L’éradication du national-tribalisme en Europe

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

« L’Etat de droit est-il compatible avec le national-tribalisme? » Tel fut le titre de mon dernier article publié par Congo Indépendant le 29 juillet dernier. Après m’avoir lu, un ami basé à Kinshasa m’a envoyé un texto sur WhatsApp le 31 juillet, me demandant de faire gaffe. Car, les Luba-Kasaïens qui accaparent aujourd’hui les postes clés dans les corps constitués de l’Etat auraient développé une arme fatale contre leurs contempteurs. Ceux-ci sont automatiquement traités de « haineux ». Une telle arme n’est efficace que pour des êtres humains aux capacités intellectuelles insignifiantes. Pour qui connait tant soit peu le monde, il est évident depuis la nuit des temps que toute domination finit par semer la haine dans les cœurs de ceux qui se sentent dominés. Cela est aussi valable pour la domination luba-kasaïenne qui s’installe à grande vitesse en recourant à deux béquilles, la corruption érigée en mode de gouvernance et les intimidations et autres attaques des « Talibans », les dernières en date étant celles contre l’Eglise catholique et son plus grand prince, le cardinal Fridolin Ambongo Besungu. Par ailleurs, les Luba-Kasaïens réunis au sein du « ligablo » de leur frère Etienne Tshisekedi, aujourd’hui « ligablo » de son fils Fatshi Béton, sont mieux placés que les Congolais des autres groupes ethniques pour comprendre cette réaction légitime. Car nombreuses sont les preuves qu’ils étaient le fer de lance du combat national contre la domination Ngbandi sous la longue administration de Mobutu et le non moins long règne de l’hégémonie luba-katangaise et tutsi incarnée par Joseph Kabila.

Le soir même du 31 juillet, le député national Léon Nembalemba, patron de la chaîne Molière TV et membre du « ligablo » du président du Sénat Modeste Bahati Lukwebo, interviewé par une journaliste de sa propre chaine, un show devenu courant à Kinshasa-les-Immondices, expliquait comment le national-tribalisme luba-kasaïen sème progressivement la haine dans les cœurs des Congolais des autres ethnies. Il expliquait également que ce fléau allait lentement mais surement éloigner les membres de l’Union sacrée de la nation issus d’autres ethnies de ce cartel; une réaction déjà vécue par le « ligablo » d’Etienne Tshisekedi qui avait une dimension nationale à sa création pour être réduit progressivement en un parti ethnique.

Le national-tribalisme comme fléau universel

Après le bref rappel ci-dessus, je vais, dans le cadre de cet article, éclairer davantage le danger que court la nation congolaise aujourd’hui à travers la montée en puissance du national-tribalisme luba-kasaïen. Pour ce faire, je vais jeter mon regard sur ce fléau tel que vécu en Europe, en partant du cas de la Belgique. La difficulté des Africains à comprendre que le national-tribalisme est un mal universel et à s’inspirer de la manière dont les autres l’ont éradiqué réside dans la mystification coloniale. Même réalité, deux lexèmes différents et non synonymes pour la traduire. L’un, émotionnellement chargé de connotation positive systémique. L’autre, de connotation péjorative également doctrinaire. Ainsi en est-il des termes nation/communauté versus ethnie/tribu. Le premier est réservé aux « civilisés » occidentaux. Le second, aux « sauvages » africains et d’autres tiers-mondistes. Autre exemple. On dit « expatrié » pour un Occidental ayant quitté son pays et vivant en Afrique ou dans une autre région du Tiers-Monde. Mais on dira « immigré » pour l’Africain ou tout autre ressortissant d’un bidonville planétaire ayant fait le même mouvement pour se retrouver en Occident. Le drame du colonisé est qu’il finit par se voir comme le voit le colonisateur. D’où la difficulté d’une vision authentique de lui-même, de ses réalités sociales et du reste du monde.

De même que les ethnies ne sont pas l’apanage de l’Afrique, les guerres ethniques et la désintégration des Etats qu’elles peuvent entrainer existent ailleurs au monde et notamment dans la vieille Europe colonisatrice. Comment le fléau appelé national-tribalisme s’est-il exprimé en Belgique? Comment les Belges l’ont-ils géré jusqu’à ce jour afin de jouir de la stabilité et de la prospérité au lieu de s’entre-tuer indéfiniment au nom de l’idée que les uns et les autres se font de leur ethnie? Comment les Congolais et les autres africains peuvent-ils tirer profit du modèle belge, pays où même s’il n’y a pas de gouvernement pendant toute une année, les choses marchent si bien qu’on se demande à quoi sert le gouvernement?

Le national-tribalisme comme élément fondateur de la Belgique

L’actuelle Belgique est née de la scission du Royaume des Pays-Bas, crée en faveur de Guillaume 1er d’Orange par le Congrès de Vienne en 1815, à la suite de la défaite de Napoléon à Waterloo le 18 juin de la même année. Ce royaume était composé de deux entités. Au Nord la Hollande avec 2 millions d’habitants et au Sud la Belgique avec 3,5 millions. Mais ces deux entités n’étaient pas logées à la même enseigne. Dans le nouvel Etat, « la Belgique apportait ses terres fertiles, ses richesses minérales et son industrie; de son côté, la Hollande possédait des ports nombreux, une marine puissante et d’importantes colonies ». En outre, la Hollande était et reste protestante tandis que la Belgique était et demeure catholique.

Le rapport de forces était incontestablement en faveur du Nord. Aussi les Hollandais bénéficiaient-ils d’un « favoritisme indéniable dans l’administration et insupportable pour la plupart des Belges ». C’est cela le national-tribalisme, une invitation à la rébellion que les Belges ne mettront pas longtemps à concrétiser. Le 15 août 1830, des manifestations engendrent des troubles à Bruxelles; ceux-ci débouchent sur une lutte sanglante et la défaite des Hollandais. C’est la révolution belge, mère de l’indépendance de la Belgique, reconnue par la Conférence de Londres en décembre 1830.

Le national-tribalisme en Belgique

L’être humain est ainsi fait. Très souvent, il combat l’injustice non pas pour créer un monde meilleur, mais pour commettre l’injustice à son tour. « Parce que la révolution avait été menée par les Wallons qui alors et jusqu’en 1961 constituaient une majorité politique, la constitution de 1831, modelée sur le libéralisme et le constitutionnalisme monarchique français, reçut un caractère nettement unitaire et majoritaire, ceci en dépit de la population flamande qui ressentait fortement son identité et constituait une communauté culturelle distincte ». Aussi la première constitution du nouvel Etat stipulait-elle en son article premier: « La Belgique est divisée en provinces »… Mais 162 ans après, c’est-à-dire en 1993, cet article a été modifié: « La Belgique est un Etat fédéral composé des régions et des communautés »… Comment se justifie la création de ces deux nouvelles entités administratives dont les compétences se situent entre celles des provinces et celles de l’Etat?

Soulignant le ressort de la crise du Kosovo, l’historien français Jean-Pierre Chrétien écrit avec raison: « Les déchirements dans l’ex-Yougoslavie (Bosnie, Kosovo…) ne sont pas de nature différente de ceux qui ensanglantent depuis 1993 la région des Grands Lacs (Burundi, Rwanda et Kivu). Les nationalités ne sont pas réservées à l’Europe et les ethnies à l’Afrique ». En effet, la situation de la Belgique renvoie à celle de deux pays sur lesquels elle a eu à exercer sa tutelle: le Rwanda et le Burundi. A l’exiguïté territoriale commune s’ajoute le fait que les trois Etats sont peuplés de trois communautés: les Flamands, les Wallons et les Germanophones (entités culturelles) dans le premier; les Hutu, les Tutsi et les Twa (sous-groupes raciaux) dans les deux autres. Dans chaque Etat, la dernière composante citée ne fait presque pas parler d’elle en raison de son faible poids démographique. Deux différences essentielles: dans l’Etat européen, chaque communauté occupe un territoire distinct et l’écart démographique entre les deux grandes n’est pas très sensible. Cependant, dans chacun de deux Etats africains, il n’y a ni Hutuland ni Tutsiland et les Hutu constituent une écrasante majorité de plus ou moins 85%.

A l’indépendance de la Belgique, le rapport de forces penche du côté de la riche Wallonie. Aussi les Wallons vont-ils développer un complexe de supériorité vis-à-vis des Flamands qui seront traités comme des citoyens de seconde zone, au nom du national-tribalisme des Wallons qui deviendront plus tard plus pauvres que les Flamands. « Ata ndele, mokili ekobaluka », avait chanté le musicien congolais Adou Elenga dans son tube prophétique annonçant tôt ou tard l’indépendance du pays.

Les Flamands arrachent l’équilibre ethnique

« Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les divergences de vue entre les deux grandes communautés culturelles belges se sont exprimées, parfois avec force, dans des problèmes tels que la question royale, la question scolaire, la répression de la collaboration et, plus récemment, la politique économique. Le déclin démographique et économique de la Wallonie contraste aussi avec l’essor démographique et industriel de la Flandre, dont le poids politique se fait de plus en plus sentir au Parlement et au Gouvernement ». Dès lors, le nationalisme flamand se sent pousser des ailes, s’affirme avec assurance et sous son impulsion, la loi fixe une frontière linguistique en 1963, freinant l’expansion de l’influence wallonne en Flandre. Sept années plus tard, la constitution est révisée. « L’article 107 quater reconnaît l’existence de trois régions économiques: la Flandre, Bruxelles et la Wallonie ». Et en 1980, les institutions régionales sont mises en place.

De la Belgique unitaire, on est passé à la Belgique régionalisée, l’antichambre du fédéralisme actuel. Car « après les accords de la Saint Michel » (29 septembre 1992), d’Etat unitaire et centralisé, la Belgique est devenue un Etat fédéral, et, peut-être, dans l’avenir, si les thèses des séparatistes finissent par prévaloir, malgré les appels à la modération de la monarchie, une confédération d’Etats indépendants ». En d’autres termes, de l’unité fictive chère aux défenseurs de l’idée de l’Etat-Nation, on est passé à l’unité réelle.

Les partis politiques n’ont pas attendu la régionalisation et la fédéralisation pour s’adapter au tissu social du pays. En 1968, des querelles ethniques ont pour enjeu l’Université Catholique de Louvain d’où les Flamands chassent les Wallons. Comme les Katangais vont chasser les Luba-Kasaïens du Katanga sous l’administration Mobutu, avec cette différence de taille que dans ce dernier cas il s’agissait d’une chasse à caractère génocidaire qui attend jusqu’aujourd’hui le jugement des responsables dont un certain Kyungu wa Kumwanza paisiblement assis au perchoir de l’Assemblée nationale du Haut-Katanga. Les querelles ethniques belges de 1968 à l’origine de la création de la ville de Louvain-la-Neuve et de son Université catholique de Louvain ou UCLouvain annoncent la scission du Parti Social-Chrétien en deux partis distincts: les sociaux-chrétiens francophones (PSC) et flamands (CVP ou Christelijke Volkspartij). En 1971, les libéraux jusque-là regroupés au sein du Parti pour la Liberté et le Progrès se séparent à leur tour en une aile flamande, Vlaamse Liberalen en Demokraten ou Parti Libéral et Démocrate flamand (VLD), et en une aile francophone, successivement appelé Parti de la liberté et du progrès (PLP) puis Parti des réformes et de la liberté de Wallonie (PRLW). En 1978, c’est au tour du Parti Socialiste Belge de s’incliner devant la contrainte sociologique du pays, en dépit de la farouche opposition des unitaristes tel que l’ancien Premier ministre Leburton. Il y a désormais deux partis socialistes sur le territoire belge: le PS en Wallonie et le SP en Flandre. La nouvelle génération des partis, les Verts, qui contrairement aux partis traditionnels ont choisi la défense de l’environnement et la quête d’un nouveau type de société comme cheval de bataille, ne déroge pas à cette règle générale. Les partis Ecolo et Agalev réunissent respectivement les Verts wallons et les Verts flamands.

Si ces scissions s’étaient produites en Afrique, elles n’auraient servi qu’à tourner nos traditions et nos ethnies en dérision. Intellectuels occidentaux et africains s’en seraient servis pour démontrer l’absence de culture démocratique de nos dirigeants et de nos masses. Pourtant, on doit à la vérité de reconnaître qu’en Belgique comme en Afrique, leur reconnaissance ne peut que servir la démocratie. Conduit par cette certitude, Crawford Young, politologue américain et professeur à l’Université du Wisconsin-Madison, s’est exprimé en ces termes au sujet du déferlement des micronationalismes dans le jeune Etat indépendant du Congo en 1960: « Ce n’est pas juste à l’égard des Congolais de faire du mot tribal un synonyme de l’adjectif arriéré: il n’y a rien de plus arriéré dans l’affirmation de la culture kongo [ou bambala] que dans le nationalisme flamand ou québécois ».

Adaptation de la solution belge contre le national-tribalisme

Si la Belgique est un pays stable et prospère dans lequel les habitants, nationaux comme étrangers, vivent en paix et que leurs droits humains sont généralement respectés, ce n’est pas parce que les Belges seraient plus civilisés ou plus intelligents que les Africains ou que leurs dirigeants seraient des démocrates ou des hommes d’Etats respectueux des textes. Non. C’est tout simplement parce que leurs élites ont mis en place un système politique dans lequel il est impossible aux membres d’une même ethnie ou province d’accaparer les postes au sommet de l’Etat à travers le phénomène de national-tribalisme, prenant ainsi l’Etat en otage. En Belgique, on a beau être le père, la mère, le frère ou la sœur du premier ministre ou encore sa petite copine, on ne dispose d’aucune influence capable de propulser quelqu’un à un poste gouvernemental. On a beau être premier ministre, on n’a pas le pouvoir de choisir quel Flamand ou quel Wallon sera au gouvernement central. Les choix sont du ressort des partis politiques vainqueurs des élections libres, démocratiques et transparentes dans chaque région et cela à travers des processus de sélection démocratique propre à chaque parti. Quel contraste avec l’accès moyenâgeux au pouvoir que l’on peut observer dans la quasi-totalité des Etats africains, des décennies après les indépendances!

Certes, le tissu social belge est comparable à celui du Congo-Kinshasa en ce sens qu’il est composé de plusieurs ethnies. Mais alors que la Belgique ne compte que trois ethnies, le Congo-Kinshasa en enregistre quelques centaines. Que faire alors? La chance de la nation congolaise est qu’en plus de l’ethnie, le national-tribalisme a toujours eu pour deuxième pilier la province. Par ailleurs, partout au Congo-Kinshasa, les frontières administratives ont créé des identités. Le sentiment de fraternité étant élastique en Afrique, les populations du Kwilu se sentent frères. Les populations du Kwango se sentent frères. Les populations du Maï-Ndombe se sentent frères. Etc., etc. En refondant l’Etat et en construisant son système politique non pas sur base des « ligablo » mais des identités géographiques, aujourd’hui reconnues comme des provinces, de la même manière que les Belges ont adapté leur appareillage politique à leurs identités ethniques, les Congolais vont enfin barrer définitivement la route au national-tribalisme, s’offrant ainsi l’opportunité d’œuvrer enfin pour le développement de leur pays.

Conclusion

Le national-tribalisme est un mal absolu. Il est contraire à l’unité et à la cohésion sociale. Il se situe aux antipodes des valeurs de justice, de dignité et d’honneur. Il constitue le plus grand frein à l’émergence d’une Afrique moderne et prospère. Il est à l’origine de la violation systématique des droits des peuples africains. Il est à l’origine de la balkanisation de plusieurs Etats au monde. Sans le national-tribalisme des Hollandais au sein du Royaume des Pays-Bas, la Belgique n’allait pas voir le jour en tant qu’Etat aujourd’hui prospère et où il fait bon vivre même pour les étrangers, ceux-ci pouvant intenter des procès contre l’Etat belge et les gagner. Sans le national-tribalisme des Serbes en Yougoslavie, ce pays n’allait pas se désintégrer en plusieurs Etats dont la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, la Macédoine, le Monténégro, la Serbie, le Kosovo et la Slovénie. Si les deux ethnies de la Tchécoslovaquie, les Tchèques et les Slovaques, étaient traitées de la même manière et qu’il n’y avait pas des dissensions et divergences d’intérêts entre elles, il aurait été peu probable que le parlement slovaque adopte, le 17 juillet 1992, la « déclaration d’indépendance de la nation slovaque », donnant ainsi naissance à la partition de la Tchécoslovaquie en deux Etats: la République tchèque et la République slovaque. Même si le satrape de Kigali ne parvient pas à balkaniser le Congo-Kinshasa, l’idiotie des dirigeants congolais qui ne connaissent d’autre manière de gouverner que de truster le pouvoir d’Etat au nom de l’idée qu’ils se font de leurs ethnies respectives finira tôt ou tard à faire imploser ce pays.

Pourtant, en Afrique, le national-tribalisme constitue clairement une vaste escroquerie. Car seule une infime minorité ne représentant même pas 0,01% des membres de l’ethnie dite dominante tire profit de cette position. Quant au reste des membres, ils croupissent dans la même misère que les membres des autres ethnies. Par ailleurs, le national-tribalisme a toujours été condamné par tout le monde y compris ceux qui en jouissent un moment donné une fois qu’ils perdent le pouvoir. Hier, la Kabilie toute puissante se permettait de massacrer les Congolais même dans les Eglises tout en restant arrogante. Aujourd’hui que le chef de bande Joseph Kabila n’est plus au pouvoir, les inconditionnels de ce régime des médiocres et de la honte nationale joignent leur voix à celle des sans voix congolais pour condamner les violences du national-tribalisme luba-kasaïen qui tente de s’imposer par tous les moyens y compris en profanant les mêmes Eglises.

Bref, l’homme congolais doit cesser de se laisser séduire par des slogans du genre « Le peuple d’abord » pendant que les instruments de souveraineté d’un peuple de quelques centaines d’ethnies sont pris d’assaut par des individus issus de l’ethnie du détenteur de l’imperium. L’homme congolais doit se méfier des discours du genre « Je veux construire l’Etat de droit » alors que celui qui prononce ce discours recourt au national-tribalisme, ennemi principal de l’Etat de droit et dénominateur commun des Etats misérables d’Afrique.

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

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