Le Nord-Est martyrisé: « Les ennemis sont parmi nous! »

Qu’avons-nous fait au Bon Dieu? C’est sans doute la question empreinte d’indignation et de révolte qui fuse de la bouche de nombreux Congolais de Kinshasa à la vue de ces photos atroces qui circulent sur les réseaux sociaux. Des photos qui rapportent des crimes barbares qui se commettent impunément, depuis le mois d’octobre 2014 à ce jour, dans le Territoire de Beni au Nord Kivu. La province de l’Ituri n’est pas épargnée.

Rarement le « crime contre l’humanité » n’a eu tout son sens au regard de ces corps humains dont certains sont étêtés et découpés à la machette tels du bovin. Pourquoi? Quelle est la motivation des auteurs de ces massacres? Ces crimes abjects seraient-ils l’œuvre des êtres humains, sain de corps et d’esprit?

Depuis une dizaine d’années, toutes ces tueries sont attribuées, avec un brin de fatalisme, aux « rebelles ougandais » dits « ADF » (Alliance des forces démocratiques alliées). Depuis six ans, ces mystérieux tueurs n’ont jamais été faits prisonniers et déférés devant les juridictions compétentes afin qu’ils rendent compte de leurs méfaits. Ils bénéficient sans doute d’un réseau de complices dans l’appareil sécuritaire. A savoir: l’armée, la police et les services de sécurité civils et militaires.

Lors de sa récente rencontre, dimanche 3 janvier, avec des parlementaires dans le cadre de l’Union sacrée de la nation en gestation, le président Felix Tshisekedi a demandé aux Kivutiens et Ituriens présents « d’aider les pouvoirs publics à les aider » en mettant à profit leurs vacances parlementaires pour glaner des informations susceptibles de remonter aux présumés « commanditaires » de ces homicides.

Il semble que certains de ces « présumés commanditaires » résideraient dans la capitale. Bien que de bonne foi, cette demande du chef de l’Etat dégageait un parfum d’aveu d’impuissance publique. Comme pour dire que « l’Etat a tout essayé ». Sans succès. A quoi servent, dès lors, les services de sécurité civils et militaires? Leur rôle ne consiste-t-il pas à surveiller les « menaces internes »? Un « coup de balai » ne serait-il pas urgent au sein de la force publique (armée, police et services de sécurité) dans les régions troublées?

Aux dernières nouvelles, deux « rebelles ougandais » auraient été arrêtés mardi 5 janvier dans la région de Beni. Seront-ils jugés? C’est à voir. On apprenait auparavant qu’une vingtaine de civils ont été tués près de la localité de Mutwanga. Deux hélicoptères ont « crashé ». Bilan: sept militaires et quatre pilotes tués.

Dans un bel exemple de fourberie, Jaynet « Kabila », présidente de la Commission de « Défense et sécurité » à l’Assemblée nationale, s’est fendue, lundi 4 janvier, d’un communiqué demandant l’organisation d’une « enquête approfondie » afin d’élucider ces deux sinistres. L’idée n’est pertinente qu’en apparence. En réalité, la fratrie « Kabila » n’éprouve aucun déplaisir face à la multiplication des bandes armées qui martyrisent le Nord-Est du Congo-Kinshasa.

S’agissant des groupes armés nationaux, outre les maï maï originels qui combattaient les agresseurs rwandais dans les deux Kivu, le Mzee Kabila et son successeur « Joseph » ont une grosse part de responsabilité dans la création en 1999 d’une milice dénommée « Forces d’autodéfense populaires » (FAP). Le Mzee voulait contrer l’avancée des combattants du RCD-Goma soutenus par des troupes rwandaises. L’opération tourna au fiasco en donnant naissance à un « monstre » dénommé Kyungu Mutanga, alias « Gédéon ». Les Bakata Katanga constituent un des avatars des FAP.

Dans son allocution d’investiture à la tête de l’Etat le 26 janvier 2001, « Joseph Kabila » a  « salué » et « remercié » notamment les Forces d’autodéfense populaires « pour leur contribution remarquable au maintien de l’ordre (…)« . L’homme reconnaissait de ce fait l’existence des milices armés.

Jusqu’à son départ du pouvoir le 24 janvier 2019, le successeur de Mzee n’a jamais pris un décret portant dissolution des dites milices. Bien au contraire, dans une dépêche datée du 11 novembre 2003, l’AFP accuse les autorités de Kinshasa, Kigali et Kampala de livrer des armes à « diverses milices ».

Il faut refuser de regarder pour ne pas constater que l’avènement de l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo) le 17 mai 1997 est et reste le point de départ de la déstabilisation du Nord-Est en entretenant les groupes armés nationaux et étrangers qui sèment la terreur et répandent la mort dans cette partie du pays. C’est encore l’AFDL qui a introduit dans ce pays la « culture de l’empoisonnement ». Sans omettre celle consistant à découper son semblable à la machette. Des pratiques inconnues de la société congolaise.

Dans une interview accordée au quotidien bruxellois « Le Soir » daté du 7 mars 2001, « Joseph Kabila » déclarait notamment: « J’ai aussi vécu dans le maquis qui existait depuis 1990 en Ouganda dans les monts Ruwenzori ». C’est là que se trouverait la « base » des « ADF ». Pure coïncidence?

En mars 2015, un certain Jamil Mukulu, sujet ougandais, est arrêté dans un village tanzanien. Leader présumé des « ADF », l’homme était en possession de six passeports dont celui du Congo-Kinshasa. Qui lui a délivré ce titre de voyage congolais? Aucune autorité congolaise n’a cherché à le savoir. On apprendra que sieur Mukulu est une « vieille connaissance » du général-major « Joseph Kabila ». « Jaynet » pourrait-elle l’ignorer?

Aujourd’hui, l’armée congolaise est remplie, au propre comme au figuré, de colonels et autres généraux que personne n’a connus à l’époque où ceux-ci étaient sous-officiers. D’où sortent-ils? Comment ne pas donner raison à l’ancien ministre Antipas Mbusa Nyamwisi.  « Les ennemis sont parmi nous », confiait-il dans une interview avec « Congo Indépendant ».

 

Baudouin Amba Wetshi

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