Réflexion et Suggestions de Professeur Tongele sur Projet Inga III en RDC

Tongele N. Tongele

Tongele N. Tongele

1. Au sujet des grands projets

Les pays développés qui ont fait usage des grands projets sur leurs chemins de développement ont utilisé ces grands projets pour mobiliser les populations sur le chemin du développement qu’ils se sont tracé. Ces grands projets sont utilisés pour stimuler et motiver les populations à s’engager activement sur ce chemin de développement par les travaux de leurs propres efforts. Ces grands projets sont conçus de façon à effectivement développer ou contribuer au développement des compétences et expertises professionnelles locales. Ces grands projets ont toujours contribué au développement des infrastructures locales et nationales pour supporter le développement entrepreneurial, scientifique, technologique et industriel du pays.

2. Projet de Inga III

Les littératures jusque-là disponibles sur Inga III confirment que c’est un grand projet. Mais, du moins à partir de tout ce que j’ai lu, je n’ai nulle part trouvé dans Inga III les éléments ci-hauts qui caractérisent les grands projets susceptibles de déclencher le développement d’expertises et des compétences professionnelles dans un pays. Au contraire, j’ai l’impression que le projet Inga III s’aligne parfaitement dans la suite des grands projets congolais comme celui de la sidérurgie de Maluku, de la raffinerie pétrolière de Muanda, du barrage d’Inga phases I et II, et des cinq chantiers suivis de la révolution de la modernité. Tous ces grands projets congolais ont consommé des ressources énormes et immenses pour naître et vivre, mais ils n’ont absolument rien fait en termes de développement des infrastructures, ou en termes de stimuler et motiver les populations congolaises à créer d’unités de production par elles-mêmes pour améliorer leurs conditions de vie, et vivre avec dignité.

3. Pourquoi Inga III sera sans effet?

Avec un simple bon sens, on ne peut pas ne pas remarquer que Inga III consommera d’énormes et d’immenses ressources (milliards de dollars à l’instar de Inga I et II). Mais après sa construction, Inga III ne produira rien en termes de développement des infrastructures nationales et provinciales, ne contribuera nullement à développer des compétences et expertises locales, et ne fera rien en termes de stimuler et motiver les populations congolaises à se développer par leurs propres efforts et créativités. Les raisons sont les suivantes:

1) Selon les informations disponibles, Inga III produira environ 11.500 MW (mégawatts). Il faudrait noter que Inga I et II sont déjà opérationnels. Inga I devrait produire 351MW et Inga II, 1.424 MW. Donc un total de 1.775 MW. Mais aujourd’hui, Inga I et II ensemble ne produisent que 700MW, soit quarante pourcents de leurs vraies capacités. Pourquoi cela? Parce qu’il n’y pas de maintenance, pas d’entretien, et donc usure, fatigue et pannes des pièces ont limité la capacité productive de Inga I et II.

Important: si la RDC n’est pas capable d’entretenir Inga I et II, cela veut dire que la RDC n’a jamais développé l’expérience, les expertises et les compétences locales pour faire fonctionner proprement Inga I et II à leurs capacités maximales. Et sans expertises et compétences professionnelles locales, Inga III une fois finie avec sa construction par les étrangers, se détériorera aussi progressivement jusqu’à se réduire à un niveau de production de loin plus bas que sa capacité maximale, à l’instar de Inga I et II.

2) Le courent électrique de Inga III sera vendu aux pays Africains, et même en Europe, et les revenues seront utilisées pour développer la RDC. C’est faux et c’est absolument faux, car la RDC n’a pas développé l’expérience, les habitudes et la tradition d’utiliser les revenues de ses exports pour développer les infrastructures du pays. Ce n’est pas parce que c’est dit ainsi que ça se fera ainsi. Les choses se font et se réalisent lorsqu’on a développé les habitudes et les structures institutionnelles de faire des choses comme il le faut. Nous savons tous que le courent électrique de Inga I et II est exporté dans des pays Africains, rapporte, et a toujours rapporté des revenues annuelles en millions de dollars. Avez-vous déjà vu que ces revenues sont utilisées pour développer les expertises et compétences ainsi que les infrastructures locales en RDC? Trouvez-vous normal que ces millions de dollars de revenue de Inga I et II ne soient jamais utilisés pour l’entretien de ce barrage qui est la source même de ces revenues? L’expérience, les habitudes et l’expertise que la RDC a développées dans l’usage des revenues d’export du courent de Inga I et II, c’est le vol et le détournement de ces revenues générées par Inga I et II. Qui peut donc être mentalement normal, et croire que miraculeusement, la RDC va faire usage des revenues générées par Inga III pour développer… quoi?

On reconnait l’arbre par ses fruits. La RDC doit d’abord apprendre à bien gérer les millions de dollars générés chaque année par Inga I et II, et par l’exportation des minerais et d’autres ressources naturelles, investir ces millions de dollars dans ses populations et ses infrastructures, avant de s’aventurier à engager des milliards de dollars de dette dans un autre grand projet fantaisiste de Inga III.

3) Inga III produira aussi d’hydrogène qui sera exportée sous forme liquide en Europe et, une fois en Europe, sera gazéifié pour usage sur le continent Européen. Soyons sérieux. Qui va construire les infrastructures de transport de l’hydrogène liquide en Europe à partir de la RDC, et à quel prix? Comme la RDC n’a ni la connaissance, ni l’expérience, ni l’expertise de construire des tuyauteries sous-marines ou des bateaux tankers pour transporter d’hydrogène liquide en Europe, c’est clair qu’un tel marché sera donné aux Asiatiques, Américains ou Européens. Ensuite, les revenues générées par l’exportation d’hydrogène liquide en Europe ne feront que payer les dettes des infrastructures de transport de cet hydrogène liquide, et rien de ces revenues ne contribuera au développement de la RDC. Mais attention: il faut encore que les revenues générées par la vente d’hydrogène liquide en Europe soient suffisantes pour payer les dettes et frais des travaux et infrastructures de transport de cet hydrogène liquide en Europe. Car, c’est fort possible que cette activité de transport et vente d’hydrogène liquide en Europe se fera plutôt en perte, et finira aussi par s’arrêter après avoir consommer d’énormes et d’immenses ressources du pays sans rien donner en retour au pays.

4) Inga III produira aussi de gaz méthane et de fertilisant chimique. Le premier est pour usage comme carburant dans des voitures et le deuxième est pour usage agricole. C’est un résultat aussi faux que fantaisiste. Pourquoi? Parce qu’il faudrait que les voitures qui sont fabriquées ou importées en RDC soient munis des moteurs qui utilisent des gaz méthanes ou des moteurs hybrides adaptables au gaz méthane. A ce que tout le monde sait, la RDC ne fabrique pas des moteurs ou des véhicules. Ensuite, tout le monde voit que les véhicules entrent en RDC pêle-mêle, volant à droite, volant à gauche, puis corruption aidant aux douanes d’entrée, c’est un chaos et un tohu-bohu total. Et donc ce gaz méthane qui sera produit par Inga III servira finalement à quoi? Ça ne servira à rien, ça chômera dans le pays, et ça causera même des accidents tragiques de stockage. Et comme la RDC n’a pas d’infrastructures (voies et moyens) pour transporter et exporter de gaz méthane, cette capacité de production de gaz méthane sera probablement la première à être abandonnée par Inga III.

Fertilisant chimique? Pourquoi faire? La RDC n’en a pas du tout besoin. Car des méthodes d’agriculture intégrée faisant usage des déchets végétaux et animaux suffisent largement pour une production agricole surabondante en RDC qui serait capable de nourrir toute l’Afrique. Cette fantaisie pour faire voir que Inga III sera à mesure de produire ceci ou cela doit être démystifiée afin que l’inefficacité et l’inutilité de Inga III puisse se voir clairement.

5) Sur la liste des compagnies de construction, de génie civil, de production d’équipements de barrage hydroélectrique, de réalisation des usines chimiques, de production d’hydrogène, etc., il n’y a aucune compagnie congolaise. En effet, pendant 60 ans d’indépendance, la politique congolaise a étouffé et suffoqué tout esprit d’entreprenariat et d’industrialisation. Et donc, en RDC, aujourd’hui, on ne produit rien, les Congolais n’ont pas développé l’expérience, la connaissance, l’expertise ou les compétences professionnelles d’établir des usines et des manufactures de transformation. En outre, et ceci est très important, la RDC comme pays n’a pas des compétences structurelles pour évaluer si les constructions sont faites correctement ou pas selon les normes internationales industrielles. On a vu cela pendant des grands projets réalisés en RDC dans le passé. En ce sens, toutes réalisations des grands projets en RDC sont laissées au bon gré et à la bonne volonté des constructeurs expatriés qui seuls savent comment jongler avec les matériaux de moindre qualité (moyennant corruption des responsables en RDC), réaliser quelque chose de plus ou moins bien, afin de garder beaucoup d’argent pour eux-mêmes. Et une fois que Inga III sera construit, à l’exemple du boulevard de 30 Juin à Kinshasa dont l’asphalte se fracturait déjà une année après la construction, le sort de Inga III ne sera pas différent. Après que les constructeurs étrangers seront rentrés chez eux, Inga III commencera après deux ou trois ans à connaitre des pannes qui demanderont des changements des pièces, car c’était des matériaux de moindre qualité qui furent utilisés, et il n’y avait pas d’expertise locale gouvernementale pour évaluer si les travaux se faisaient proprement sur base des normes internationales de construction d’un tel barrage.  Ainsi Inga III se détériorera aussi progressivement jusqu’à une production minimale.

On peut bel et bien avoir fait des études de faisabilité, des études environnementales, des études économiques, etc., sur le projet Inga III, mais ne fermons pas les yeux sur la vérité. La vérité est que Inga III n’est pas un besoin urgent pour la RDC. Si le gouvernement de la RDC a un bon sens, si les Congolais comprennent pourquoi ils sont dans la pauvreté et la misère malgré tous ces projets dinosaures de développement réalisés dans le passé, en tout cas, tous comprendront que le projet de Inga III est plutôt poussé par des compagnies étrangères et leurs complices en position de pouvoir en RDC qui veulent s’enrichir sur le dos des populations congolaises comme ils l’ont toujours fait; mais ce projet de Inga III n’est ni utile ni prioritaire pour la RDC en ce moment-ci. Inga III ne contribuera qu’à consommer énormément et immensément des ressources du pays (en milliards de dollars), produira certainement des millionnaires congolais commissionnaires, et ne produira absolument rien en retour pour la RDC en termes de développement des infrastructures congolaises, en termes de développement des compétences locales, et en termes de stimuler et motiver les populations congolaises dans leurs villages, villes et cités à créer d’unités de production par elles-mêmes pour elles-mêmes afin d’améliorer leurs conditions de vie et vivre avec dignité.

4. Inga III peut attendre

Voici, en termes d’énergie pour la RDC, l’extrait tiré du projet de développement que j’ai conçu et confectionné pour la RDC, qui n’est pas parfait, mais absolument susceptible de déclencher le développement de ce pays.

1) Réhabiliter Inga I et II à produire le maximum de leurs capacités de 1.775 MW. Ce courent électrique qui passera ainsi de l’actuel 700MW à 1.775MW sera capable d’alimenter tous les villages, villes et cités de la RDC, et servir aussi les pays voisins. C’est déjà là une source importante des revenues qui est rétablie.

2) Inventorier et réhabiliter tous les barrages hydroélectriques qui sont en RDC. Il y a plus d’une vingtaine des barrages hydroélectriques à travers la RDC. Certains de ces barrages ont été construits par les colons belges pour alimenter des mines et usines locales, d’autres par des missionnaires pour alimenter leurs hôpitaux et autres activités missionnaires. La plupart de ces barrages hydroélectriques sont tombés en panne et ont cessé de fonctionner, tandis que d’autres continuent à produire 10 pourcents ou 20 pourcents de leurs capacités maximales. Tous ces barrages hydroélectriques, une fois réhabilités, peuvent facilement ajouter environ 1.000MW aux 1.775 MW de Inga I et II. Il y aura là encore plus du courent à exporter aux pays voisins et gagner plus de revenues.

3) Deux choses peuvent se réaliser ou se réaliseront par cette réhabilitation de tous les barrages hydroélectriques existants en RDC, y compris Inga I et II.

Premièrement, les expertises et compétences professionnelles en maintenance des barrages hydroélectriques seront développées à travers le pays, et cela de façon permanente en vue de l’entretient de ces barrages. La RDC a urgemment besoin de ces expertises et compétences locales pour prendre soin de ce qui existe déjà, et être prête avec personnels qualifiés et compétents pour une éventualité d’un Inga III.

Deuxièmement, avec tous ces barrages réhabilités, ces compétences développées, l’abondance et la permanence du courent électrique partout à travers le pays, le gouvernement de la RDC peut agir intelligemment en invitant les compagnies et usines de production d’équipements de barrage hydroélectrique à s’installer en RDC, utiliser les mains d’œuvres et les ressources naturelles abondantes de la RDC, pour fabriquer leurs produits sur place en RDC et gagner beaucoup d’argent. Ces compagnies vont se presser pour le faire si on leur miroite les conditions nécessaires et attirantes. En ce moment-là, les lingots de cuivres congolais qui sont jusque-là exclusivement exportés, seront en partie utilisés localement pour produire des câbles de haute tension, des fils électriques de toute dimension, des transformateurs, des tuyauteries, et d’autres accessoires électriques et industriels. Ce n’est pas tout. Les compagnies qui s’installeront en RDC pourront aussi utiliser le cobalt congolais pour fabriquer sur place des composantes de batteries, et même assembler ces batteries sur place en RDC, pour les vendre aux compagnies des voitures électriques. Et comme succès appelle toujours succès, d’autres compagnies s’installeront en RDC pour traiter sur place le coltan congolais, et même fabriquer sur place en RDC des composantes pour intégrer dans des semiconducteurs des circuits électriques, pour enfin vendre aux compagnies qui fabriquent des téléphones, des ordinateurs, des tablettes, etc. Et qui sait? Peut-être que certaines de ces compagnies d’électroniques vont vouloir simplement s’installer en RDC à côté des compagnies qui transforment le coltan en circuits électriques afin de bénéficier de bas prix locaux et des mains d’œuvre locales pour fabriquer et assembler leurs produits électroniques en RDC. Et d’un coup, ce sont les expertises et compétences professionnelles congolaises qui se formeront, et qui vont déclencher la manufacture et l’industrialisation congolaises, tout cela sans avoir besoin de Inga III.

4) Utiliser une portion des revenues générées par Inga I et II et d’autres barrages hydroélectriques réhabilités, qui rapporteront déjà beaucoup d’argent, (utiliser une portion de cet argent) pour cibler des sites spécifiques à travers la RDC, sites qui sont loin des barrages hydroélectriques afin d’y installer des petites centrales solaires électriques. On y installera alors des panneaux solaires pour produire 5MW, 10 MW, 20 MW, 30MW, capables d’alimenter des initiatives entrepreneuriales et industrielles ainsi que les populations situées dans ces villages et coins isolés.

5. Conclusion

Avec ces quatre éléments de l’extrait de mon plan énergétique (lui-même extrait du plan de développement) que j’ai confectionné à l’intention de la RDC, la RDC n’aura pas à s’endetter jusqu’au cou pour un projet de Inga III qui n’est ni nécessaire ni prioritaire ni utile pour le moment. On peut clairement voir de ce qui précède que si le gouvernement congolais décide d’appliquer même cet extrait de mon plan d’énergie pour la RDC, comme décrit ci-dessus, les résultats en termes de développement des compétences et expertises professionnelles locales, en termes de développement des infrastructures électriques locales seront immédiats et énormes. Ainsi, tous les villages, villes et cités de la RDC seront électrifiés sans aucun problème, créant la possibilité qu’on peut aller installer d’unités manufacturières dans n’importe quel coin du pays, et il n’y aura plus jamais de délestage en RDC. Voilà un chemin effectif, et moins couteux, pour la relance du développement technologique et industrielle de la RDC.

Tongele N. Tongele, Ph.D.
Docteur en génie mécanique et professeur d’université aux USA

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