Questions directes à Henri-Paul Vungbo

Agé de 44 ans, originaire de la province de l’Equateur, membre de l’ethnie Ngbandi, Henri-Paul Vungbo était étudiant à l’université de Lubumbashi (UNILU) au moment de l’affaire dite du « massacre d’étudiants du campus de Lubumbashi » dans la nuit du 11 au 12 mai 1990. La presse internationale a fait état de 50, 150 voire 300 morts. Dans son ouvrage « Le Dinosaure », la journaliste Colette Braeckman parle de 346 tués. Une « tuerie massive » attribuée à un commando appartenant à la Division spéciale présidentielle de Mobutu Sese Seko. Dix-sept années après, une question fondamentale reste sans réponse: Pourquoi les parents des victimes demeurent-ils introuvables dix ans après la chute de Mobutu?

« Il n’y a jamais eu de massacre d’étudiants à l’université de Lubumbashi »

Dix-sept ans après, pourquoi avez-vous décidé de témoigner sur « Lubumbashi »?

J’ai décidé de relancer le débat sur cette affaire suite à une information diffusée à ce sujet sur le site Internet www.culturek.net. Il y est fait état d’un article écrit par la journaliste belge Colette Braeckman sur le « massacre d’étudiants » à l’université de Lubumbashi. Je peux affirmer que tout ce que cette journaliste a écrit ne se fonde nullement sur la vérité. Je tiens à dire haut et fort: Il n’y a jamais eu de massacre d’étudiants à l’université de Lubumbashi. J’invite Madame Braeckman et tous ceux qui parlent de « Lubumbashi » de contacter les « vrais étudiants » présents sur le lieu. Outre moi-même, il y a Mupupa, l’ancien dirigeant de la JMPR au moment des faits. Il y a également Victor Digekisa qui était le « moteur » de ce qui s’est passé dans ce campus universitaire du 9 au 11 mai 1990.

Ne craignez-vous pas que vos origines ne rendent votre témoignage inaudible?

Je n’ai jamais nié mes origines. Mon père est issu de l’ethnie Ngbandi. Il vit depuis 40 ans en Belgique. Il n’a jamais occupé une fonction politique sous le régime de Mobutu. Je veux dire la vérité non pas pour réhabiliter quiconque mais pour le Congo. Pour le Congo, je suis prêt à dire tout ce qui s’est réellement passé à Lubumbashi.

Le 24 avril 1990, le président Mobutu annonce la fin du parti-Etat et l’instauration du multipartisme. Comment a-t-on accueilli cette annonce à l’université de Lubumbashi? Où étiez-vous ce 24 avril 1990?

Le 24 avril 1990, je me trouvais à l’université de Lubumbashi en tant qu’étudiant en Relations internationales. J’assumais également les « fonctions » de dirigeant sous-cellulaire du département des relations extérieures à l’UNILU.

Dirigeant de quoi?

Dirigeant sous-cellulaire de la brigade de la JMPR/UNILU (Jeunesse du Mouvement Populaire de la Révolution). Nous avons été désignés sous l’empire du MPR parti-Etat. Vous savez autant que moi qu’à l’époque, tous les Zaïrois étaient membres du MPR. Le discours présidentiel annonçant le retour au multipartisme a été accueilli avec joie par les étudiants. Certains de ceux-ci chahutaient déjà les dignitaires du parti-Etat. On entendait des slogans du genre: « Le pouvoir des gens de l’Equateur et des Ngbandi est désormais terminé! ». Je dois dire que depuis toujours, la brigade de la JMPR/UNILU a été dirigée par une majorité des étudiants originaires de l’Equateur.

Le 3 mai, le président Mobutu prononce une seconde allocution dans laquelle il déclare notamment que les partis politiques doivent s’abstenir de toute manifestation publique jusqu’à la promulgation de la loi organisant leur fonctionnement. Ce discours provoque l’agitation estudiantine à travers le pays. Que s’est-il passé à Lubumbashi?

A Lubumbashi, les étudiants avaient mal reçu cette allocution. Pour eux, ils devaient s’en tenir au retour au multipartisme annoncé dans le premier discours. Dès ce moment, l’université était comme divisée en trois groupes. A savoir: les originaires de l’Equateur, les étudiants dont les parents assumaient des fonctions en vue au sein des institutions du pays et les autres. En tout cas, le premier groupe était « très mal vu » par le dernier. Les membres de la brigade de JMPR commençaient à essuyer des attaques verbales.

Et pourtant le dirigeant Mupupa n’était pas originaire de l’Equateur?

Je parle ici de la coalition qui dirigeait la brigade. La brigade était multiethnique avec une prépondérance des originaires de l’Equateur.

Si je vous comprends bien, la brigade de la JMPR/UNILU poursuivait ses activités en dépit de l’annonce de la fin du parti-Etat et du retour au multipartisme?

Absolument! La brigade poursuivait ses activités.

Pourquoi?

Il faut dire qu’au fil du temps, la brigade de la JMPR était devenue un organe chargé du « maintien de l’ordre » au sein du campus universitaire. Plusieurs fois, elle a dû s’interposer pour prévenir notamment des rixes entre étudiants.

Est-il vrai que certains membres de la brigade disposaient des appareils « talkies walkies » pour « moucharder » au profit des autorités provinciales?

C’est parfaitement faux! Il n’y avait aucun appareil de genre.

Que s’est-il passé le 9 mai 1990 dans ce campus?

J’habitais au « Bloc 10 » du campus. Le 9 mai, entre 16h et 17h, des étudiants s’étaient rassemblés. Ils houspillaient ceux de leurs camarades qui revenaient du centre-ville. C’est en ce moment que Koto Rose Baramoto [sœur cadette du général Philémon Kpama Baramoto, patron de la Garde civile], est descendue d’un taxi-bus. De ma chambre, j’entendais les étudiants crier « Ruashi » (traduction: Pute, en argot à Lubumbashi, ndlr), à plusieurs reprises. Selon des témoins, Rose aurait réagi en disant: « Je ne suis pas une ruashi. J’étudie et vis à l’université comme vous. Si vous êtes issus des familles pauvres, c’est votre problème, pas le mien! ». C’est ici qu’une foule a commencé à la molester.

Qu’entendez-vous par « molester »?

Rose a été déshabillée. Des étudiants se sont livrés à des gestes obscènes, innommables sur elle. C’est en ce moment que les membres de la brigade, dont moi-même, sont descendus sur le lieu. Nous avons pu arracher Rose des mains de ses agresseurs pour l’installer dans ma chambre située au deuxième étage du « Bloc 10 ».

Que s’est-il passé après?

Nous avons procuré des habits à Rose avant de la ramener au « Bloc » où logeaient les étudiantes. La tension s’est exacerbée.

Qui était le meneur du mouvement?

C’est le révérend Victor Digekisa Piluka qui était le meneur de ce mouvement.

Quel objectif poursuivait-il?

Dikegisa militait pour la disparition de la brigade de JMPR du campus de Lubumbashi. Il militait également pour la fin du régime Mobutu.

Revenons à Rose Baramoto. Que s’est-il passé après l’agression dont elle a été victime?

Le 10 mai, on assiste à une « chasse à l’homme », Bloc par Bloc, contre tous les étudiants originaires de la province de l’Equateur. C’est le sauve-qui-peut. Les chambres sont pillées. Les objets personnels, cassés ou brûlés. L’opération est menée par des étudiants du Kasaï, du Kivu et dans une certaine mesure, par ceux de Bandundu. Je tiens à dire ici que les ressortissants de la province du Shaba-Katanga étaient restés en dehors de ce conflit, à l’exception de quelques Balubakat. Les enfants Fangbi [du nom du frère de Mama Bobi Ladawa] ont été pourchassés. Zéphirin Zabo Baramoto, le neveu de Rose, a pu échapper à ses poursuivants. Les étudiants Nzongia (Médecine), Mange (Polytechnique) et Yokoto (Science politique) ont eu moins de chance. Ils ont été attrapés et lynchés par une foule d’étudiants en furie. Un « tribunal populaire » a créé pour les « juger ». C’est Digekisa et Mupupa qui le présidaient.

S’agit-il du même Mupupa qui dirigeait la JMPR/UNILU?

Effectivement. Lorsque la « sentence » est tombée vers minuit dans la nuit du 10 au 11 mai. Le 11 mai vers 10h00, Mange était inanimé. Les trois infortunés ont été jetés dans un puits. Des feuilles mortes ont été rassemblées pour y mettre le feu.

A quel moment la Garde civile est-elle intervenue?

C’est lorsque la fumée est devenue visible à des centaines de mètres à la ronde que des éléments de la Garde civile sont intervenus. A l’époque, le contingent de cette unité était dirigé par le major Roger Lokombe. Un bruit a couru, au campus et à travers la ville, selon lequel les trois étudiants étaient morts. En vérité, la Garde civile avait amené les malheureux dans un centre médical de la place.

Il semble que c’est à partir de ce moment que les étudiants originaires de l’Equateur se sont réfugiés en ville pour préparer l’opération « Lititi Mboka »…

Il faut dire que les trois étudiants ont été qualifiés de « mouchards ». On a prétendu qu’ils étaient des « indicateurs » au service du gouverneur Koya Gialo Ngbase te Gerengbo.

Etait-ce vrai?

Rien n’est plus faux. Ce qui est vrai c’est qu’ils appartenaient à la brigade de la JMPR/UNILU.

Ensuite?

Les étudiants de l’Equateur se sont retrouvés au centre-ville. Une question revenait sans cesse: que faire? C’est ici que l’idée d’organiser des représailles a germé dans les esprits.

Comme par hasard, il y a eu coupure d’électricité au campus dans la nuit fatidique du 11 au 12 mai.

C’est un étudiant qui avait coupé le courant. L’opération « Lititi Mboka » visait des cibles bien précises. Il s’agissait de « punir » les étudiants ayant molesté Mange, Nzongia et Yokoto. Je peux vous dire qu’il y a eu des étudiants Luba du Kasaï et Bakongo, membres de la JMPR, qui ont rejoint ceux de l’Equateur pour « visiter » les chambres de Mupupa et Digekisa, les deux « cerveaux » des troubles survenus au campus de Lubumbashi.

Quelle est l’origine du mot de ralliement « Lititi Mboka »?

En fait, les originaires de l’Equateur étaient surnommés « forestiers » à cause de la forêt équatoriale. C’est un étudiant Mongo qui avait trouvé ce mot de passe.

Des soldats de la Division spéciale présidentielle ont-ils participé à l’opération « Lititi Mboka »?

Aucun militaire n’a pris part à « Lititi Mboka ».

Même pas des membres de la Garde civile?

Absolument aucun! C’est une vengeance menée uniquement par des étudiants. Les autorités civiles et militaires de la province ont été mêlées dans cette affaire pour rien.

Selon vous, combien d’étudiants ont-ils perdu la vie lors de ces affrontements?

C’est en écoutant la Radio France internationale que nous appris, non sans étonnement, qu’il y a eu 150 morts. A ma connaissance, un seul mort a été dénombré à l’hôpital général. Il s’agit de l’étudiant Ilombe wa Ilombe.

Dans son ouvrage « Le Dinausore », Colette Braeckman cite le chiffre de 347 morts. Qu’en dites-vous?

C’est du mensonge pur et simple. Parfois, je me méfie des journalistes

Comment expliquez-vous la tournure prise à l’époque par cette affaire?

L’affaire avait pris une tournure politique. Une certaine communauté internationale s’était saisie de l’affaire pour exiger le départ de Mobutu Ses Seko.

Selon les médias, les familles des victimes ont été soudoyées ou intimidées pour ne pas célébrer des deuils?

Peut-on franchement interdire à un Africain de célébrer le deuil d’un enfant ou d’un parent décédé? On a même prétendu que les murs étaient tâchés de sang dans la plupart des chambres. C’est simplement faux.

Pourquoi êtes-vous resté silencieux durant dix-sept ans?

A travers certains médias congolais, j’ai souvent donné ma version de faits sur ce qui s’est passé à Lubumbashi. Je n’ai jamais été cru. Je profite de cette occasion pour exiger un débat public avec Victor Digekisa et Mupupa sur cette affaire. J’espère que les deux hommes vont réagir en lisant mes propos.

 

Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi

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