulièrement au problème de sécheresse rêvent de capter l’eau à l’embouchure du fleuve pour l’amener chez eux. Le Projet TRANSAQUA est un projet de transfert d’eau interbassins au départ de certains affluents du fleuve Congo vers le lac Tchad par un canal qui utiliserait la vallée du fleuve Chari, principal tributaire du lac. La surface du lac Tchad est passée de 25.000 km² dans les années 1960 à moins de 2.500 km² aujourd’hui.

Le projet a été développé en 1972 par l’IRI (Institut italien pour la reconstruction industrielle). Il consiste à construire un canal destiné à transporter de l’eau à partir de la rivière Oubangui vers le lac Tchad (2.400 km). Il s’agit de transporter un volume de 100 milliards de mètres cubes d’eau par an afin de rétablir ce lac dans sa surface d’origine, mettre fin à la désertification, irriguer 6 à 7 millions d’hectares de terre et produire 30 à 35 milliards de KWh d’électricité. Le volume d’eau transporté (100 milliards de m³) correspond plus ou moins à 3.150 m³ par seconde. Il s’agit d’énormes quantités d’eau. Le coût estimatif du projet est de 14,5 milliards de dollars. Ce projet intéresse les pays membres de la Commission du lac Tchad (Niger, Nigéria, Cameroun, République centrafricaine, Tchad, Lybie). La RD Congo, la République du Congo, le Soudan et l’Egypte sont des pays observateurs. L’étude de faisabilité a coûté 5.5 millions de dollars entièrement financés par les Etats membres.

L’étude qui a aussi abordé les questions environnementales, a démontré qu’il est techniquement faisable et économiquement profitable de transférer l’eau du Bassin du fleuve Congo via l’Oubangui. Les études de faisabilité préliminaires avaient pourtant indiqué que le projet TRANSAQUA comporte des risques environnementaux importants. Face aux besoins pressants et au lobbying intensif des pays du Bassin du lac Tchad et de la société d’ingénierie italienne, le projet risque un jour d’être mis en exécution.

Les pays d’Afrique australe (Afrique du Sud, Namibie) sont confrontés au problème récurrent de sécheresse. Il existe un projet sud-africain consistant à capter l’eau à l’embouchure du fleuve Congo et à l’acheminer par pipeline ou aqueduc vers l’Afrique du Sud. Il faudra pour cela construire un aqueduc qui peut supporter un débit de 10 m³ par seconde. L’impact environnemental serait moindre comme l’eau serait autrement déversée dans l’océan Atlantique. Mais cela doit être confirmé par des études de faisabilité. La vente de l’eau pourra apporter des revenus substantiels au Trésor.

A noter cependant que la loi relative à l’eau du 31 décembre 2015 instaure le principe de consultation préalable du peuple congolais par voie référendaire pour tout transfert d’eau douce en dehors du territoire national. A noter enfin que pour remplacer le pétrole, on songe à des sources d’énergie alternatives. C’est dans ce cadre que l’eau peut devenir une source importante d’énergie. L’oxygène et l’hydrogène qui sont abondants dans l’eau (H2O) peuvent être combinés de telle sorte qu’ils produisent de l’énergie dont le monde a besoin. Dans ce cas, ce sont les pays riches en eau qui seront les plus puissants et les plus riches.


Gaston Mutamba Lukusa

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