Simon Diasolua Zitu: « Il faut dissoudre les Lignes aériennes congolaises (LAC) et créer une nouvelle compagnie »

« Commandant Diasolua ». Voilà un nom bien connu du paysage aéronautique belgo-zaïro-congolais. Tout voyageur qui a emprunté les vols de l’ex-compagnie nationale « Air Zaïre » au départ de Bruxelles, jusqu’au milieu des années 90, ne peut ne pas se souvenir de cette voix grave mais rassurante du « captain » qui souhaitait la bienvenue dans le DC.10 à destination de Kinshasa. Agé de 60 ans, Simon Diasolua Zitu est un des tout premiers pilotes du jeune Etat indépendant du Congo. Après ses études secondaires, il a suivi la formation en pilotage à la Sabena, en Belgique. Le 1er mars 1966, il est engagé à la compagnie nationale Air-Congo. « Simon » est allé par la suite suivre une formation de pilote-instructeur à la « Flight Academy » de la compagnie « American Airlines » à Dallas Fortworth. De retour au pays, il est promu instructeur sur DC.10 et examinateur aéronautique. A ce titre, il était chargé de tester les pilotes voulant opérer au Zaïre avant que l’aéronautique civile accorde la licence nécessaire. En 1974, au commande du tri-réacteur, il est allé chercher les boxeurs Mohamed Ali et George Foreman aux Etats-Unis à l’occasion du « combat du siècle » organisé à Kinshasa. A la suite d’un grave accident de roulage, en avril 1996, « le commandant », comme l’appellent ses amis et proches, est évacué à Bruxelles où il reçu des soins et réside jusqu’à ce jour.

Sa dernière fonction était celle d’administrateur-directeur chargé des Opérations. Nous avons évoqué avec lui notamment la proposition de l’actuel ministre des Transports et Communications, Joseph Olenghankoy de dissoudre la compagnie aérienne nationale « LAC ».

Congoindependant.com: Vous êtes connu comme pilote à l’ex-compagnie nationale Air Zaïre. Vous résidez en Belgique depuis plusieurs années. Quelle est la raison de cette expatriation?

Simon Diasolua Zitu: Tout a commencé en 1996. Je revenais de Moscou où j’ai été faire décrypter la « boîte noire » de l’Antonov 32 qui avait fait un crash au Marché « Type Ka » à Kinshasa. Cet accident avait fait plus de 400 morts. Les autorités du pays m’avaient confié la charge de mener l’enquête technique. C’est au retour de la Russie que j’ai fait un grave accident de circulation sur la route « By Pass » qui va vers l’université de Kinshasa. J’étais accompagné du conseiller juridique du ministre des transports ainsi que d’un journaliste qui n’a pas survécu. Je suis resté inactif pendant huit mois avant de retrouver le plein usage de ma jambe droite. Entre-temps, mon employeur, en l’occurrence Air-Zaïre, fut déclaré en faillite par un jugement du tribunal de commerce de Bruxelles. Etrangement, aucune autorité du pays n’a formulé la moindre réaction. Un jour, un ami Belge qui était directeur des opérations dans une petite compagnie aérienne privée bruxelloise m’a proposé d’instruire les pilotes au simulateur. J’ai saisi cette occasion. Quelques temps après, l’ami a décidé de me faire engager en qualité de commandant de bord. J’y ai travaillé jusqu’en avril 2003.

Devrait-on vous qualifier de « déserteur »?

Nullement. Vous savez, après ma sortie de l’hôpital j’ai eu l’opportunité de me rendre à trois reprises à Kinshasa afin de m’enquérir de la situation de la compagnie nationale. Je me suis rendu compte qu’il n’y avait aucun espoir de relance d’activités. J’ai été parmi quelques agents d’Air Zaïre qui préconisait déjà, à l’époque, la dissolution de cette société d’Etat et son remplacement par une nouvelle entreprise dénommée « New Air Zaïre ». Ce projet avait le soutient du ministre des Transports d’alors ainsi que de la Sabena. Hélas, il n’a pas pu voir le jour pour diverses raisons…Et pourtant, la situation d’Air Zaïre était de plus lamentable.

Quelles sont, selon vous, les causes profondes du déclin de l’ex-compagnie nationale?

D’abord, en tant que société d’Etat, les dirigeants de la compagnie n’avaient aucune marge de manœuvre pour administrer la société selon les règles modernes dignes d’une entité technique et commerciale. Les pouvoirs publics intervenaient de manière intempestive dans la gestion de l’entreprise. Pour avoir été membre du comité de gestion et du conseil d’administration, je sais de quoi je parle.

Avez-vous un exemple pour illustrer cet interventionnisme étatique?

Un exemple parmi tant d’autres. Un avion est programmé pour un vol régulier. Les passagers se présentent à l’aéroport au jour et l’heure prévus sans savoir que le même avion a été réquisitionné, durant la nuit, par les autorités politiques afin d’effectuer un « vol VIP ». Nous avons eu toutes les peines du monde pour expliquer aux responsables politiques d’accorder à la compagnie un certain délai afin que celle-ci prenne des dispositions pour ne pas causer des désagréments aux passagers. Voilà une des raisons qui a fait perdre à Air-Zaïre son prestige auprès de la clientèle. Il reste que nous devrions mettre l’aéronef à la disposition de l’Etat. Pire, un jour un ordre du gouvernement tombe: « Messieurs, tel jour le DC 10 doit se trouver à Londres ». Pourquoi? Réponse: « Vous le saurez après ». On apprendra par la suite que l’avion a été vendu à Londres sans l’avis de la compagnie. C’est le cas également de nos aéronefs de type Fokker et Caravelle qui ont été liquidés dans les mêmes conditions.

L’Etat payait-il l’affrètement de ces avions?

(Sourire). L’Etat reconnaît officiellement devoir à Air Zaïre un montant de 35 millions U$D. Selon mes informations, cette créance tournerait autour de 50 millions. Les avions étaient réquisitionnés sans paiement. Une situation qui n’a fait qu’obérer la trésorerie de l’entreprise. En tant que directeur des Opérations et membre du comité de gestion, je n’ai pas manqué d’attirer l’attention de la hiérarchie sur ces dysfonctionnements. Je dois vous avouer que j’ai eu des sérieux ennuis avec certains PDG.

Que pensez-vous de la proposition de l’actuel ministre congolais des Transports et Communications, Joseph Olenghankoy Mukundji, de dissoudre les « LAC » et de créer une nouvelle compagnie aérienne nationale. N’avez-vous pas l’impression que cela reviendrait – je force un peu les traits – à l’histoire du machiniste qui change de wagons chaque fois que sa locomotive tombe en panne?

Je ne pense pas. Au contraire, je partage le point de vue du ministre pour la simple raison que les « LAC », « héritières » d’Air-Zaïre, ne jouissent plus de crédit nécessaire tant auprès des passagers que des organismes financiers pour continuer à fonctionner. « Air peut-être » était devenu le surnom de la compagnie nationale. Une dénomination qui était tout sauf un compliment. Au moment où je quittais Kinshasa en 1996, la dette d’Air-Zaïre vis-à-vis des tiers oscillait autour de 65 millions U$D. A cela, il fallait ajouter 5 millions U$D à payer à l’Asecna et 1 million U$D pour Eurocontrol. Comme je l’ai dit précédemment, la compagnie détenait sur les institutions publiques une créance de 35 millions U$D. Plusieurs correspondances adressées aux autorités compétentes à ce sujet sont restées lettres mortes. D’autre part, les salaires du personnel accusaient plusieurs mois de retard. En 1996, la société devait à ses agents 70 mois de salaires impayés. A combien se chiffre le montant aujourd’hui? Je considère, pour ma part, qu’une entreprise qui n’est plus capable de rétribuer son personnel est en cessation de paiement et doit, de facto, être déclarée en faillite. Avec un tel passif, je m’interroge franchement quand à savoir quel est l’organisme financier qui accepterait de prendre à sa charge le règlement de ce litige que j’évalue aujourd’hui à plus ou moins à 10 millions U$D pour les agents nationaux et étrangers. J’ai la conviction que la création d’une nouvelle société mettra les biens de celle-ci à l’abri d’une saisie éventuelle. Tant il est vrai que les créanciers de l’ex-Air Zaïre et des LAC sont à l’affût de la moindre occasion pour récupérer leur dû. Ne devrions-nous pas nous inspirer de l’exemple belge après la liquidation de la Sabena? La « SN Brussels Airlines » est née des cendres de l’ex-Sabena. Aujourd’hui, c’est une compagnie viable qui n’a rien avoir avec l’ardoise laissée par son prédécesseur. Comme je l’ai souligné précédemment, l’idée du ministre Olenghankoy est salutaire. Toutefois, l’Etat congolais ne doit pas passer par pertes et profits le volet social du problème. A savoir, les salaires dus au personnel. J’ai travaillé durant 35 ans à Air-Congo et Air-Zaïre. Je ne laisserais jamais tomber ce que la compagnie me doit. Je me battrais jusqu’au bout pour obtenir satisfaction. A défaut, ma femme et mes enfants poursuivront le « combat ». Les autorités congolaises doivent comprendre que l’on ne peut pas supprimer une dette sociale. Une dette sociale doit se négocier pour que l’on trouve, au mieux des intérêts des parties, les modalités de paiement. C’est ce que j’ai dit au ministre des Transports lors de son récent passage à Bruxelles. C’est un non-sens de demander aux agents d' »oublier » les salaires impayés.

Quelles sont les facteurs pouvant garantir que la future nouvelle compagnie aérienne sera à l’abri des interventions des pouvoirs publics dans sa gestion?

Je tiens tout d’abord à réaffirmer que la création d’une nouvelle société aérienne est un « must » pour notre pays. Pourquoi? Simplement parce que l’ancienne compagnie n’a plus d’avions et ne pourra redémarrer normalement pour des raisons juridique, technique et financière. Son patrimoine se limite aujourd’hui à quelques biens immobiliers à Kinshasa et en provinces. L’unique Boeing 737 qui se trouve dans le hangar à l’aéroport de Ndjili attend sa grande maintenance, « le check D », depuis sept ans. Alors que le coût de cette opération ne représente qu’un million de dollar. J’évalue aujourd’hui l’ensemble de l’actif de la compagnie nationale à plus ou moins 3 millions U$D. Nous devons regarder la réalité en face: les Lignes aériennes congolaises est une compagnie qui se trouve dans un coma irréversible. En langage médical, on dira que c’est une compagnie cliniquement morte. Combien d’agents de l’ex-Air Zaïre et « LAC » ne sont-ils pas morts dans le dénuement le plus complet faute de revenus? Au moment où je vous parle, les bureaux de la représentation des « Lignes aériennes congolaises » à Bruxelles ne sont plus approvisionnés en gaz et électricité. Le téléphone a été coupé. Pendant ce temps, il y a toujours un représentant ici en Belgique. Quel rôle joue-t-il encore aujourd’hui? De qui se moque-t-on? L’Etat congolais doit désigner un curateur pour liquider l’actuelle compagnie nationale. Le même Etat doit accepter l’ouverture du capital de la future société aux investisseurs privés.

Dans quelle proportion?

L’Etat doit être minoritaire dans l’affaire. Pour moi, l’apport des pouvoirs publics devrait être limité à 30% du capital. Nous devons comprendre que le pouvoir politique doit rester dans son rôle de régulateur de l’ordre social, de garant de l’intérêt général. Il ne doit pas gérer une compagnie aérienne. Ce n’est pas sa mission. Il doit, en revanche, y avoir un droit de regard. C’est à mon avis l’unique parade pour mettre le futur transporteur national à l’abri des injonctions politiques.

Une certaine opinion laisse entendre que la dissolution des « LAC » exigerait 4 millions de dollars alors que la relance de la compagnie demanderait moins de 2 millions. Qu’en dites-vous?

Je ne partage pas ce point de vue. Une compagnie aérienne n’est pas un exploitant de taxis ni de transport routier. L’exploitation d’une compagnie aérienne requiert de gros moyens financiers. Supposons que l’Etat congolais mette à la disposition des « LAC » un avion long courrier. Supposons que la location « full lease » de cet appareil revient à 8.000 U$D/heure. Supposons qu’on signe un contrat pour 200 heures de vol par mois. Cela veut dire que la compagnie doit payer 1.600.000 U$D/mois. Cette somme ne couvre que l’avion. Les autres charges, notamment les salaires, ne sont pas pris en compte. Pour être fiable, selon les normes internationales, une compagnie aérienne doit avoir une réserve financière représentant au moins six mois de fonctionnement dans ses caisses. Il faudrait donc, au regard de ces critères, au minimum dix millions U$D pour relancer les « LAC ». On ne peut pas commencer l’exploitation d’une société aérienne pour mettre la clé sous le paillasson trois semaines après par manque de carburant… Ce n’est pas sérieux aux yeux des passagers qui vous ont fait confiance en achetant un billet.

Le nom du commandant Diasolua fut cité, lors des travaux de la Conférence nationale souveraine (CNS), dans l’affaire dite du « massacre de Lubumbashi ». Il semble que c’est vous qui aurait été au commande du DC 10 d’Air Zaïre ayant amené à Lubumbashi le « commando » venu de Kinshasa pour tuer les étudiants au campus de cette ville. Quelle est votre version des faits?

Je donne ma version de faits dans l’ouvrage que je viens de terminer la rédaction. J’avais déjà communiqué ce que je savais à la sous-commission des assassinats de la CNS où j’ai été auditionné. Grande fut ma surprise de recevoir, à l’époque, une convocation de cette instance.

Que s’est-il passé?

C’était début mai 1990. J’étais en pleine réunion du comité de gestion d’Air Zaïre. La réunion avait débuté vers 9h30. Une heure plus tard, la secrétaire me passe une communication. Le commandant Mukandila était au bout du fil. Il venait d’effectuer le vol régulier Bruxelles-Rome-Kinshasa. Il s’est posé à Ndjili à 8h30. Par manque d’effectif, il devait poursuivre jusqu’à Lubumbashi où il devait passer la nuit. Seulement voilà, le deuxième moteur ne démarrait plus. Il était 10h30. Les passagers ont été débarqués en attendant la réparation. La réglementation en matière de sécurité aérienne interdit aux pilotes de travailler pendant plus de quatorze heures. Un pilote qui fait un accident pour avoir volé au delà de 14 heures prive à sa compagnie le bénéfice de l’assurance. Avec dérogation, on peut néanmoins travailler jusqu’à un total de seize heures. Voilà pourquoi, en tant que directeur des Opérations j’ai pris la place de Mukandila pour poursuivre le voyage le temps que ma femme m’apporte mon uniforme. Ce n’est qu’à 16h00 heures de Kinshasa, une heure de plus à Lubumbashi, que la panne fut vaincue. C’était un problème de fusible. Ce que je vous dis est vérifiable. A chaque vol d’un avion commercial, il est établi un « manifeste » de passagers. J’ai transporté le même nombre de personnes prévues à ce vol. Les archives d’Air-Zaïre sont là pour confirmation. Je suis surpris qu’on parle d’un commando venu dans le même avion. Ce commando était composé de combien de personnes? En tant que commandant de bord, je transporte des passagers, du fret et du courrier postal. La sécurité des passagers dépend de ma sécurité. La réglementation aérienne prohibe la présence des armes à bord d’un avion civil. Le seul nouveau passager dans cet avion s’appelait Diasolua qui a pris la place de Mukandila. Nous avons atterri à Lubumbashi à 19 heures locales soit 18 heures à Kinshasa. A l’aérogare de la Luano, un agent d’Air-Zaïre m’a approché en me disant: « Commandant nous sommes content que vous passiez la nuit à Lubumbashi parce qu’il y a une forte agitation à l’université ». J’ai logé cette nuit là à l’hôtel Karavia. J’apprendrais plusieurs jours plus tard qu’une étudiante, ayant des liens de parenté avec le général Philémon Kpama Baramoto, aurait été violentée par ses camarades. De retour à Lubumbashi, deux semaines plus tard, j’étais estomaqué d’entendre une de mes connaissances me lancer à la figure que c’est moi qui avait transporté le fameux commando qui aurait « massacré » des étudiants. C’était la première fois que j’entendais parler de cette « tuerie ». J’ai été, en fait, victime d’une cabale de la part d’un ancien pilote qui était membre de la Commission des assassinats. L’homme m’en voulait pour l’avoir recalé. Je me suis toujours posé la question de savoir pourquoi le commandant Mukandila n’a jamais été entendu par cette Commission. Pour terminer, je me suis toujours interrogé si le régime d’alors avait vraiment besoin d’envoyer des troupes de Kinshasa ou de Gbadolite alors qu’il y en avait sur place au Shaba-Katanga? Voilà ce que je sais.

 

Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi

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