Questions directes à Jean-Pierre Lisanga Bonganga

Agé bientôt de 54 ans, ancien député national, Coordonnateur du « Front du peuple », une structure alliée à l’UDPS d’Etienne Tshisekedi wa Mulumba, Jean-Pierre Lisanga Bonganga continue sa croisade pour « le respect de la Constitution » et la tenue d’un « dialogue politique » qui serait, selon lui, une sorte de « derby » entre l’UDPS et ses alliés d’une part et la « majorité présidentielle » et ses alliés de l’autre. Lisanga a séjourné la semaine dernière à Bruxelles « sur invitation » du leader de l’UDPS. L’interview ci-après a été accordée à Congo Indépendant avant la confirmation de la nomination d’Edem Kodjo en qualité de « Facilitateur » du dialogue.

Le dialogue politique tarde toujours à démarrer près de cinq mois après le discours de « Joseph Kabila » du 28 novembre dernier. Quel est votre commentaire?

Je voudrais dire à l’opinion tant nationale qu’internationale que nous avons quatre types de dialogue. Primo: le dialogue convoqué par le président Joseph Kabila dans son allocution du 28 novembre 2015 et dont le comité préparatoire était annoncé dans les dix jours qui suivaient. Ce forum peine à démarrer parce qu’il est loin de correspondre à l’idée que nous nous faisons de cette réunion. Secundo: le dialogue dit « tripartite » (Opposition, majorité et la Commission électorale nationale indépendante) soutenu par nos « amis » de la « Dynamique » et le G7. Ceux qui avaient soutenu cette formule ont fini par la laisser tomber après avoir constaté que la CENI faisait le jeu de la majorité. Tertio: le dialogue avec les compatriotes de l’Est. Celui-ci est préconisé par l’UNC de Vital Kamerhe. Pour nous, il s’agit d’un dialogue partiel qui ne concerne que la situation sécuritaire au Nord Kivu. Le quatrième type de dialogue est celui prôné par le président Etienne Tshisekedi dans la feuille de route de l’UDPS. Ce dialogue renvoie à l’Accord-cadre d’Addis-Abeba ainsi qu’à la Résolutions 2098 du Conseil de sécurité. Sans oublier la Résolution 2277 du 30 mars dernier en son point « 10 ». L’Union africaine a été chargée de contacter les parties prenantes au dialogue.

Depuis le 14 janvier dernier, l’Union africaine a chargé l’ancien Premier ministre togolais Edem Kodjo de « déblayer » le terrain…

J’ai rencontré M. Kodjo deux ou trois fois. Je lui ai posé la question de me montrer l’acte le désignant comme facilitateur. Nous attendons la formalisation de sa nomination. S’il était confirmé comme Facilitateur avec une feuille de route claire, nous ne verrons aucun inconvénient. Pour nous, il ne s’agit pas d’un problème d’homme. Nous avons besoin d’un « arbitre » soutenu par non seulement par l’Union africaine mais aussi par le secrétaire général des Nations Unies. Dès que ces conditions seront remplies, il n’y aura plus d’obstacles pour entamer les pourparlers.

Que répondez-vous à ceux qui allèguent que la motivation principale de la majorité présidentielle est d’obtenir le « glissement » du calendrier électoral?

Si tel serait le cas dans le contenu du cahier de charges de la Majorité, nous leur dirons: « Messieurs, n’avez-vous pas l’impression que vos exigences vont à l’encontre de l’esprit et la lettre de la Constitution? » D’ailleurs, la Résolution 2277 du 30 mars 2016 met un accent particulier sur le respect de la Constitution et des délais constitutionnels. Nous allons leur brandir tous ces instruments juridiques.

Certains de vos camarades de l’opposition clament que « Joseph Kabila » n’est nullement disposé à faire organiser l’élection présidentielle avant l’expiration de son second et dernier mandat. Est-ce votre avis?

Le président Joseph Kabila est fin mandat. Il ne devrait pas écouter ceux qui lui disent d’adopter une attitude du genre « après moi, le déluge ». Notre vœu est de voir le Président sortant laisser un Congo prospère. Notre souhait est qu’il procède à une « passation normale » de pouvoir le 19 décembre prochain avec le Président élu qui va lui succéder. Pour nous, ce Président est connu. Il s’agit d’Etienne Tshisekedi wa Mulumba.

Le « G7 » a demandé à l’ancien gouverneur du Katanga Moïse Katumbi Chapwe d’être son candidat à la prochaine élection présidentielle. Qu’en dites-vous?

J’ai trois observations. La première: C’est une désignation de la part du G7. Vous le savez autant que moi que l’opposition congolaise compte au moins quatre groupements importants. A savoir: l’UDPS, le G7 – qui vient à peine d’arriver -, la Dynamique de l’opposition et le Front du peuple. Pour nous

Qu’entendez-vous par « nous »?

Je parle du Front du peuple. Le G7 a désigné Moïse Katumbi mais faudrait-il encore que l’intéressé accepte l’offre.

Apparemment, il n’a pas dit « non ». Il a « pris acte »…

A sa place, j’aurais réagi de la même manière. Deuxième observation: lorsque nous insistons d’aller au dialogue, notre objectif premier consiste à assainir l’environnement électoral. Cette candidature est prématurée. Troisième et dernière observation: pour nous, le poste de Président de la République n’est pas vacant. Le poste n’est pas vacant!

Comment ça! La démocratie ne renvoie-t-elle à l’idée de compétition voire de concurrence pacifique?

Nous sommes en démocratie. En 2011, nous avons désigné Etienne Tshisekedi « candidat commun » de l’opposition à l’élection présidentielle. J’entends des « gens » parler de « candidat unique » de l’opposition. Nous préférons le vocable « candidat commun » qui suppose que des consultations préalables ont eu lieu avec les autres organisations politiques.

Moïse Katumbi semble dire la même chose…

Il a dit sa volonté de prendre contact avec les autres formations politiques. Nous tenons cependant à rappeler qu’en 2011, l’opposition, dans son ensemble, avait désigné un candidat commun qui s’appelle Etienne Tshisekedi wa Mulumba. En 2011, ceux qui viennent de nous rejoindre aujourd’hui dans l’opposition avaient voté pour Kabila. Cinq années après, nous maintenons notre confiance à Etienne Tshisekedi. En 2011, Tshisekedi avait gagné l’élection présidentielle mais avait été empêché d’exercer ses fonctions. Maintenant que Kabila est fin mandat, nous allons renouveler notre confiance à Etienne Tshisekedi.

Voulez-vous dire que toute l’opposition doit s’aligner derrière Etienne Tshisekedi wa Mulumba?

Je parle de l’opposition, « la vraie »! Il s’agit de l’opposition qui avait soutenu Tshisekedi en 2011 et qui avait cru et continue à croire qu’il avait gagné l’élection présidentielle. Cette opposition-là continue à soutenir Etienne Tshisekedi.

Dans cette logique, qui, selon vous, incarne l’autre opposition… « la fausse »?

Je vous répondrai par ce que le secrétaire général d’un parti m’a confié: « Je constate que pour être candidat à l’élection présidentielle, il faut quitter la majorité et rejoindre l’opposition… ». Cette situation est en passe de devenir une « règle ». Je vous cite deux cas patents et flagrants. En 2011, Vital Kamerhe venait de la majorité. Aujourd’hui, l’ancien gouverneur Moïse Katumbi – un homme fort sociable pour qui j’ai beaucoup d’estime – a quitté la majorité pour rejoindre l’opposition. Il dit qu’il va prendre langue avec les autres partis afin qu’il soit le candidat de l’opposition. Lorsque vous scruter la « Dynamique de l’opposition », vous y trouvez des organisations qui avaient voté, en 2011, la réduction de l’élection présidentielle de deux à un seul tour. Le G7 a rejoint l’opposition en septembre 2015. Le 19 janvier de la même année, l’opposition était occupée à pleurer ses morts pendant que les membres du G7 se trouvaient au Palais du peuple en train de violer la Constitution.

D’aucuns pourraient vous rétorquer que vous étiez dans « l’Opposition républicaine » avec Léon Kengo wa Dondo avant de rejoindre Etienne Tshisekedi…

Vous dites bien « Opposition ». L’épithète « républicaine » a été trouvée par nous. Nous étions animés de la volonté de résoudre le problème du dialogue conformément à l’Accord cadre d’Addis-Abeba.

Quel est le facteur qui est à la base de votre « rupture »?

Ce qui nous a opposé avec le président Kengo en son temps – et je suis content de constater que le « Vieux » s’est ressaisi -, découle du fait que lorsque nous avons débuté les travaux des « Concertations nationales », nous avons eu la conviction que nos « amis d’en face » avaient l’intention de tripatouiller la Constitution. Nous leur avons dit: « Nous allons parler de tout sauf de la violation de la Constitution ».

Ne vit-on pas la même ambiance à la veille du dialogue?

Nous sommes prêts à réagir de la même manière que lors des Concertations en invitant la « partie en face » de ne pas toucher à l’article 220.

Selon vous, quelle est la destination donnée aux « 100 recommandations prioritaires des Concertations » transmises à « Joseph Kabila »?

Ancien « Concertateur », je tiens à vous dire que j’avais quitté le « bateau » bien avant. C’est ainsi que j’ai créé le « Front populaire contre la révision de la Constitution ».

On assiste à une forte militarisation dans les quatre nouvelles provinces issues de l’ex-Katanga. Quel est votre commentaire?

J’ai appris qu’un député national – dont je tais le nom – prépare une question orale avec débat destinée au ministre de la Défense nationale afin que celui-ci éclaire l’opinion sur cette préoccupation. L’Histoire immédiate de notre pays montre qu’aucune armée au monde n’est plus forte que le Peuple. Voilà pourquoi, au Front du peuple, nous disons: « Vanité des vanités, tout est vanité ». Mobutu a dirigé notre pays pendant 32 ans. Il n’est plus là. Moralité: il ne faut pas mettre les armes avant le Peuple. C’est pourquoi notre slogan est: « Front du Peuple, le Peuple d’abord! ». Si nous mettons effectivement le Peuple au centre de toute action politique, je pense que notre pays aurait été gouverné autrement. Les droits de l’Homme auraient été respectés. Ainsi des personnalités telles que Christopher Ngoy Mutamba, Eugène Diomi Ndongala et le professeur Mboneku {Ndlr: on pourrait ajouter notamment Jean-Claude Muyambo Kyassa, Vano Kiboko, Ernest Kyaviro, Fred Bauma et Yves Makwambala} ne seraient pas en détention parce que nous appartenons tous à la communauté humaine.

Comment se porte Etienne Tshisekedi wa Mulumba?

Il va très bien! Lors de mon précédent séjour à Bruxelles, j’ai eu une séance de travail qui a duré une quarantaine de minutes. Cette fois-ci, nous avons eu une réunion de plus de deux heures. Je tiens à rassurer le peuple congolais sur le prochain retour du président Tshisekedi. Je demande à notre peuple de continuer à lui faire confiance afin qu’il prenne en décembre 2016 la destinée de notre pays.

Dans une déclaration faite le 1er avril, le porte-parole du secrétariat général de la MP, Atundu Liongo, a exclu toute idée de « vide du pouvoir » en cas de non tenue de l’élection présidentielle avant le 19 décembre prochain. Votre réaction?

Je vous ai dit que nous allons exiger le respect de la Constitution et des délais constitutionnels lors du dialogue. Nous verrons bien comment l’autre partie soutiendra le contraire. Monsieur Atundu a dit qu’il n’y aura pas de « vide du pouvoir ». Quel que soit le cas de figure, il y aura dialogue. Si ce forum n’est pas organisé maintenant, celui qui sera tenu en décembre sera un dialogue sans Kabila.

Pourquoi?

La raison est simple. Il sera fin mandat. L’article 73 de la Constitution énonce clairement que l’élection du Président de la République doit être convoquée 90 jours avant l’expiration du mandat du président en exercice. Le deuxième alinéa de l’article 70 stipule: « A la fin de son mandat, le Président de la République reste en fonction jusqu’à l’installation effective du nouveau Président élu ». Le 19 décembre 2016, le président Joseph Kabila aura totalisé deux mandats. Il va tomber, de ce fait,  » dans toute autre cause d’empêchement définitif » prévue dans l’article 75. Je peux vous assurer que le débat va avoir lieu. Nous sommes sereins. Les membres de la Majorité doivent se calmer.

Quels sont les moyens de pression dont disposent l’opposition face à un « Joseph Kabila » bourré des certitudes avec l’armée, la police, les services de renseignements et l’argent?

Nous avons quatre moyens. Primo: le Peuple congolais. Secundo: la confiance en nous-mêmes. Tertio: la Constitution. Quarto: la pression de la communauté internationale. A titre d’illustration, le gouvernement a tenté en vain d’obtenir la réduction des effectifs de la Mission de l’Onu au Congo. Nous conseillons à ceux qui sont au pouvoir qu’il est temps de commencer le dialogue que prône Etienne Tshisekedi avec un « Facilitateur » et une feuille de route claire. Il serait bien dommage que ces discussions se déroulent en novembre ou en décembre

 

Propos recueillis à Bruxelles par Baudouin Amba Wetshi

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