Jean-Jacques Lumumba: « J’encourage les avocats de Joseph Kabila à saisir les instances judiciaires! »

Fleuve Congo Hôtel. Jeudi 23 décembre. Parlant au nom d’un « Collectif d’avocats », l’avocat Raphaël Nyabirungu Mwene Songa a annoncé que l’ex-président « Joseph Kabila » entend « saisir incessamment » les instances judiciaires tant nationales qu’internationales pour laver son honneur. En cause, l’enquête « Congo Hold-Up » dans laquelle lui et ses proches sont épinglés dans des cas de détournements notamment de 138 millions de $US d’argent public. Ce n’est pas tout. Congo Indépendant a interrogé Jean-Jacques Lumumba à ce sujet. Ancien cadre à la BGFI Bank à Kinshasa, ce petit-fils de « Patrice-Emery » du même nom, fut le premier à alerter l’opinion sur les agissements pour le moins scandaleux en cours dans ladite institution financière à capitaux gabonais. Documents à l’appui, le « lanceur d’alerte » avait révélé, via le quotidien bruxellois « Le Soir » daté du 9 décembre 2016, des détournements d’argent public à partir du compte de la Ceni (Commission électorale nationale indépendante). Et ce au profit de Flory Kabange Numbi, alors procureur général de la République. Des individus proches de ce haut magistrat avaient été épinglés comme « bénéficiaires »: Lenge Umpungu (3.207.433 $ US), Kisula Ngoy (4.970.000 $ US) et Kibango Mujinga (352.000 $ US). A l’époque, le compte de cette Centrale électorale présentait un solde créditeur de 45 millions $ US. Lumumba avait révélé également le transfert, par la Banque Centrale du Congo (BCC), d’un montant de 42 millions $US au crédit du compte de la société privée « Egal » ouvert à la BGFI. Ce pactole n’était guère mentionné dans le capital de cette entreprise dans laquelle la famille « Kabila » serait majoritaire. Depuis le mois de novembre 2021, un consortium des médias et lanceurs d’alerte publie des larges extraits d’une enquête intitulée « Congo Hold-Up ». Sur le banc des accusés, il y a l’ex-chef de l’Etat et des membres de sa famille et clan. Jeudi, l’homme est sorti de son mutisme légendaire en confiant la défense de sa cause à un groupe d’avocats. Jean-Jacques Lumumba a suivi le point de presse animé par Me Nyabirungu qui chapeaute le Collectif. INTERVIEW.

Quelle est votre réaction après la « conférence de presse » tenue jeudi 23 décembre par l’avocat Raphaël Nyabirungu, qui fait partie du Collectif d’avocats chargé de « conseiller » l’ex-président « Joseph Kabila »?

C’est une « grande première » de la part de cet homme réputé « taiseux ». Généralement, c’est son parti le PPRD qui a l’habitude de réagir en pareille situation. Pour la première fois, ce rôle est confié à des avocats. J’estime que le moment est venu de faire éclater la vérité. Il [Joseph Kabila] aurait dû sortir de sa « tanière » plus tôt au moment où les enquêteurs le sollicitaient pour recueillir sa version des faits. J’imagine qu’il avait minimisé l’impact des révélations à paraitre.

Etes-vous en train de dire que les investigateurs avaient travaillé « à charge et à décharge » et que « Kabila » avait été approché afin qu’il donne sa version des faits?

Absolument! Les enquêteurs lui avaient donné l’occasion d’émettre ses avis. Je peux vous assurer que ses avocats seront bien incapables de prouver le contraire. Il lui a été donné un « droit de réponse » qu’il n’a pas voulu utiliser préférant garder le mutisme du début à la fin. Certains de ses hommes par qui le scandale est arrivé ont fini par réagir au moment où les révélations étaient sur la place publique. C’est le cas d’Adrupiako qui a été épinglé dans les enquêtes…

Emmanuel Adrupiako, le directeur financier sous la Présidence de « Joseph Kabila »?

Effectivement! Il avait retiré d’importantes sommes d’argent du compte de la Présidence de la République. Ce compte avait reçu de l’argent en provenance de la société « Egal ». Le nom d’Adrupiako est cité dans plusieurs enquêtes touchant au clan de l’ancien président Joseph Kabila.

Au cours de ce point de presse, l’avocat Nyabirungu dit notamment que les enquêteurs n’ont présenté aucun document qui porte le nom de Kabila. Que répondez-vous?

Je crois que cet avocat se trompe énormément. Lorsque Monsieur Emmanuel Adrupiako qui est l’assistant financier du chef de l’Etat agit et mouvemente un compte officiel au nom de l’Institution Présidence de la République. Ledit compte a obtenu un « prêt » de l’ordre de trois millions de dollars. Ce prêt est remboursé grâce à de l’argent versé par la société « Egal ». Celle-ci a reçu auparavant des fonds publics transférés en sa faveur par la BCC. Il y a dès lors des questions à se poser d’autant plus que cet argent est d’origine douteuse. Je me réjouis d’apprendre que Joseph Kabila se réserve le droit de saisir les instances judiciaires. Les évidences seront mises tant à la justice tant nationale qu’internationale.

Selon Raphaël  Nyabirungu, ces révélations faites dans le cadre de « Congo Hold Up » ne sont fondées sur aucune « preuve fiable et crédible »…

En écoutant cet avocat, j’avais l’impression de suivre le responsable d’une cellule de communication du Front commun pour le Congo. J’inviterai les avocats appartenant à ce « Collectif » de faire preuve d’un peu de modestie. Et ce dans la mesure où la Banque dans laquelle les opérations dénoncées ont eu lieu s’est montrée moins arrogante. Elle a reconnu, entre les lignes, qu’il y aurait pu avoir des « opérations illicites ». Dès lors que ladite banque a fait son mea culpa, les avocats devraient être sages et prudents. Ils devraient parler en juriste et non en communicateur. A titre d’exemple, ils parlent de deux milliards de réserves laissés par Joseph Kabila à son départ . Je n’ai trouvé aucune trace de cet argent dans les livres de la Banque centrale du Congo. Je suis formel: en 2018, le Congo-Kinshasa n’avait pas des réserves avoisinant deux milliards de dollars. Ce sont des chiffres fallacieux.

En votre qualité d’ancien cadre à la BGFI Bank, pouvez-vous affirmer aujourd’hui que vous avez été témoin d’un transfert de 42 millions de $ US effectué par la Banque centrale du Congo au profit de la société privée « Egal »?

Je l’affirme et je le confirme: cet argent est parti de la Banque centrale avant d’atterrir sur le compte de la société « Egal ». D’ailleurs, l’enquête « Congo Hold Up » a apporté d’autres preuves. Cet argent a été utilisé comme « sûreté financière » pour rembourser un crédit. Comme cette société ne pouvait pas bénéficier d’un montant aussi important comme crédit, il a fallu sortir des fonds publics pour maquiller cette opération. Comme je le dis depuis le début, il s’agit d’un cas typique de blanchiment d’argent. On prend l’argent public venant de la BCC pour finalement utiliser le même argent pour rembourser un crédit. Il s’agit de détournement d’argent public et de blanchiment de capitaux. Pour brouiller les pistes, la BGFI Bank essaie de prendre sur elle toute la responsabilité pour empêcher la justice d’aller plus loin. Cet argent n’est pas resté au Congo. Il a transité par d’autres pays. J’espère que les instances judiciaires au niveau national et international pourront confirmer, demain, ce que nous avançons comme allégations aujourd’hui.

Que répondez-vous à l’avocat Nyabirungu qui a qualifié les dénonciations de « Congo Hold Up » de « calomnieuses et de diffamation attentatoire à l’honneur et à la réputation de Joseph Kabila de nature à l’exposer au mépris public »?

Au risque de me répéter, j’ai l’impression d’entendre parler un « communicateur » d’un parti politique. C’est un discours éculé qu’on a entendu dix-huit ans durant de la part des flagorneurs de l’ancien régime. C’est trop facile de qualifier les révélations de « Congo Up » de calomnieuse et diffamatoire. Il ne suffit pas de claironner qu’il s’agit des dénonciations calomnieuses et diffamatoires. Je constate qu’il n’a pas démontré le contraire. Comment expliquer qu’une entreprise privée rembourse un prêt contracté par une institution publique? J’attends que ces courageux avocats passent à l’acte en portant plainte devant les instances judiciaires internationales afin que la vérité puisse éclater. Les faits qui sont prouvables sont difficilement contestables.

Raphaël Nyabirungu et le collectif d’avocats estiment impossible de traiter 3,5 millions de documents en l’espace de neuf mois. Qu’en dites-vous?

Ces avocats vivent peut-être à des années-lumière du monde moderne. Les logiciels du monde moderne dans lequel nous sommes permettent de traiter des millions et des millions de documents en un rien de temps. Ces logiciels sont des outils sophistiqués. J’ai été, par ailleurs, surpris d’entendre les insinuations sur la manière dont ces documents ont été obtenus. Ils se contredisent. Ils savent que les données détenues par les enquêteurs sont authentiques mais ils abusent de l’art oratoire pour endormir la population. L’objectif est de sauver « quelqu’un » qui est impliqué mais aussi tout un système. La justice doit faire son travail. Personne ne sera protégée. Et ce en dépit du fait que la loi nationale congolaise pourrait protéger le sénateur à vie. Au niveau international, il ne le sera pas.

Au lieu d’annoncer que leur « client » à déposer plainte, l’avocat Nyabirungu et le Collectif ont fait savoir que ce dernier « se réserve le droit de saisir incessamment les instances judiciaires », devrait-on parler de reculade ou de simple formule de style?

Je crois qu’il s’agit d’une simple formule de style. J’encourage vivement ces avocats à saisir les instances judiciaires sans attendre d’autres révélations. Cela fait cinq ans que j’attends ce moment. Je les invite à entreprendre cette démarche. C’est leur droit. C’est aussi le droit des Congolais à connaitre la vérité. Ces avocats devraient noter que tous les faits dénoncés dans « Congo Hold-Up » n’ont pas eu lieu seulement au Congo. On le sait, des Libanais, des Belges ont été cités. Des pays ont été également cité. C’est le cas de la Suisse. J’espère que ces avocats entendront mon message. Je les encourage à aller jusqu’au bout. Je persiste et signe que les Congolais ont le droit de savoir.

 

Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi

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