Blanchiment des minerais: Apple, Intel, Samsung, Nokia, Motorola et Tesla impliquées à l’Est de la RDC

Gaston Mutamba Lukusa

Dans un rapport publié le 27avril, l’ONG britannique Global Witness affirme que de grandes entreprises comme Apple, Tesla ou encore Intel blanchissent des matières premières issues du conflit dans l’Est du Congo-Kinshasa en s’appuyant sur un programme censé pourtant aider à la certification des minerais en garantissant leurs chaînes d’approvisionnement. Ce programme s’appelle ITSCI (Initiative de la chaîne d’approvisionnement de l’étain). En 2009, l’Association internationale de l’étain (ITA), rejointe par le Centre international d’étude de tantale et niobium (TIC), a créé l’Initiative de la chaîne d’approvisionnement de l’étain (ITSCI). L’ITSCI a pour objectif de fournir une chaîne de traçabilité fiable des minerais, garantissant que leur extraction ne contribue pas au travail des enfants ou à la résurgence des groupes armés. Dans le cas du Congo, cela signifie que les minerais doivent provenir de mines validées par les autorités. Au Rwanda, où il n’y a pas de groupes armés en activité, cette chaîne de traçabilité assure avant tout que les minerais n’ont pas été introduits en contrebande depuis le Congo. Dans les deux pays, les fonctionnaires chargés de mettre en œuvre ITSCI scellent et étiquettent les sacs de minerais légitimes, avant que ces derniers ne soient acheminés pour leur traitement ou leur exportation. En fait, ce programme porte sur les chaînes d’approvisionnement dans la région des Grands Lacs des métaux dits « 3T ». Il s’agit de l’étain, du tantale et du tungstène. Ces métaux sont fort utilisés dans les équipements électroniques tels que les téléphones portables, les ordinateurs et les systèmes automobiles ou aéronautiques. L’armée congolaise et les groupes armés rivaux voient dans le contrôle des mines et le commerce des minerais une source vitale de revenus. Le commerce de ces minerais contribue de ce fait à de violents conflits et à de graves violations des droits humains.

Les complicités congolaises

Suivant le rapport, « la preuve la plus frappante des failles du mécanisme dans l’Est du Congo se trouve dans la région de Nzibira, où un centre de négoce représente près de 10% des minerais étiquetés dans la province du Sud-Kivu en 2020. Au premier trimestre 2021, la production des mines validées de la zone de Nzibira représentait moins de 20% des quelques 83 tonnes de minerais 3T étiquetés localement. Les entretiens menés avec des fonctionnaires, des négociants, des exploitants et d’autres acteurs confirment que la majeure partie des minerais étiquetés proviennent de mines non validées situées sur les territoires voisins, y compris des mines occupées par des milices et mobilisant fréquemment le travail des enfants. L’une de ces mines, Lukoma, est occupée par une milice faisant usage de la force contre la population locale. Elle force les exploitants artisanaux à y travailler sans rémunération et prélève une taxe aux négociants. Il semblerait que le ministère des Mines y étiquette les sacs de minerais tout en ayant connaissance de cette taxe illégale… La situation à Nzibira ne fait pas figure d’exception. Non loin de là, à Lubuhu, on recensait au premier trimestre 2021 un volume de cassitérite (étain) étiqueté 15 fois supérieur à la production des deux mines validées dans les environs… » De même, des minerais blanchis par SAKIMA et étiquetés par ITSCI passent ensuite entre les mains des deux plus grands exportateurs de coltan dans le Nord-Kivu, également membres d’ITSCI: la Coopérative des artisanaux miniers du Congo (CDMC) et la Société générale de commerce SARL (SOGECOM). Global Witness a découvert que le président de la CDMC était John Crawley, un homme d’affaires britannique également ex-président du TIC.

L’intermédiaire rwandais

Selon Global Witness, la possibilité pour le Rwanda, petit producteur minier, d’étiqueter des minerais frauduleux afin de les exporter de façon légitime semble avoir encouragé les filières de contrebande en provenance du Congo. Pendant des années, seuls 10% des minerais exportés par le pays avaient réellement été extraits sur son territoire, les 90% restants ayant été introduits illégalement à partir du Congo. La plus grosse de ces sociétés, Minerals Supply Africa (MSA), a pendant plusieurs années été le principal exportateur de minerais 3T du Rwanda. Entre 2011 et 2017, seule une infirme portion des exportations rwandaises avait effectivement été extraite dans le pays. L’homme d’affaire suisse Chris Huber (actuellement sous le coup d’une enquête criminelle pour crimes de guerre en RDC) aurait lui aussi profité du programme ITSCI pour blanchir des minerais par l’intermédiaire d’au moins trois sociétés différentes. En examinant les chaînes d’approvisionnement, Global Witness a pu répertorier des sociétés qui se sont probablement approvisionnées en minerais de conflit ou de contrebande. Il s’agit notamment de fonderies et d’intermédiaires basés à Hong Kong, à Dubaï, en Thaïlande, au Kazakhstan, en Autriche, en Malaise et en Chine. Ces minerais pourraient se retrouver dans des appareils vendus par des marques internationales comme Apple, Intel, Samsung, Nokia, Motorola et Tesla.


Gaston Mutamba Lukusa

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