Notre regard sur le combat politique de Tshisekedi

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

« Le slogan laissé par Etienne Tshisekedi, c’est le peuple d’abord et non Katumbi d’abord ». Ainsi parla Jean Pierre Lisanga Bonganga, le coordonnateur de la coalition des alliés d’Etienne Tshisekedi (CAT), au lendemain de son exclusion du Rassemblement proche de Félix Tshisekedi. Cet homme connu pour son franc parlé s’insurgeait ainsi contre le fait que « depuis le décès du Sphinx de Limete, c’est Moise Katumbi qui donnait des ordres au sein du Rassemblement ».

« Le peuple d’abord ». Tel est le slogan de l’UDPS, parti ou « ligablo » de la famille Tshisekedi. Aujourd’hui que cette formation politique et son nouveau chef, Félix Tshisekedi, vient de trahir le peuple en concluant un pacte avec le diable, c’est-à-dire le despote Joseph Kabila que la vérité des urnes a mis officiellement hors d’état de nuire mais que Félix Tshisekedi a ressuscité d’entre les morts de par sa félonie; aujourd’hui que ce parti peine à convaincre en justifiant l’injustifiable; aujourd’hui que des Congolais semblent surpris qu’une trahison d’une aussi rare et grave ampleur vienne de la fille ainée de l’opposition, il est sans doute intéressant de revenir sur le regard que nous avons porté, in tempore non suspecto, sur le combat politique d’Etienne Tshisekedi. In tempore non suspecto, car ce regard reste gravé dans notre deuxième ouvrage coédité par L’Harmattan à Paris et L’Harmattan Inc. à Montréal en 1999.

Dans l’introduction de cette brique de 284 pages, « L’Ajustement politique africain. Pour une démocratie endogène au Congo-Kinshasa », nous écrivons entre autres ce qui suit: « Notre texte se structure en trois parties. La première, qui va du premier au cinquième chapitre, porte sur la colonisation des cerveaux, telle qu’elle est vécue dans une Afrique dite indépendante, et les confusions qu’elle entraîne dans l’esprit de l’élite tant politique qu’intellectuelle. Ce phénomène explique que, plusieurs décennies après les indépendances, les élites africaines ne soient pas en mesure de porter un jugement lucide sur les réalités de leurs sociétés, et que, dans la construction de la démocratie, la révérence pour le modèle des ex-colonisateurs l’emporte sur le souci de conception et d’explication. Cet état d’esprit, handicap majeur à la prise en charge du continent par lui-même, constitue le socle sur lequel est assise la deuxième partie. Elle fait de l’ethnicité et/ou de la régionalité le(s) facteur(s) le(s) plus important(s) de l’équation politique, cette dernière consistant en une permanente recherche d’équilibre entre le tribalisme et le nationalisme. Notre étude aurait été vaine et incomplète si elle ne formulait des propositions concrètes face au désenchantement qui a déjà gagné tout le continent et surtout face au drame du Congo, pays devenu démocratique avant même qu’il ne soit démocratisé. Tel est le contenu de la troisième partie ».

Intitulé « Conférences ou confusions nationales? », le chapitre cinq traitait les points suivants: (i) « l’opportunisme occidental », pour montrer que ce n’était pas par humanisme mais par simple opportunisme que les puissances occidentales invitaient les Etats africains à se démocratiser; (ii) « la démocratie, un objet politique non identifié », car partout en Afrique, on parle de la démocratie sans se soucier de définir clairement le contenu de ce lexème; (iii) « le vertige démocratique », tel que vécu lors des conférences ou, mieux, confusions nationales; (iv) « l’esquive des professionnels de la pensée » qui, lors de la conférence nationale dite souveraine dans le Zaïre de Mobutu, se sont comportés exactement comme le petit peuple; et ( v) « les hérauts de la libération » qui met en lumière le déficit conceptuel dans le chef de Tshisekedi, baptisé « Moïse sauveur », Kabila, proclamé « Libérateur » et des « Redresseurs de torts » du RCD.

Nous écrivons alors ce qui suit au sujet du « Moise sauveur », les guillemets qui suivent étant placés dans le cadre de cet article: « On m’opposera certainement la figure emblématique du lider maximo de l’opposition pour soutenir que, dans le jeu social contre toute forme de dictature et pour la démocratie, les Congolais détiennent un joker, la carte gagnante, mais que les forces du mal, hier incarnées par Mobutu et aujourd’hui par Kabila, les empêchent de jouer. L’une des illusions contemporaines est en effet de croire qu’on a besoin d’un sauveur ou d’un homme providentiel pour sortir d’une catastrophe humanitaire tel que le régime Mobutu. La transition n’a-t-elle pas adapté des cantiques religieux proclamant que le Bon Dieu a choisi Tshisekedi pour le servir? Dieu t’a choisi, (pour que) tu le serves. De tout ton corps, de tout ton cœur. Dieu t’a choisi. Lis dans la Bible comment Jésus a choisi ses apôtres. Dieu t’a choisi (pour que) tu le serves » (Ndaywel, La société zaïroise dans le miroir de son discours religieux (1990-1993), Bruxelles, Les cahiers du CEDAF, n° 6/1993, p. 63).

« La lutte politique de Tshisekedi, commencée en 1980 dans une fronde parlementaire, menée avec continuité de l’intérieur et ponctuée d’arrestations, tortures et autres humiliations force certes le respect. On comprend aisément qu’un tel opposant soit crédité d’un grand capital de confiance et de popularité. Mais il faut reconnaître que Tshisekedi et les autres grands formats de la politique congolaise s’abreuvent au même point d’eau; que comme le MPR, l’UDPS et tous les ‘partis du changement’ sont des enfants bâtards issus d’une même union: le couple belgo-congolais, c’est-à-dire des produits de l’aliénation mentale ».

« Il ne s’agit pas ici de minimiser l’apport de la lutte de Tshisekedi. Aidé par la dimension émotionnelle de la démocratisation, son goût très prononcé pour le défi et les heurts sans objet avait indiscutablement descendu Mobutu de firmaments dans lesquels le folklore du recours à l’authenticité l’avait placé. Il était redevenu un homme parmi les hommes. Et les Congolais avaient appris à ne plus avoir peur de lui ».

« Ce rôle a son importance, surtout là où le chef s’imagine qu’il n’a des comptes à rendre à personne. Imbu d’honneurs et fort du soutien des Occidentaux, Mobutu annonçait sans ambages: ‘Ce peuple me doit tout; je ne lui dois rien’, pendant que les indicateurs socio-économiques du pays viraient au rouge les uns après les autres ».

« Les Romains étaient conscients de cette maladie: la folie des grandeurs. Pour la prévenir, quand ils rendaient hommage à leurs héros, ils plaçaient un homme derrière chacun d’eux pour lui répéter sans cesse: ‘Memento te hominem esse’ (Souviens-toi que tu es un homme). L’Afrique précoloniale en était également consciente, car l’un des rôles du griot dans la cour royale consistait à rappeler au roi qu’il était un homme. C’est sans doute le même rôle que les concepteurs des Guignols de l’info des chaînes de télévision occidentales assignent à leurs étranges créatures ».

« L’action bénéfique du combat de Tshisekedi se lit également dans sa quête d’une légitimité qui émane non pas de soi-disant pays amis du Congo mais du peuple congolais. Il faudrait qu’un hommage vibrant lui soit rendu à ce titre, surtout quand on sait combien les indépendances africaines ont été perverties. En lui ressuscite Patrice Lumumba, dans la mesure où il montre, une fois de plus, la direction que doit prendre l’émancipation du continent ».

« Mais il ne suffit pas d’indiquer la direction à prendre. Encore faut-il se doter des idées-outils pour tracer le chemin. Entre chanter la démocratie et bâtir une démocratie, il y a un pont que Tshisekedi et son parti n’ont pas construit, pour n’avoir pas eu l’audace de se placer en travers des diktats du mimétisme. De même que Lumumba et Mobutu se sont contentés de magnifier l’unité nationale sans savoir comment la construire, Tshisekedi glorifie la démocratie sans dire comment l’actualiser durablement dans un pays comme le Congo. Un vide conceptuel dangereux, car susceptible de transformer le meilleur des Moïse sauveur en bourreau. L’histoire de l’Afrique contemporaine est riche en sauveurs de cette nature ».

« Le peuple d’abord ». Tel est, il faut le répéter, le slogan de l’UDPS. Que Félix Tshisekedi, son chef actuel, le trahisse sans le moindre état d’âme; que les élites du parti se remuent dans tous les sens pour nier, contre toute évidence, une forfaiture pourtant aussi visible que le nez au milieu du visage; que les militants se réjouissent de leur arrivée au pouvoir dans un reniement aussi criant, cela ne peut surprendre que les Congolais n’ayant aucune capacité d’anticipation. Car, tout était clair dès l’amorce officielle du deuxième processus de démocratisation du pays, le 24 avril 1990, que comme lors du premier processus au lendemain de l’indépendance, les partis politiques congolais, l’UDPS compris, seraient des fossoyeurs de l’idéal démocratique. A cet égard, à l’entrée de chacun de nos partis, on devrait inscrire cette phrase que « La divine comédie » de Dante place à l’entrée de l’enfer: « Toi qui entre ici abandonne toute espérance »… sur la bonne gouvernance.

 

Par Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

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