Questions directes à Marie-Thérèse Nlandu

Avocate au Barreau de Kinshasa et femme politique, Marie-Thérèse Nlandu Mpolo Nene, 53 ans, évoque les circonstances de son arrestation et les conditions carcérales qu’elle a vécu tant à Kin-Mazière, le siège de la Direction des renseignements généraux et services spéciaux de la police (DRGS) qu’à l’ex-prison centrale de Makala.

« Les policiers de « Kin-Mazière » n’ont rien à envier aux Nazis SS. C’est une police politique »

Quelles sont les circonstances exactes de votre interpellation le 21 novembre 2006 au siège de la DRGS?

Les circonstances de mon arrestation demeurent obscures. Aujourd’hui, je crois pouvoir dire qu’il s’agissait de m’écarter, en tant qu’avocate, du recours en contentieux électoral introduit par Jean-Pierre Bemba devant la Cour suprême de Justice. Selon les informations en ma possession, les commanditaires de mes ennuis judiciaires auraient estimé que j’étais une avocate « coriace et difficile à corrompre »…

Commençons par le lundi 20 novembre de l’année dernière.

Je suis allée, ce jour, à la recherche de mes collaborateurs qui avaient été enlevés le 20 novembre vers 15 heures. Dès que j’ai appris la nouvelle, ai fait un communiqué sur les antennes de la télévision « Canal Kin » en exigeant leur remise en liberté. J’ai, par la suite, téléphoné au colonel Raüs (Chalwe Ngwashi) afin de lui faire part du « rapt » de mon personnel au niveau du Quartier « Ma campagne », dans la commune de Ngaliema.

Pourquoi avez-vous pensé spécialement à Raüs?

Je voulais simplement avoir une entrevue avec un responsable de la police. Jusque là, j’étais loin d’imaginer que les membres de mon personnel étaient détenus à Kin-Mazière. En fait, je m’étais rendue d’abord à la PIR (Police d’intervention rapide), dans la commune de Kasa- Vubu. Je souhaitais d’ailleurs m’adresser directement au patron de la police nationale, le général Katsuva wa Katsuva. Une idée m’est venue d’approcher le colonel Raüs. Et ce pour la simple raison que les policiers de Kin-Mazière ont la fâcheuse réputation d’arrêter les gens pour des motifs futiles. Raüs me répondra qu’il se trouvait à l’aéroport de Ndjili. Et que ce genre de problème devait être traité le lendemain. En fait, il mentait. Il ne se trouvait pas à l’aéroport. Il était à son bureau où il torturait mon personnel.

Vous voulez dire que vos collaborateurs ont été torturés?

Effectivement. Mes collaborateurs ont subi des tortures notamment au niveau de l’appareil génital. L’un d’entre eux redoute d’ailleurs de développer une forme de stérilité. A Kin-Mazière, des policiers leur introduisaient un bâton dans la voie anale. Un membre de mon personnel a été « crucifié » sur une porte. Il était ainsi ballotté chaque fois que l’on ouvrait ou refermait cette porte. Je peux vous dire que les policiers de Kin-Mazière n’ont rien à envier aux « Nazis SS ».

Que reproche-t-on à vos collaborateurs?

Rien du tout. A part le fait qu’ils travaillaient pour votre serviteur. D’ailleurs, le procès-verbal rédigé par les policiers de Kin-Mazière commence comme suit: « D’ordre de la hiérarchie, nous procédons à l’interrogatoire de… ». Qui a donné l’ordre d’interroger les gens? On se trouve manifestement face à des agents publics n’ayant aucune notion du droit. L’immeuble « Kin-Mazière », abrite, en réalité, une police politique. Le colonel Raüs se trouve à la tête d’une police politique. C’est une situation dangereuse pour la démocratie! La démocratie ne peut en aucun cas s’accommoder de l’existence d’une police politique autant que de prisonniers politiques. Que personne ne vous trompe: pour le moment, il n’y a pas de démocratie au Congo-Kinshasa. Il y a, au contraire, de la haine politique. Malheur aux citoyens qui ne sont ni « Katangais » ni swahiliphones! Ceux-ci sont exclus. En cas de problème, il n’y a aucun recours. C’est l’expérience que je viens de vivre.

Passons à la journée du mardi 21 novembre. Vous vous rendez à Kin-Mazière…

Je me rends donc à Kin-Mazière. A l’accueil, j’ai pris soin de rappeler mon contact téléphonique, la veille, avec le colonel Raüs. Chemin faisant, j’ai demandé si mes collaborateurs se trouvaient en ce lieu. Le préposé de répondre: « Je ne sais pas! ». Et pourtant, j’ai reconnu leur voiture. Elle se trouvait dans le parking de Kin-Mazière. « Est-il possible de leur apporter de la nourriture? », ai-je ajouté. Réponse: « Si vous voulez ». C’est à partir de ce moment que j’ai eu la certitude que mes collaborateurs y étaient détenus. Mon interlocuteur finira par me conseiller d’aller « au-dessus » pour rencontrer un des responsables. Ce que j’ai fait.

Qui était votre interlocuteur?

C’est un agent chargé de l’Accueil. A l’étage, j’ai rempli une demande d’audience. Un agent m’a conduit dans un bureau. J’y trouve une personne de forte corpulence à laquelle je me présente. L’homme crie: « Ah! Vous osez venir jusqu’ici? Vous avez osé? » Il lâche un ordre: « Saisissez-la! ». Un policier m’arrache aussitôt mon téléphone portable avant de m’obliger à me déchausser. Le doigt pointé sur mon visage, le fameux responsable revient à la charge: « Toi! Du temps de Mobutu, osais-tu ouvrir la bouche? ». « Assieds-toi par terre! ». Je saurai plus tard que mon interlocuteur s’appelle Daniel Mukalay. C’est un colonel de la Direction des renseignements généraux et services spéciaux de la police. Mère de famille, avocate et femme politique, ancienne candidate à l’élection présidentielle, j’ai été humiliée. Le colonel Mukalay de me dire: « Maître, souvenez-vous, hier, on vous a mis en contact avec quelqu’un qui était au bout du fil… ». C’est à partir de ce moment que j’ai compris que je suis tombé dans un traquenard. J’étais victime d’un complot.

C’est quoi cette affaire de téléphone?

Lundi 20 novembre, le pasteur José Inonga est venu à mon domicile me disant qu’il était porteur d’un message de M. Jean-Pierre Bemba. Selon lui, Bemba appelait la population au calme afin de laisser la Cour suprême de Justice examiner le recours en contentieux électoral, dans la sérénité. Pendant qu’il se trouvait chez moi, son téléphone sonne. Après quelques mots échangés avec le correspondant, je l’entends dire: « Monsieur le vice-président je suis avec Me Nlandu. Je vous la passe ». Il me tend l’appareil. Je dis « Allo! ». L’interlocuteur ne bronche pas. Croyant parler avec M. Bemba, j’ai dis ceci: « Monsieur le vice-président, je m’en vais à la Cour suprême de Justice afin de lire la requête. Je vais relever les imperfections éventuelles et préparer la défense. » Au bout du fil j’entends juste un mot: « merci! ». Un certain doute m’a saisi. En effet, je n’ai pas reconnu le timbre de la voix de M. Bemba. Je remets le téléphone au pasteur José qui continue à converser avec la personne.

Dans quelles circonstances avez-vous connu ce « pasteur »?

C’est un membre de mon parti « Congo Pax ». Il y a adhéré depuis une dizaine de mois.

Vous allez donc à la Cour suprême de Justice?

Arrivée à la Cour, je suis accueillie par une foule immense qui criait: « Avocat na biso aye! » (Traduction: notre avocate est là!). Le greffier de la Cour suprême m’a approché: « Maître, dit-il, les magistrats auront du mal à travailler face à un tel attroupement de la population ». Il ajoute: « En votre qualité de femme politique, pourriez-vous inviter la population à rentrer chez elle? ». J’ai fait comprendre à ce greffier qu’il serait bon par la même occasion de communiquer au public la date de la prochaine audience. Je tiens à signaler que toutes les forces de sécurité (Police, Eufor, Monuc…) étaient tout autour du bâtiment de la Cour suprême. Après avoir recueilli les informations appropriées au greffe, je me suis adressée au public en ces termes: « L’audience aura lieu demain le 21 novembre. Le numéro du dossier est RCE 009. Si vous voulez suivre les débats, il faudra vous imposer un minimum de discipline. C’est un dossier d’Etat duquel dépendra l’avenir du Congo ». J’ajouterai: « Nous ne voulons pas d’une recolonisation du Congo, fut-elle africaine ».

A quoi faisiez-vous allusion?

Je faisais allusion à tous les pays limitrophes. Je ne sais pas si nous avons encore notre pays. A l’Est, il y a des menaces. Au Sud, il y a l’affaire Kahemba. J’ai appris que le territoire de Moba serait entre les mains d’un Etat voisin. C’est ainsi que j’ai poursuivi: « Nous refusons toute recolonisation aujourd’hui. Il est temps que nous soyons souverains. Pourquoi, les autres peuples peuvent-ils être souverains et pas les Congolais? ». D’aucuns m’ont reproché d’avoir tenu ce discours.

Quelle est votre version des faits au sujet de l’incendie d’une aile de la Cour suprême de Justice?

Une question: j’aurai fait brûler le bâtiment de la Cour suprême de Justice pour atteindre quel objectif? J’étais l’avocate de M. Bemba. J’avais donc besoin de cette juridiction pour gagner le procès. L’Union pour la nation avait un intérêt immédiat: gagner le procès!

Sait-on ce qui s’est réellement passé?

J’ai sollicité l’organisation d’une enquête internationale afin de savoir qui avait mis le feu sur ce bâtiment. Selon certains témoignages, ce sont des policiers qui ont bouté le feu sur cet édifice. Membre d’une association de défense des droits humains, une dame soutient avoir vu les éléments de PIR (Police d’intervention rapide) allumer le feu. Selon ce témoin, des fonctionnaires onusiens auraient filmé la scène. Un autre témoin n’est autre que le capitaine Alain Badibanga. Celui-ci a déclaré sur les antennes d’une télévision kinoise d’avoir aperçu les agents de PIR entrain de procéder à la mise à feu. Badibanga a été arrêté et torturé pour avoir fait cette révélation. Finalement qui a ordonné l’incendie de la Cour suprême de Justice? L’ordre vient manifestement du pouvoir duquel dépend la police.

Il vous a été reproché une phrase prononcée au moment où les forces de sécurité commençaient à quitter le périmètre de la Cour suprême de Justice…

On se trouvait dans la salle d’audience aux alentours de 9 heures. Quelques heures après, nous avons entendu des balles crépiter à l’extérieur. Des gens ont commencé à incendier des véhicules. Les forces de sécurité se sont empressées de quitter le lieu. Sous le feu de l’action, j’ai accordé deux interviews. « Nous ne voulons plus de dirigeants qui accèdent au pouvoir par les armes », ai-je déclaré dans la première. J’ai donné la seconde interview au moment où on entendait les détonations de l’armement lourd. J’ai déclaré ce qui suit: « Les balles crépitent de partout. Nous ne sommes pas protégés. » C’était une manière pour moi d’appeler « au secours! ». Je suis un avocat des droits de l’homme. Je suis pour la protection des personnes et des biens. J’ajouterai: « Le peuple doit être souverain. Il doit devenir l’armée la plus forte du monde et rester debout ». Est-ce cela une incitation de la population à aller commettre des actes de vandalisme?

Vous avez été accusée de détention d’armes et de participation à un mouvement insurrectionnel. Quel est votre commentaire sur cette qualification des faits?

Ce sont des accusations fondées sur la mauvaise foi.

Aviez-vous des grenades dans votre voiture?

Pour quoi faire? Que vais-je faire avec des grenades? Lors de mon arrestation à Kin-Mazière, les policiers ont saisi mon téléphone portable de marque « Nokia » et mes chaussures. Ce sont des grenades peut-être!

Il vous a été également reproché d’avoir des éléments de l’ex-Garde civile dans votre entourage?

La Garde civile. Lorsque M. Kabila a pris le pouvoir en 1997, il a démobilisé tous les militaires et la Garde civile. Le pays n’avait plus d’armée. J’avais besoin de gardiens de nuit. Il n’est un secret pour personne que les ex-militaires et autres gardes civils sont recrutés pour servir de vigile ou de gardien. En 2005, j’ai été contacté par les familles des anciens militaires exilés au Congo-Brazzaville au nombre de 1.200 personnes. Le gouvernement ne voulait pas de leur retour. Je soutenais la thèse contraire pour la simple raison que ces militaires rentraient dans leur pays. Ceux-ci ont fini par rentrer. Ils ont été envoyés au brassage à Joli-Site. Je n’ai pas pu suivre l’évolution de ces soldats. Tout ce que je sais c’est qu’au 10 janvier 2006, il y avait dix morts parmi eux. Quand j’ai appris cette nouvelle, je n’ai plus voulu intervenir dans ce dossier. D’autres militaires exilés à Pointe-Noire attendaient de regagner le pays. Est-ce un crime, en tant qu’avocat, d’assister un militaire?

 

Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi

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