Selon des sources kinoises, le procureur général (PG) près la Cour d’appel de Kinshasa/Gombe, Bonheur Luntaka Madi, a ordonné, lundi 21 décembre, la restitution du passeport du directeur général de la filiale congolaise de la banque nigériane Access Bank. Il en de même de la caution de 30.000 $. A en croire ces sources, ce « compromis » serait l’œuvre de Bestine Kazadi, conseillère spéciale du chef de l’Etat chargée de l’Intégration et la coopération régionale. Elle serait intervenue en personne sous la casquette d’avocat-conseil de ladite banque. Si cette information était confirmée, il y a risque de conflit d’intérêts dans le chef de ce membre du cabinet présidentiel. Ghislain Kikangala, Coordonnateur de l’APLC (Agence de prévention et de lutte contre la corruption), a rang de conseiller spécial. Ambiance!
« Constitue un conflit d’intérêts, toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraitre influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction ». Telle est la définition du « conflit d’intérêts » (Lexique des termes juridiques 2014-2015, Dalloz).
Questions: Bestine Kazadi Ditabala, conseillère spéciale à la Présidence de la République, exercerait-elle les fonctions d’avocat-conseil de l’Access Bank, RDC? Avait-elle signalé cette situation lors de son engagement au cabinet présidentiel? S’est-elle rendue personnellement, lundi 21 décembre, à l’office du procureur général près la Cour d’appel de Kinshasa-Gombe afin de récupérer le passeport du DG de ladite banque ainsi que les 30.000 $ qui étaient consignés sur intervention de l’APLC? En restituant ces « objets », le PG Bonheur Luntaka Madi a-t-il conclu à l’inopportunité de poursuites?
LA GUERRE DES « CONSEILLERS SPECIAUX »
Si l’implication de cette conseillère spéciale du chef de l’Etat était confirmée dans cette affaire, il ne serait pas surprenant que l’on assiste dans les jours ou semaines à venir une sorte de « guerre des conseillers spéciaux » à l’image de la « guerre des polices » qui avait défrayé la chronique dans les années 70 en France. C’était lors de la traque du truand Jacques Mesrine, proclamé « ennemi public numéro un ».
Dans le cas sous examen, la « guerre » risque d’être triangulaire. La décision du PG Luntaka Madi est jugée « discutable » par des observateurs. Ces derniers se reportent notamment à l’interview que le Coordonnateur Kikangala avait accordée – quelques heures avant son interpellation – aux journalistes William Kalengayi et Eric Tshikuma. « Le parquet général est en charge de ce dossier. Nous allons encore l’alimenter car ce dossier est énorme », déclarait-il. Que s’est-il passé? Le magistrat Luntaka a-t-il clos hâtivement ce dossier qui porte pourtant sur des soupçons de corruption, de blanchiment et de financement de terrorisme? A-t-il été soudoyé? A-t-il subi des pressions?
L’APLC est chargée quasiment de la même mission que les officiers de la police judiciaire dont le rôle consiste à constater l’infraction, à rassembler les preuves et à identifier le présumé délinquant ou auteur. Tous ces éléments réunis sont à transmettre au ministère public. On le sait, ce dernier est « juge » de l’opportunité des poursuites.
Cette position prépondérante du parquet semble « tempérée » par l’ordonnance n°20/013 du 17 mars 2020 portant création, organisation et fonctionnement de l’APLC. On peut lire au point « 2.2 » de l’article 2 ce qui suit: « Dans l’éventualité où une enquête est déclenchée: réunir et établir des preuves suffisantes de corruption et des actes assimilés avec pouvoir d’entendre toute personne; faire requérir la mise en cause de la personne ou entité concernée et, le cas échéant, son inculpation et des poursuites par les instances judiciaires compétentes; s’assurer que le dossier ainsi constitué et toutes ses pièces soient effectivement transmis et déposés auprès de l’organe judiciaire compétente et des poursuites effectivement engagés (…)« .
C’est ici que les juristes de la Présidence de la République et ceux du parquet général près la Cour d’appel de Kinshasa/Gombe vont s’empoigner sur la conformité de cette prérogative au principe constitutionnel de la séparation des Pouvoirs. L’article 2 précité confère à l’APLC une sorte de « droit de regard à posteriori » sur les dossiers transmis au ministère public. Et ce afin de s’assurer que les poursuites sont effectivement engagées par la juridiction concernée.
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VIVEMENT UN « ARBITRAGE »
Dans l’entretien qu’il a eu avec les journalistes Kalengayi et Tshikuma, le DG de l’APLC avait confié qu’il s’était entretenu avec l’ancien conseiller spécial Emmanuel Luzolo Bambi Lessa. Ce dernier avait en charge le même secteur d’activité sous la Présidence de « Joseph Kabila ». Tous les dossiers transmis à l’époque au ministère public furent estampillés « inopportunité des poursuites » et classés sans suite.
Instruis par ce précédent, les rédacteurs de l’ordonnance créant l’APLC ont cru trouver la parade en attribuant à celle-ci le pouvoir de « suivi » auprès du ministère public. Le comportement du PG près la Cour d’appel de Kinshasa/Gombe interpelle. Ce magistrat devrait dire à l’opinion le raisonnement logique ayant guidé sa décision en faveur d’Access Bank. On espère que la conseillère spéciale Bestine Kazadi avait révélé son autre casquette d’avocat-conseil de cette banque. Dans le cas contraire, elle tombe sous le coup du conflit d’intérêts. Une faute grave, sous d’autres cieux. Et pourquoi pas au Congo-Kinshasa?
Dans l’interview précitée, Kikangala semblait avoir conscience « qu’il ne se fera pas beaucoup d’amis » dans cette redoutable fonction qui n’est pas sans rappeler (c’est nous qui le soulignons) les « Incorruptibles » dirigé par l’agent du Trésor américain Eliot Ness. Il n’imaginait pas qu’il allait être « trahi » par deux de ses collaborateurs. Il n’imaginait pas non plus qu’il allait avoir face à lui des collègues « conseillers spéciaux » du chef de l’Etat.
On ose imaginer l’état d’esprit de cet ancien avocat au barreau de Bruxelles, réputé intègre et combatif après 24 heures passées en détention au parquet général de la Gombe. Il n’y a que le président Felix Tshisekedi qui pourra éteindre le feu qui couve en « arbitrant » ce qui ressemble bien à une « chronique d’une guerre annoncée » dans son proche entourage.
Baudouin Amba Wetshi