Vers la fin du cycle des institutions politiques issues des Accords de Sun City: L’heure du bilan en République Démocratique du Congo

Introduction

En avril 2003, la République Démocratique du Congo (RDC) tournait officiellement la page de la guerre avec la signature des Accords de Sun City. Ces accords, salués à l’époque comme un compromis historique, mirent fin à l’un des conflits les plus meurtriers depuis la Seconde Guerre mondiale. En contrepartie de la paix, le pays acceptait la mise en place d’un système politique transitoire fondé sur le partage du pouvoir entre anciens belligérants.

Vingt ans plus tard, le moment est venu de poser un regard critique sur l’héritage de ces accords. Si la paix relative obtenue à Sun City a permis d’éviter la dislocation du pays, elle a aussi posé les fondations d’un système politique dysfonctionnel. Un système qui, au nom de la stabilité, a engendré une prolifération d’institutions, une culture de rente politique, et une gouvernance dominée par le clientélisme, la corruption et l’impunité. Ce texte propose une analyse de fond de ce modèle, de ses conséquences politiques et sociales, et pose la question essentielle: n’est-il pas temps d’envisager une certaine évolution de ce cycle politique issu de Sun City et d’engager une refondation institutionnelle à la hauteur des aspirations intrinsèques du peuple congolais?

I. Sun City: un compromis pour la paix, un prix pour la gouvernance

En proie à une guerre fratricide depuis 1996, la République Démocratique du Congo s’était progressivement désintégrée en plusieurs entités politico-militaires, chacune contrôlant une partie du territoire. À l’Ouest et au Sud, subsistait le gouvernement central, dirigé successivement par Laurent-Désiré Kabila et Joseph KABILA. À l’Est, le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD-Goma), soutenu logistiquement et militairement par le Rwanda, étendait son autorité sur une large portion du Kivu et du Maniema. Le Nord et le Nord-ouest, notamment dans la province de l’Équateur, était sous le contrôle du Mouvement de Libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba, adossé à l’armée ougandaise. Chaque faction imposait sa propre administration, sa fiscalité, son appareil de sécurité, sa justice, et sa propre vision du pouvoir.

Le pays, morcelé, était devenu ingouvernable. Les lignes de front se stabilisaient sans qu’aucune force ne puisse l’emporter militairement. Pendant ce temps, la population, livrée à elle-même, subissait le poids insoutenable des exactions: violences sexuelles massives, déplacements forcés, pillages, enrôlements d’enfants soldats, insécurité alimentaire chronique et effondrement des structures sanitaires et éducatives. Le tissu social était en lambeaux, le désespoir grandissant.

Dans ce contexte d’impasse militaire et de pression diplomatique internationale croissante notamment de la part de l’ONU, de l’Union africaine et de la SADC, une solution politique devenait inévitable. Les négociations de Sun City, ouvertes en avril 2002 en Afrique du Sud, et parrainées notamment par M. Thabo Mbeki, alors Président de la République sud-africaine, s’inscrivaient dans cette logique. L’enjeu n’était pas tant de désigner un vainqueur que d’éviter l’implosion définitive de l’État congolais.

Les Accords dits de « Sun City » (2002-2003), bien que controversés, furent donc perçus comme un mal nécessaire. La paix, ou du moins la cessation des hostilités ouvertes, fut « achetée » au prix d’un compromis politique majeur: le principe du partage de pouvoir. Le postulat était simple: intégrer tous les belligérants dans les structures de l’État afin de les inciter à abandonner les armes. Un gouvernement de transition fut mis sur pied avec un président, quatre vice-présidents issus des principales factions (le gouvernement, le RCD, le MLC et l’opposition non armée), et une multitude de ministères, d’institutions et de commissions. L’armée, la police, les entreprises publiques, la diplomatie et le parlement furent également soumis à une répartition selon des équilibres politiques fragiles.

Ce « deal » permit de maintenir une forme de stabilité minimale et de préparer les premières élections générales de 2006. Mais en réalité, ce modèle de gouvernance hybride portait en lui les germes de l’immobilisme et de la dérive institutionnelle. Il consacra l’idée d’un État non pas au service de la réforme, mais comme un butin à se partager. L’administration publique fut perçue moins comme un outil de gouvernance que comme un instrument d’enrichissement personnel et de fidélisation politique.

Loin d’être temporaire, ce système de partage du pouvoir s’est enraciné durablement avec ses tares dans la culture politique congolaise. D’élections en nominations, de remaniements en crises politiques, les postes publics sont restés un enjeu de marchandage permanent, souvent au détriment de la compétence, de la recevabilité et de l’intérêt général. À l’évidence, le modèle Sun City, bien qu’ayant mis fin à la guerre, a également nourri une gouvernance de compromission, gangrenée par des logiques clientélistes et des réseaux de corruption.

II. Le monstre institutionnel à tête de Janus: clientélisme, duplications et inefficacité

L’héritage institutionnel des Accords de Sun City ne s’est pas simplement limité à une architecture de transition. Il a donné naissance à un système de gouvernance profondément ancré dans la logique du clientélisme politique, de la duplication des fonctions, et de l’inefficacité gouvernementale. Cette configuration peut être assimilée à un véritable monstre à tête de Janus: un visage tourné vers la paix apparente, l’autre vers la prédation et la désacralisation organisées de l’Etat. En effet, au nom de l’équilibre politique et de la cohabitation pacifique des ex-belligérants, des institutions pléthoriques ont été créées, souvent sans logique fonctionnelle ni souci de rationalisation. D’un gouvernement à l’autre, la taille de l’exécutif n’a cessé d’enfler: on a vu se succéder des cabinets comptant jusqu’à 65 ministres et vice-ministres, des dizaines de secrétaires généraux, des conseillers spéciaux, des ministres d’État, des commissaires et des ambassadeurs itinérants, tous nommés par des quotas politiques plus que par compétence ou utilité. Il ne s’agit plus de gouverner, mais de « récompenser », de distribuer des postes pour contenir les ambitions, éteindre les contestations, ou s’assurer la loyauté des réseaux politiques et militaires.

À cela s’ajoute la prolifération des structures paraétatiques ou mixtes, sans véritable mission claire ni cohérence administrative: agences nationales à tout faire, commissions transversales, cellules de pilotage des réformes, autorités morales ou d’orientation, institutions d’appui à la démocratie à l’efficacité douteuse… Chacune est dotée d’un budget, de personnel, d’un siège, d’une flotte de véhicules et d’un protocole, mais très peu sont évaluées sur leurs résultats. Certaines de ces structures doublonnent les ministères, d’autres fonctionnent comme de simples réservoirs d’emploi politique. Cette inflation institutionnelle a un coût: le budget de fonctionnement de l’État représente chaque année près de 60% à 70% des dépenses publiques, laissant très peu de place à l’investissement social ou à la relance économique. L’éducation publique reste dans un état critique, les hôpitaux manquent de matériel, les routes sont à l’abandon, et l’accès à l’eau potable demeure un luxe dans de nombreuses provinces. Le citoyen, quant à lui, voit se multiplier les sigles institutionnels sans qu’aucun changement tangible n’améliore son quotidien. Ce système, en apparence « inclusif », est en réalité excluant. Il concentre les ressources entre les mains d’un microcosme politique fermé, tourné vers ses propres intérêts. Il favorise la corruption, car plus l’appareil de l’État est vaste et flou, plus il devient difficile de contrôler les flux financiers, de demander des comptes, ou d’établir les responsabilités. À défaut d’une vision d’ensemble ou d’un projet de société, ce système produit de l’immobilisme. Il entretient un cycle de stagnation politique, où la survie du régime prime sur la transformation de l’État. Enfin, la conséquence ultime de cette architecture dévoyée est la perte de confiance dans les institutions républicaines. L’inefficacité chronique, les scandales à répétition, les promesses non tenues et l’arrogance des élites finissent par convaincre les citoyens que le politique n’est qu’un jeu de rente et de privilèges. Or, une démocratie sans légitimité institutionnelle est une démocratie vidée de son sens.

III. Un système politique miné par le manque d’éthique et la personnalisation du pouvoir

Si les Accords de Sun City ont permis de mettre fin à la guerre, ils ont aussi, en posant les bases d’un système politique de cooptation sans exigence idéologique ni moralité publique, semé les germes d’un désordre politique durable. En l’absence de mécanismes solides de redevabilité démocratique, la scène politique congolaise s’est transformée en un théâtre de partis politiques-fantômes, souvent dénués de programme cohérent, fondés non pour servir l’intérêt général, mais pour propulser et protéger des ambitions personnelles ou claniques. Ces partis-écuries, selon l’expression consacrée, ne disposent généralement ni d’une base militante active, ni d’un véritable ancrage populaire, moins encore d’une culture démocratique interne. Ils fonctionnent autour d’une figure centrale: l' »autorité morale » qui y règne en monarque absolu. Les postes attribués au sein du parti sont d’abord réservés aux membres de sa famille (enfants, conjoint(e), beau-frère, belle-sœur, cousins…), tandis que les quelques fonctions restantes sont distribuées aux fidèles les plus dévoués, choisis non pour leurs compétences, mais pour leur loyauté et voire leur obséquiosité face au chef. Les partis existent essentiellement comme des instruments de négociation de postes ou de gestion clientéliste du pouvoir. Les alliances politiques se nouent et se dénouent au gré des intérêts individuels, dans une logique de marchandage permanent.

Ce phénomène a profondément affaibli l’Etat et miné la légitimité du système représentatif. Il est désormais courant de voir un politicien changer de camp plusieurs fois en une législature, en fonction de celui qui tient les cordons de la bourse publique ou garantit un accès aux ressources de l’État. Dans ce contexte, la corruption n’est pas un dysfonctionnement du système: elle en est le carburant. L’accès au pouvoir devient synonyme d’accès aux ressources. Les fonctions politiques sont vues comme des rentes à exploiter, et non comme des charges au service de la Nation. Le détournement des deniers publics est rarement sanctionné; au contraire, il est souvent toléré, voire récompensé, pourvu qu’il s’inscrive dans la logique du partage entre alliés politiques. Des centaines de millions de dollars s’évaporent chaque année des caisses de l’État, pendant que les hôpitaux manquent de médicaments, que les enseignants attendent leurs salaires et que les jeunes peinent à trouver un emploi digne. Parallèlement, la justice pourtant pilier fondamental de tout État de droit reste profondément inféodée au pouvoir politique. Elle est non seulement instrumentalisée selon des logiques claniques, mais également dominée, dans sa haute hiérarchie, par des personnalités issues majoritairement de la tribu du chef de l’État. Ce biais d’appartenance compromet gravement son indépendance et sa capacité à incarner l’impartialité nécessaire à la garantie des droits et libertés des citoyens. Les procès pour corruption sont rares et sélectifs. La magistrature est perçue comme un instrument de règlement de comptes politiques plus qu’un levier de moralisation de la vie publique. Cette déliquescence de l’appareil judiciaire consacre l’impunité comme norme. Les scandales de gestion passent sans conséquence, les rapports des cours des comptes sont ignorés, les recommandations des organes de contrôle ne donnent lieu à aucune réforme concrète. L’Assemblée nationale, censée incarner la souveraineté populaire, est réduite à un théâtre d’acquiescement ou de marchandage. Le phénomène des « motions monnayées », des « lois sur commande », et des « groupes parlementaires à géométrie variable » a renforcé l’idée d’une démocratie de façade, où les institutions législatives sont largement instrumentalisées au profit des calculs politiciens du moment. Les débats publics sont appauvris, les initiatives législatives indépendantes sont marginalisées, et les citoyens assistent impuissants à un ballet d’acteurs politiques dont les intérêts personnels l’emportent systématiquement sur ceux de la Nation.

Quant au processus électoral, il reste l’une des expressions les plus perverties de cette déliquescence. Les élections, au lieu d’être des moments de légitimation démocratique, sont devenues des rituels d’exclusion, souvent entachés de fraudes massives, d’irrégularités procédurales et de violences. La Commission électorale nationale indépendante (CENI) est régulièrement soupçonnée de partialité. L’enrôlement des électeurs, le traitement des résultats, l’annonce des vainqueurs sont entourés d’opacité, ce qui alimente la méfiance des citoyens et affaiblit davantage le lien entre gouvernés et gouvernants. Ainsi, le système né des Accords de Sun City, censé pacifier, a paradoxalement institutionnalisé une culture politique marquée par l’immoralité, la personnalisation du pouvoir, et l’accaparement des biens publics. Cette culture fait obstacle à toute tentative de réforme de l’Etat. Elle bloque les dynamiques de renouvellement politique, dissuade les talents de s’investir dans le service public, et enferme le pays dans un cycle infernal de crise de gouvernance.

IV. Trois cycles électoraux, une paix stagnante: et maintenant?

Depuis 2006, la République Démocratique du Congo a organisé trois cycles électoraux censés marquer l’ancrage progressif du pays dans une culture démocratique post-conflit. Certes, l’on peut reconnaître l’existence formelle d’une alternance au sommet de l’État, notamment avec le départ de Joseph Kabila en 2019 après 18 ans de règne. Toutefois, cette alternance est restée largement symbolique, tant les mécanismes du pouvoir n’ont pas été transformés en profondeur. Ces processus électoraux, loin de représenter des moments de renouveau démocratique, ont systématiquement été entachés de fraudes massives, d’opacité dans la gestion des listes électorales, d’irrégularités dans le dépouillement, et de manipulation des institutions censées garantir l’intégrité du scrutin, notamment la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) et la Cour Constitutionnelle. L’achat de consciences, le clientélisme ethno régionaliste et l’usage abusif des ressources publiques pour financer les campagnes électorales sont devenus des pratiques courantes.

Vingt ans après les Accords de Sun City, la RDC semble figée dans un cycle de gouvernance de crise permanente, marqué par l’urgence, l’improvisation et l’absence de vision stratégique. Les mêmes figures politiques continuent de monopoliser les postes de pouvoir, en changeant de coalitions mais non de pratiques. L’alternance, lorsqu’elle survient, ne débouche ni sur une refondation des institutions ni sur une amélioration tangible des conditions de vie des citoyens. Les grandes réformes attendues: réforme de la justice, restructuration de l’armée, modernisation du système fiscal, relance du tissu économique local, restent perpétuellement repoussées ou vidées de leur contenu dès qu’elles menacent des intérêts établis. La paix acquise à Sun City, au lieu de servir de tremplin pour un nouveau contrat social entre l’État et ses citoyens, a été détournée en un mécanisme de reproduction des élites politiques, au détriment des aspirations populaires.

Le pacte social n’a jamais été reconfiguré pour répondre aux besoins fondamentaux du peuple: emploi, éducation, santé, sécurité, justice. En son lieu, c’est une paix de façade, administrative et institutionnelle, qui prévaut, alimentée par une classe dirigeante plus préoccupée par sa propre survie que par la transformation du pays. La question demeure alors : après trois cycles électoraux faiblement démocratiques et une paix stagnante, le pays peut-il encore se contenter de ce modèle hérité de Sun City ? N’est-il pas temps d’envisager une nouvelle architecture politique fondée sur la compétence, la redevabilité, et le mérite, plutôt que sur les compromis partisans et les quotas éthnopolitiques?

V. Vers une Refondation Etatique

Deux décennies après les Accords de Sun City, la République Démocratique du Congo ne peut plus se contenter d’un système politique bâti sur des compromis de guerre, des alliances de circonstance et des logiques de cooptation. Si cet accord a, à son époque, permis d’arrêter le fracas des armes, il a également figé la gouvernance dans un modèle fondé sur la suspicion mutuelle, l’opacité institutionnelle et l’inefficacité systémique. Ce modèle est désormais à bout de souffle. Il est urgent d’ouvrir un nouveau cycle historique, basé non plus sur le rachat de la paix, mais sur la construction d’un État moderne, équitable et réactif basé sur un modèle authentique au peuple Congolais. La RDC a besoin d’un nouveau pacte politique, non fondé sur la méfiance entre anciens ennemis, mais sur une vision claire et partagée de l’intérêt général. Ce pacte doit reposer sur quatre piliers structurants:

Rationalisation des institutions

Il faut rompre avec l’obsession de la représentation symbolique au détriment de la fonctionnalité. Le pays croule sous une architecture institutionnelle hypertrophiée, inefficace et budgétivore. Une réforme structurelle doit viser:

  • La suppression des doublons administratifs et des institutions redondantes créées sans objectifs clairs;
  • L’allègement des structures gouvernementales avec des ministères recentrés sur leurs missions essentielles;
  • La limitation des postes politiques pléthoriques (ministres délégués, conseillers spéciaux, coordonnateurs d’agences éphémères, etc.) dont l’efficacité pose question;
  • La révision à la baisse du train de vie des institutions.

Réforme profonde du système électoral

Sans élections libres, transparentes et crédibles, aucune démocratie ne peut s’enraciner. Le processus électoral congolais doit être entièrement revu:

  • Mise en place d’une Commission électorale véritablement indépendante, issue d’un processus participatif et transparente dans sa gouvernance;
  • Révision de la loi électorale pour renforcer les mécanismes de contrôle, limiter la fraude et garantir une représentativité équitable;
  • Introduction de procédures de contentieux électoral réellement efficaces et impartiales, avec des délais contraignants et une pleine autonomie de la justice;
  • Création d’un système électoral typiquement congolais, adapté aux mœurs et à la culture Congolaise.

Réforme des partis politiques

Les partis politiques congolais doivent cesser d’être des instruments patrimoniaux entre les mains d’individus ou de clans familiaux. Leur multiplication anarchique, souvent sans base idéologique, sans programme structuré ni démocratie interne, a contribué à la décomposition du jeu politique et à l’effondrement de la légitimité institutionnelle. Une réforme radicale du paysage partisan est aujourd’hui une priorité démocratique. Pour cela, il faut instaurer un nouveau cadre juridique, avec des mesures claires et contraignantes:

  • Encadrement strict du financement politique, pour prévenir l’influence de l’argent sale, des réseaux affairistes ou d’intérêts étrangers sur la vie publique;
  • Démocratie interne obligatoire: tenue régulière de congrès, élections libres des dirigeants, publication transparente des finances et des comptes;
  • Reconnaissance légale réservée aux partis disposant d’un enracinement populaire réel, démontré par une implantation territoriale significative, une base militante active et une participation régulière à la vie démocratique du pays.

Dans cette perspective, il serait peut-être pertinent de s’inspirer du modèle annoncé par le Maréchal Mobutu dans son discours du 24 avril 1990, lorsqu’il prônait l’instauration d’un multipartisme limité à trois grandes familles politiques:

Une tendance de gauche

Une tendance centriste ou libérale

Une tendance de droite conservatrice

Ce modèle, s’il avait été véritablement appliqué avec rigueur et transparence, aurait pu permettre un encadrement rationnel du pluralisme, tout en évitant la fragmentation et la volatilité qui minent aujourd’hui le système congolais. Revenir à une forme de multipartisme structuré autour de trois grands pôles idéologiques, tout en respectant les principes démocratiques et pluralistes, pourrait:

  • renforcer la lisibilité de l’offre politique;
  • responsabiliser les partis autour de projets de société clairs;
  • favoriser une alternance fondée sur des programmes, et non sur des coalitions d’intérêts opportunistes. Il ne s’agit pas ici de revenir à une logique autoritaire ou monolithique, mais de créer les conditions d’un pluralisme responsable, encadré par la loi et orienté vers le bien commun.

Refondation de la justice

Sans une justice forte, autonome et impartiale, aucune société ne peut espérer ni la paix sociale, ni la prospérité durable. En République Démocratique du Congo, le système judiciaire reste l’un des secteurs les plus sinistrés de l’État. Sa dépendance chronique vis-à-vis du pouvoir exécutif, ses pratiques clientélistes, l’absence de reddition de comptes, et son instrumentalisation politique ont profondément sapé la confiance des citoyens dans l’État de droit.
La réforme de la justice ne peut plus être un simple slogan électoral. Elle doit devenir une priorité nationale, structurée autour de principes clairs et non négociables:

  • Nomination des magistrats sur la base de critères de compétence, d’intégrité et d’indépendance, et non de proximité ethnique, clanique ou politique;
  • Suppression des interférences du pouvoir exécutif dans la gestion des carrières judiciaires, notamment à travers une réforme en profondeur du Conseil Supérieur de la Magistrature, qui doit devenir une institution indépendante, contrôlée par les pairs et ouverte à la société civile;
  • Création de juridictions spécialisées pour traiter des crimes économiques, du blanchiment d’argent, de la corruption et des détournements de fonds publics – avec des magistrats et des greffes formés et protégés;
  • Protection effective des juges et procureurs, notamment ceux qui luttent contre les mafias politico-financières ou les intérêts liés aux multinationales prédatrices.

Mais au-delà de ces réformes techniques, il faut revisiter le fondement même de notre système judiciaire. Le modèle hérité de la colonisation belge – rigide, centralisé, formel s’est montré inadapté aux réalités sociales, culturelles et territoriales congolaises. Une véritable refondation de la justice exige une réconciliation avec les traditions congolaises de régulation des conflits, fondées sur la médiation, la réparation, la recherche de consensus et le respect de la dignité humaine comme cela est cours dans de nombreux pays africains. En effet, dans certains Etats à tradition anglo-saxonne (comme le Ghana, le Kenya, l’Afrique du Sud ou le Botswana), les systèmes judiciaires ont su articuler modernité institutionnelle et enracinement culturel, en valorisant les mécanismes locaux de justice communautaire, tout en garantissant l’État de droit. La RDC gagnerait à:

  • reconnaître et encadrer légalement les mécanismes de justice traditionnelle, là où ils existent encore, afin d’en faire des auxiliaires crédibles de la justice nationale, surtout dans les zones rurales ou reculées;
  • s’inspirer de la souplesse et de l’accessibilité du droit anglo-saxon, notamment dans la simplification des procédures, la transparence des décisions et la proximité entre les justiciables et les institutions;
  • former une nouvelle génération de magistrats enracinés dans les réalités congolaises, conscients de leur rôle de gardiens du pacte républicain et non d’exécutants d’agendas politiques ou financiers.

La refondation de la justice est donc à la fois une réforme institutionnelle, culturelle et morale. Elle doit redonner au peuple congolais la conviction que le droit n’est plus un instrument de domination, mais un outil de justice, d’équité et de pacification. Ce chantier de refondation ne pourra aboutir sans volonté politique ferme, guidée non par des calculs électoralistes, mais par le sens de la responsabilité historique. Il nécessitera aussi une mobilisation citoyenne consciente, informée et exigeante, capable d’imposer un nouveau rapport de force dans l’espace public. C’est par cette double dynamique, celle d’un leadership visionnaire et celle d’un peuple éveillé, que la RDC pourra enfin tourner la page des accords de paix devenus des carcans, pour entrer dans une ère de reconstruction républicaine.

Conclusion: Rompre le cycle et bâtir un nouveau pacte républicain

Le cycle politique issu des Accords de Sun City touche à sa fin. Pensé comme une solution transitoire pour sortir d’une guerre fratricide, ce modèle de « gouvernance par cooptation » a permis d’éviter l’effondrement total de l’État congolais au début des années 2000. Néanmoins, plus de deux décennies plus tard, il apparaît pour ce qu’il est: un dispositif d’urgence devenu un carcan, un système figé dans la rente politique, l’inflation institutionnelle et la déconnexion totale d’avec les besoins du peuple.

Il est temps de le reconnaître lucidement: la paix ainsi obtenue ne peut plus servir de prétexte à la perpétuation d’un système déliquescent, où l’inertie est devenue doctrine, et la stagnation politique d’État. La RDC n’est pas à court de ressources, ce qui lui fait défaut, c’est un cadre institutionnel assaini, une éthique publique réhabilitée, et un cap politique clair, débarrassé des démons du passé. La génération actuelle porte une responsabilité historique: rompre avec l’héritage de Sun City, non par rejet de la paix, mais par exigence de justice, d’efficacité et de dignité.

Mais cette refondation ne pourra pas se faire sur les seuls décombres du modèle hérité. Elle doit reposer sur un pacte républicain authentiquement congolais, enraciné dans nos réalités sociales, culturelles et historiques. L’État moderne congolais ne peut plus se construire uniquement sur les bases d’un centralisme hérité de la colonisation et d’un mimétisme institutionnel occidental. Nous devons restituer une part légitime du pouvoir aux véritables détenteurs historiques de l’autorité: les communautés locales, les chefferies coutumières, les territoires et les ethnies, longtemps marginalisés dans la prise de décision nationale. Cela ne signifie pas un retour au tribalisme, mais la reconnaissance de la diversité culturelle comme fondement de l’unité nationale.

Il est désormais impératif de reconnaître que le modèle institutionnel unitaire imposé depuis plus de six décennies a échoué. Hérité de la colonisation et reproduit sans adaptation, il s’est révélé incapable d’assurer l’équilibre entre la diversité du pays et l’efficacité de l’État. Il a marginalisé les territoires, concentré les pouvoirs à Kinshasa, et alimenté un centralisme bureaucratique stérile et corrompu. Face à cette faillite, la RDC doit se doter d’un nouveau pacte républicain fondé sur le fédéralisme. Un fédéralisme conçu non comme une menace à l’unité nationale, mais comme une reconnaissance politique et institutionnelle de sa diversité géographique, culturelle et historique. Il s’agit de construire un État fort de ses composantes, et non contre elles.

Ce pacte républicain fédéral devra intégrer:

  • L’option claire pour un fédéralisme constitutionnel, permettant à chaque province ou entité fédérée de disposer de pouvoirs législatifs, budgétaires et administratifs étendus, adaptés à ses réalités locales;
  • Un partage équitable des ressources naturelles et fiscales, fondé sur la redevabilité, la transparence et la solidarité nationale;
  • La valorisation des pouvoirs locaux et coutumiers, dans le respect des droits humains, de l’égalité entre citoyens et de l’État de droit;
  • La redéfinition des compétences de l’État central, limitées aux fonctions régaliennes (défense, diplomatie, monnaie, justice constitutionnelle) et au rôle de garant de l’unité nationale.

Le fédéralisme apparaît ici non comme un luxe ou une concession, mais comme le seul modèle viable pour sortir de la logique d’un État hypercentralisé, prédateur, inefficace et source de frustrations permanentes. Il permettra de rapprocher la gestion publique des citoyens, de stimuler les initiatives locales, et de responsabiliser les élites régionales, aujourd’hui souvent déconnectées des réalités de leur base. Ce changement de cap ne pourra réussir que s’il s’accompagne d’une mobilisation citoyenne exigeante, d’une refondation morale de la vie publique, et d’une volonté politique sincère de tourner la page du modèle hérité de la transition armée. Il ne s’agit pas de nier les acquis de Sun City, mais de passer de la paix par la répartition de postes à la paix par la construction d’un État juste, responsable et enraciné sur des valeurs locales.

L’histoire de la RDC ne doit plus s’écrire dans l’attente ou la survie, mais dans l’ambition et la reconstruction. L’heure est venue pour notre génération d’assumer pleinement cette responsabilité: transformer la fin du cycle de Sun City en acte fondateur d’une nouvelle République fédérale, démocratique et souveraine: LA REPUBLIQUE FEDERALE DU CONGO-ZAÏRE, tel que projeté par la Conférence nationale souveraine.

Plate forme des acteurs Politiques Indépendants de l’étranger
Maître Toussaint Mundelengolo | Avocat

3 commentaires sur Vers la fin du cycle des institutions politiques issues des Accords de Sun City: L’heure du bilan en République Démocratique du Congo

  1. Vous avez dit  » compromis pour la  » moi je dis que Sun City n’était qu’une espèce de messe noire pour balkaniser notre pays. Toutes les institutions issues de ce forum sont à la base de la descente aux enfers de notre nation. Ce compromis trouvé a la hussard a créé un monstre à 4 têtes pour aboutir à la rédaction d’une constitution taillée sur mesure pour assurer l’avenir politique de celui qui continue à se faire appeler Kabila. Ceux qui sont à la base de cette mascarade doivent présenter des excuses au peuple congolais. Il est plus que temps de doter notre pays des instructions qui répondent à nos réalités. Après les baves de l’ogre de Kingakati, les congolais doivent maintenant prendre conscience du danger que représentent ces institutions.

    • Fédéralisme sur quel modèle? Suisse, allemand, étatsunien? La superposition des structures budgetivores et inutiles que l’on déplore au niveau national ne va-t-elle pas se reproduire au niveau des États fédéraux ? Comment résoudre l’équation fondamentale concernant la qualité des hommes ?

  2. Le « Paradis » dont rêvaient les Congolais via les Accords de Sun-City se materialise sous le klepto-regime Tshilejelu de Felix et sa bande d’ex-frappeurs venus de Matonge. Maintenant que Kabila est poursuivi, les $Millards disparus dans les poches de Felix et sa bande de frappeurs et les mines de l’ Etat detenues par sa famille vont revenir au Tresor. Les routes, hopitaux et ecoles (inclu celles a Kabeya-Kamwanga avec eleves a meme-le-sol par manque d’equipments scolaires), seront tres vite reconstruits. Donc, quand Kabila ceda le pouvoir a ton idole dans leur « arrangement mafieux » (au detriment du gagnant Fayulu en 2019) il etait Congolais et leur deal etait « constitutionnel » et legitime. Maintenant que Kabila s’oppose au klepto-regime Tshilejelu, il est Rwandais. Avec Kabila hors-jeu, ton idole jouissseur faineant et voleur connu meritera ainsi une presidence-a-vie via modification de la Constitution. Bref, tu raisonnes ici et reves comme les « Wewas » moisissant sous les manguiers de (l’autre nullard) Kabuya a Limete!

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