Retentissante remise en cause de la démocratie mimétique 

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Enfin, ça y est! Le 21 septembre 2023, un président africain a osé déclarer, non pas dans un cercle privé ou dans les médias mais du haut de la tribune de l’Assemblée Générale des Nations Unies, ce qu’il convient de souligner au chapitre du deuxième processus de démocratisation de l’Afrique, lancé à la suite de la fin de la Guerre Froide, et que nous ne cessons de répéter où que nous allions depuis 1999, soit avec une avance de près d’un quart de siècle, année de publication de notre ouvrage intitulé ‘L’Ajustement politique africain. Pour une démocratie endogène au Congo-Kinshasa’, aux Editions L’Harmattan à Paris et L’Harmattan Inc. à Montréal.

Arrivé au pouvoir le 5 septembre 2021 par un coup d’Etat militaire, en réaction au coup d’Etat constitutionnel de son prédécesseur, le président Alpha Condé, le Colonel Mamady Doumbouya, président de la transition guinéenne, était le seul dirigeant putschiste ouest-africain invité à participer à la 78ème session ordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unies, sous le thème de ‘Paix, prospérité, progrès et durabilité’ et dans un environnement international caractérisé, en Afrique, par une ‘épidémie de coups d’Etat’, selon les propres termes de Doumbouya.

D’emblée, le discours de Mamady Doumbouya méritait d’être applaudi des deux mains quand il a souligné l’hypocrisie de la communauté internationale face aux coups d’Etat militaires, cette vieille ‘épidémie’ qui réapparait: « C’est tout le monde qui les condamne. Qui les sanctionne. Qui s’émeut de la réapparition brusque de cette pratique que l’on croyait révolu. A juste titre. Mais j’ai envie de dire que la communauté internationale doit avoir l’honnêteté et la correction de ne pas se contenter de dénoncer les seules conséquences, mais de s’intéresser et de traiter les causes. Les coups d’Etat, s’ils se sont multipliés ces dernières années en Afrique, c’est bien parce qu’il y a de raisons très profondes. Et pour traiter le mal, il faut s’intéresser aux causes racines. Le putschiste n’est pas seulement celui qui prend les armes pour renverser un régime. Je souhaite que l’on retienne bien que les vrais putschistes, les plus nombreux, qui ne font l’objet d’aucune condamnation, c’est aussi ceux qui manigancent, qui utilisent la fourberie, qui trichent pour manipuler les textes de la constitution afin de se maintenir éternellement au pouvoir. C’est ceux en col blanc qui modifient les règles du jeu pendant la partie pour conserver les rênes du pays. Voilà les putschistes les plus nombreux ».

Mais le président de la transition guinéenne a arrêté net nos applaudissements nourris quand il a par la suite pointé du doigt le mal dont souffre le continent noir: « L’Afrique souffre d’un modèle de gouvernance qui lui a été imposé. Un modèle certes bon et efficace pour l’Occident qui l’a conçu au fil de son histoire, mais qui a du mal à s’adapter à nos réalités, à nos coutumes, à notre environnement. […] De façon très claire, sans hypocrisie, sans faux semblant, les yeux dans les yeux, nous sommes tous conscients que ce modèle démocratique que vous nous avez si insidieusement et savamment imposé après le sommet de la Baule en France, presque de façon religieuse, il ne marche pas ».

Nous ne pouvions plus continuer à applaudir le Colonel Mamady Doumbouya car ses propos, dans le paragraphe ci-dessus, renvoient à la fâcheuse tendance que nous avons, nous Africains, à chercher des boucs émissaires pour chacun de nos malheurs. Les paroles s’envolent, mais les écrits restent, dit-on. A l’occasion de la 16ème conférence des chefs d’Etat d’Afrique et de France à laquelle étaient invités 37 pays africains et qui s’est déroulé dans la commune française de La Baule-Escoublac, le Président français François Mitterrand a prononcé le célèbre discours dit de La Baule, le 20 juin 1990, invitant ses homologues africains à procéder à la démocratisation de leurs Etats sous peine, dans le cas contraire, d’être privés de la ‘manne’ tombant du ciel, le Nord, sous forme d’aide au développement.

Certes, en prononçant ce discours, François Mitterrand n’a pas agi en homme politique soucieux de justice et de liberté à travers le monde. Il s’est comporté en opportuniste pour ajuster la politique de son pays, pervertie par le phénomène France-à-fric, au mouvement que la roue de l’Histoire effectuait en URSS. Il cherchait à sauvegarder l’influence de la France face au vent de la perestroïka qui finirait inéluctablement par souffler également sur l’Afrique. Mais on doit lui reconnaitre un mérite. Connaissant l’homme africain et sa mentalité de colonisé, consécutive à sa longue aliénation à travers quatre siècles de traite transatlantique (du XVIe au XIXe siècle) et près d’un siècle de colonisation, il l’a prévenu afin d’éviter la récurrence de l’erreur commise lors du premier processus de démocratisation au lendemain des indépendances: « Lorsque je dis démocratie, lorsque je trace un chemin, lorsque je dis que c’est la seule façon de parvenir à un état d’équilibre au moment où apparaît la nécessité d’une plus grande liberté, j’ai naturellement un schéma tout prêt: système représentatif, élections libres, multipartisme, liberté de la presse, indépendance de la magistrature, refus de la censure. Voilà le schéma dont nous disposons ». Et Mitterrand de poursuivre: « A vous de déterminer, vous peuples libres, vous Etats souverains que je respecte, à vous de choisir votre voie, d’en déterminer les étapes et l’allure ». Mieux, s’adressant à ses homologues africains comme un maître à ses élèves, il a apporté cette importante clarification: « La démocratie est un principe universel. Mais il ne faut pas oublier les différences de structures, de civilisations, de traditions, de mœurs. Il est impossible de proposer un système tout fait. La France n’a pas à dicter je ne sais quelle loi constitutionnelle qui s’imposerait de facto à l’ensemble de peuples qui ont leur propre conscience et leur propre histoire et qui doivent savoir comment se diriger vers le principe universel qu’est la démocratie ». Comme on peut le constater, aucun schéma démocratique n’a été imposé aux Africains. Par ailleurs, à l’exception de l’Ethiopie, le seul pays africain à n’avoir pas été colonisé et dont le système politique repose, maladroitement, sur ses ethnies, aucun autre pays d’Afrique n’a jusqu’ici élaboré une quelconque alternative à la démocratie occidentale qui tiendrait compte de nos réalités; entreprise dans laquelle nous nous sommes lancés dans notre ouvrage cité ci-dessus.

Mamadou Doumbouya, qui semble être en odeur de sainteté auprès de la France-à-fric, comme le putschiste du Gabon et contrairement à leurs homologues du Mali, Burkina Fasso et Niger, n’est pas le premier chef d’Etat africain à dénoncer, pendant l’exercice de ses fonctions, la démocratie copiée aveuglément de l’Occident dont les dégâts ne sont plus à démontrer. Agronome de formation et premier ministre, de 1963 à 1966, élu président de la république en août 1992 avant de se voir éjecté du fauteuil présidentiel par son prédécesseur Dénis Sassou Ngwesso à la suite d’une guerre civile au cours des derniers mois de son mandat, le professeur Pascal Lissouba l’avait précédé quand il affirmait que « nous n’avons pas réfléchi à la démocratie comme nous n’avions pas, hier, réfléchi à l’indépendance. Nous nous sommes jetés à l’eau. Il est temps de marquer le pas et de réfléchir ». Il avait également indiqué la direction que devrait prendre toute réflexion à ce sujet: « Si nous voulons éviter de nouveaux désordres, il faut que nous retournions à nos propres valeurs et mettions en place une démocratie participative. Nous avions nos assemblées de village. Elles défendaient des valeurs de solidarité et d’humanité qui n’existent plus » (Le Point, n° 1243, 13 juillet 1996).

Aujourd’hui que le Colonel Mamady Doumbouya déclare solennellement du haut de la tribune de la plus grande organisation planétaire, les Nations Unies, que « nous sommes suffisamment matures pour définir nos priorités, pour concevoir notre propre modèle qui corresponde à notre identité, à la réalité de nos populations, à ce que nous sommes tout simplement », il faut espérer qu’il mettra à profit la transition guinéenne pour atteindre un tel objectif. Il faut également espérer que les autres chefs d’Etat africains, qui observent, impuissants, la démocratie exogène importée de l’Occident détruire les sociétés africaines, vont à leur tour la remettre en cause pour lancer leurs nations respectives à la quête d’alternatives crédibles. Surtout au Congo-Kinshasa, terre de tous les excès en matière d’imitation servile et qui croit construire la démocratie sur base de 900 choses abusivement appelées partis politiques. En plus, il faut souhaiter que les Nations Unies et l’Union Africaine, qui sont conscientes de l’échec du deuxième processus de démocratisation du continent et qui l’observent, également impuissantes, comme s’il s’agissait d’une fatalité, vont enfin encourager les Etats africains à explorer des alternatives à ce modèle politique mortifère qui, comme l’a si bien souligné le Colonel Mamady Doumbouya, « a surtout contribué à entretenir un système d’exploitation et de pillage de nos ressources par les autres. Et une corruption très active de nos élites », qui concentrent dans leurs mains et en toute impunité la quasi-totalité des richesses de nos Etats.

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo
Ecrivain & Fonctionnaire International

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