Une constitution qui bloque l’instauration d’une justice indépendante, impartiale et équitable

Dr François Mpuila

En effet, dans l’actuelle constitution, taillée sur la mesure du Mercenaire:

1. Les pouvoirs du Président de la République sont en réalité absolus et illimités malgré des éléments apparents et faibles de contrepoids:

a) Le Président de la République et le Premier Ministre sont plus protégés que les Institutions
Pour mettre le Président de la République ou le Premier Ministre en accusation, il faut un vote à la majorité des 2/3 des membres du Parlement tandis que pour modifier la constitution, une majorité de 3/5 suffit.
D’après l’histoire de l’Afrique en général et de la RDC en particulier, cette majorité de 3/5 sera facilement trouvée pour modifier la constitution, le nombre et la durée des mandats du Président de la République (art.220); mais il sera pratiquement impossible de trouver la majorité de 2/3 pour mettre le Président de la République et le Premier Ministre en accusation.

b) Une différence notable d’orientation par rapport au texte de la Constitution de la CNS apparaît aussi dans le rejet du célèbre article 7 de la Constitution issu de la CNS (1992): « Le peuple a le droit sacré de désobéir et de résister à tout individu ou groupe d’individus qui prend le pouvoir par la force ou qui l’exerce en violation des dispositions de la Constitution ».
La CNS considère le peuple comme « un sujet du droit » face au pouvoir. C’était l’une de grandes originalités de la CNS. Elle est à la base du droit à l’information. Tandis que l’actuelle constitution a remplacé « le peuple » par « tout Congolais » et le « droit » par le « devoir »: « Tout Congolais a le devoir de faire échec à tout individu ou groupe d’individus qui prend le pouvoir par la force ou qui l’exerce en des dispositions de la présente constitution »« Nul n’est tenu d’exécuter un ordre manifestement illégal lorsque celui-ci porte atteinte aux droits et libertés de la personne humaine » (art. 8) est reprise dans l’actuelle constitution mais assortie d’une clause restrictive: La preuve de l’illégalité manifeste de l’ordre incombe à la personne qui refuse de l’exécuter (art. 28).

2. Le pouvoir judiciaire, malgré toutes les apparences et tous les artifices trompeurs, n’est pas indépendant, il est soumis à la volonté arbitre du Président de la République (Cfr.: Prof A. Mampuya, in « Projet de constitution : copie à refaire » dans le Potentiel n° 3438 des 30-31 mai et 1er juin, toujours p. 17).

L’actuelle constitution fait le retour à la notion de « magistrat suprême ».

Dans un régime démocratique, la souveraineté du pouvoir judiciaire relève du peuple et non par procuration du pouvoir exécutif du Président de la République comme stipule l’actuelle constitution. La référence à la souveraineté du Peuple suffit à légitimer l’impérium du pouvoir judiciaire et à conférer force obligatoire et exécutoire à ses arrêts, jugements et ordonnances.

Ni le pouvoir exécutif, ni le pouvoir législatif ne peuvent « s’opposer à l’exécution d’une décision de justice » (art.151): ce qui enlève toute pertinence à la formule: « les arrêts et les jugements ainsi que les ordonnances des Cours et tribunaux sont exécutés au nom du Président de la République ».

Conséquences: le Président de la République jouit donc de pouvoir absolu, il jouit d’une immunité et d’une impunité totale : il peut casser toute décision judiciaire et il devient même intouchable : aucune décision judiciaire prise contre lui ne pourra être exécutée. Il est inamovible, omniprésent, hyperactif, ubiquitaire (présent partout au même moment), « l’Homme fort du régime » face aux institutions faibles, inactives, amorphes, inertes et inexistantes. Démonstration:

L’actuelle constitution affirme du bout des lèvres que « le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif » et que « la justice est rendue sur l’ensemble du territoire national au nom du peuple », mais la même constitution se contredit en proclamant que « les arrêts et les jugements ainsi que les ordonnances des Cours et tribunaux sont exécutés au nom du Président de la République » (art. 149).

Cette dernière disposition annihile l’indépendance de la justice par rapport au pouvoir exécutif dont le Président de la République est la première institution.

On peut argumenter qu’en sa qualité de « magistrat suprême », le Président de la République est fondé de prêter son nom à l’exécution de toute décision de justice. C’est faux, car la notion de magistrat est ici utilisée dans son sens le plus large désignant tout fonctionnaire ou officier civil investi d’une autorité administrative (tel le maire ou le gouverneur) ou d’une autorité politique (tel le ministre ou le Président de la République).

Certes, cette charge fait de lui l’arbitre du fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des institutions. Si cette prérogative devait justifier que les décisions de justice soient exécutées en son nom, on devrait également admettre qu’il intervienne pour empêcher l’exécution des arrêts et jugements.

Or, ce genre de pouvoir régalien, manifestation des anciennes prérogatives royales, ne persiste, en République, que dans le domaine du droit de grâce (art. 87), lequel droit d’ailleurs n’est plus abandonné à sa compétence exclusive et absolue dans la mesure où il est tenu de prendre l’avis du Conseil supérieur de la magistrature (art. 152).

Du reste, ni le pouvoir exécutif, ni le pouvoir législatif ne peuvent « s’opposer à l’exécution d’une décision de justice » (art.151): ce qui enlève toute pertinence à la formule: « les arrêts et les jugements ainsi que les ordonnances des Cours et tribunaux sont exécutés au nom du Président de la République ».

Même l’argument selon lequel le Président de la République « représente la nation » (art.69) ne tient pas debout. La qualité de « représentant de la nation » n’est pas spécifique au Président de la République, elle est également reconnue au député national (art. 101 alinéa 4). Elle évoque en réalité l’étendue du mandat de ces autorités publiques, élues au suffrage universel direct et secret.

La situation des sénateurs est légèrement différente puisque, élus au second degré par les assemblées provinciales, ils représentent la province, mais exercent un mandat national (art.104).

Au- delà de l’idée de mandat, la qualité de « représentant de la nation » est un référé qui renvoie à la source du pouvoir étatique originel d’où ces autorités publiques tirent leur légitimité, c’est-à-dire la nation.

Le « pouvoir étatique originel », c’est ce que, dans le vocabulaire politique congolais forgé depuis la Conférence Nationale Souveraine, on appelle « le souverain primaire », c’est-à-dire le peuple, l’ensemble des individus composant la nation et liés entre eux par un « contrat social » fondateur de l’Etat.

Ainsi, la séparation des pouvoirs de l’Etat qui est l’un des principes essentiels de l’organisation et du fonctionnement de l’Etat de droit va de pair avec une sorte d’adoubement de chaque pouvoir sectoriel (législatif, exécutif et judiciaire) par le « pouvoir étatique originel ». De telle manière que chacun des trois pouvoirs de l’Etat puise sa souveraineté, et donc son imperium, directement du « pouvoir étatique originel », c’est-à-dire de la souveraineté nationale ou du peuple souverain primaire. Ainsi tout pouvoir sectorial est porteur d’un mandat de « souveraineté secondaire »; aucun pouvoir sectorial ne peut en légitimer un autre ou lui transférer une partie de la souveraineté partielle ou secondaire dont il est investi.

Il est normal que la justice soit rendue sur l’ensemble du territoire national au nom du peuple, et anormal que les décisions des cours et tribunaux soient exécutées au nom du Président de la République. La référence à la souveraineté du peuple suffit à légitimer l’impérium du pouvoir judiciaire et à conférer force obligatoire et exécutoire à ses arrêts, jugements ordonnances.

En réalité, la formule constitutionnelle selon laquelle « les arrêts et les jugements ainsi que les ordonnances des cours et tribunaux sont exécutés au nom du Président de la République », non loin d’être un détail, est grosse de conséquences sur la conception et la réalité même de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Au surplus, elle apporte de la confusion dans l’équilibre des trois pouvoirs de l’Etat et amoindrit la fonction de contrôle du pouvoir judiciaire sur le pouvoir exécutif. En effet, si la Constitution rend le Président de la République justiciable dans certaines conditions et sous certaines modalités devant le pouvoir judiciaire, il ne sera pas possible d’exécuter en son nom une décision judiciaire rendue contre lui.

Le 28 décembre 2021

 

Pour le Leadership National Congolais de Progrès
Dr François Tshipamba Mpuila

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