Quand un confrère confond « critique » et « dénigrement »!

Ceux qui ont l’habitude de consulter les médias congolais sur le Net se posent sans doute des questions sur la « santé psychique » des ex-Zaïrois. Et pour cause, il ne se passe pas un jour sans qu’une polémique (dérisoire) n’éclate quelque part et occupe l’actualité. Inutile de parler de scandales touchant au sexe. Quand est-ce que les « leaders d’opinion » – au sens le plus large – de ce « Grand pays » feront montre de dignité, d’intégrité et d’exemplarité? Quand allons-nous revivre dans un pays apaisé?

La planète entière a célébré mardi 3 mai « la journée mondiale de la liberté de presse ». Au Congo-Kinshasa de Felix Tshisekedi, la situation est, semble-t-il, loin d’être irréprochable. Et ce en dépit d’une certaine ambiance libérale qui règne dans le pays depuis l’investiture de ce dernier au sommet de l’Etat. A titre d’exemple, des radios communautaires seraient fermées notamment dans le « Grand Equateur ». A en croire l’ONG « Journalistes en danger », plusieurs journalistes seraient embastillés.

Dans son discours prononcé à l’occasion de cette Journée mondiale, le ministre congolais de la Communication et des médias, Patrick Muyaya, a eu notamment ces mots: « Je dénonce avec la dernière énergie le dérapage constaté il y a quelques jours avec des attaques systématiques et des propos frisant l’injure à l’endroit du Président de la République ».

Les journalistes présents à cette manifestation avaient vite compris que le ministre Muyaya faisait allusion notamment au tout dernier « édito » signé Pero Claude Luwara du média CPL-TV. Le titre sensationnel se veut une attaque frontale au président Felix Tshisekedi: « Fatshi, pyromane, impliqué dans le conflit Katanga-Kasaï ». Impertinent voire provocateur, Luwara assimile le dialogue organisé par « Fatshi » entre les natifs du Kasaï et ceux du Katanga à une pièce de théâtre. Il n’avance aucun argument à l’appui.

Le verbe « critiquer » renvoie à l’idée d’un jugement défavorable – mais argumenté – porté sur quelqu’un ou quelque chose. En revanche, « dénigrer » consiste à attaquer la réputation d’un individu. Chargé de rapporter des faits et des opinions, le journaliste est parfaitement en droit de critiquer les gouvernants. Le dénigrement, lui, est à laisser aux militants politiques.

Voici un petit florilège signé « Pero »: « Je regarde la caméra: Felix Tshisekedi est un pyromane. Je regarde la caméra, Fatshi est un pyromane »; « Monsieur promesse »; « Tshisekedi n’aime pas le Kasaï »; « Tshisekedi doit être considéré comme l’ennemi public des Kasaïens »; « Le responsable numéro un du malheur des Kasaïens s’appelle Felix Tshisekedi Tshilombo »; « Si l’équivalent de [Joseph] Kabila, c’est Tshisekedi, Kabila pardonne-nous! »; « Cet homme doit être sanctionné par les Kasaïens ». Ceux qui veulent des détails peuvent se reporter au site de CPL-tv.

Que l’on se comprenne bien. Tout journaliste a le droit de défendre la liberté de l’information, du commentaire et de la critique. A ce titre, Pero Luwara a parfaitement le droit de dire ce qui ne va pas dans la marche des affaires de son pays. Là où le bat blesse est que l’homme des médias a cru bon de se comporter en « propagandiste ». Il a cru bon de jouer à fond la carte de « calomniateur ». A ses risques et périls.

La déontologie journaliste ne dit-elle pas que le journaliste doit « s’interdire (…), la calomnie, la diffamation et les accusations sans fondement ». Hélas, le cas sous examen n’est pas unique en son genre. Nombreux sont aujourd’hui des journalistes congolais qui sont en réalité des « agents publicitaires » ou simplement des propagandistes au service de certains partis politiques. Il suffit de suivre quelques débats sur les médias pour identifier quel journaliste mène un combat par procuration pour le compte de tel homme politique.

S’il est vrai que chacun a le droit d’aimer ou de ne pas aimer l’actuel chef de l’Etat congolais, il n’en demeure pas moins vrai que Félix Tshisekedi Tshilombo est le Président de la République. Il a droit, à ce titre, aux égards liés à cette fonction. Il est par ailleurs vrai le monde congolais des médias est malade. Il est malade des influences exercées sur les journalistes par des « puissants du moment ».

Pero Luwara a été excessif. Quel a été son mobile? Quel profit personnel a-t-il tiré de ce « coup de gueule suicidaire »? En confondant la critique et le dénigrement, ce confrère s’est comporté plus en dévot d’un parti politique qu’en journaliste issu d’une grande école comme il aime s’en vanter. L’Ifasic (Institut facultaire des sciences de l’information et de la communication) ne devrait-il pas procéder à une remise en question notamment du cours de Déontologie dispensé en son sein?


Baudouin Amba Wetshi

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