Viktor Rousseau: « Le Congo n’est plus une priorité pour les Belges! »

Le 24 avril 1990, Viktor Rousseau, alors journaliste au magazine économique « Marchés Tropicaux », a assisté à l’allocution du président Mobutu Sese Seko annonçant la « réouverture » démocratique. Le lendemain 25 avril, il était parmi les représentants de la presse internationale venus interviewer Etienne Tshisekedi wa Mulumba en sa résidence à Limete. Le très radical leader de l’UDPS venait de retrouver la liberté de mouvement après une période passée en « résidence surveillée ». Viktor Rousseau – qui a travaillé durant une quinzaine d’années en qualité de Consultant pour la Banque mondiale et le FMI auprès du gouvernement congolais – connaît bien le Congo-Zaïre. C’est en 1967 qu’il a foulé, pour la première fois, le sol du pays. Il jette son regard sur la visite que viennent d’effectuer les Souverains belges, du 7 au 13 juin. Pour lui, au-delà du côté symbolique de ces « retrouvailles », rien ne va changer au niveau de l’image que le Congo-Zaïre renvoie au monde belge des affaires. Selon lui, les mesures de zaïrianisation du 30 novembre 1973 ont laissé des plaies. INTERVIEW.

Quelle est l’image que le Congo-Zaïre renvoie aujourd’hui en Belgique?

Je crois qu’il y a un malentendu gigantesque quand certains leaders politiques voient un acte de courage du roi Philippe et la reine Mathilde pour soutenir la population congolaise. Il y a là une ambigüité…

Peut-on dire que le Congo-Zaïre est toujours perçu comme un « pays à haut risque » pour les investissements et où règnent l’insécurité judiciaire et les tracasseries administratives?

Bien-sûr! De manière générale, le Congo-Kinshasa n’est plus une priorité pour les Belges. Il suffit, pour ce faire, de scruter les sujets d’actualité. Les Belges suivent plus les questions européennes, la situation de guerre en Ukraine et d’autres problèmes mondiaux qui préoccupent le Conseil de sécurité que le Congo.

Deux questions un peu naïves. Jusqu’à la fin des années 80, le Zaïre d’alors était un des premiers partenaires de la Belgique en Afrique subsaharienne. A partir de quel moment remonte cette « indifférence belge » vis-à-vis du Congo? Quel est l’élément déclencheur de cette situation?

L’élément déclencheur est et reste les mesures de zaïrianisation. La date-choc est le 30 novembre 1973. La zaïrianisation a engendré une onde de choc très fort. Il est évident que les hommes d’affaires, les industriels et les traders qui s’engagent aujourd’hui au Congo savent très bien le cadre dans lequel ils vont évoluer. C’est un cadre de corruption généralisée. Ce sont les investisseurs potentiels du secteur des « services » (assurance, banque. ingénierie) qui sont allés prospecter le marché dans le cadre du voyage organisé par la Chambre de commerce belgo-africaine. Ici, le financement émane de l’Union européenne ou la Banque mondiale.

Selon vous, que devrait faire la partie congolaise pour tourner définitivement la page de ce « passé douloureux »?

La condition fondamentale reste l’instauration de l’Etat de droit avec un appareil judiciaire efficace tant au plan du droit des affaires que du droit privé.

Les Souverains belges viennent d’accomplir une visite d’une semaine au Congo-Kinshasa. Qu’est ce qui va changer dans les rapports entre les deux pays et les deux peuples?

J’ai noté un point positif qui est en même temps négatif. A savoir que la visite royale a été perçue comme une « caution » apportée au régime de Felix Tshisekedi. Un régime qui n’a qu’une apparente légitimité. D’ailleurs, le secrétaire d’Etat belge à la Coopération au développement [Meryame Kitir] a déclaré que le roi Philippe et le président Felix Tshisekedi sont de la même génération. Et qu’ils n’ont pas vécu le passé colonial. C’est comme si on mettait les deux personnalités sur un même pied d’égalité.

Voulez-vous dire que Felix Tshisekedi escomptait une « légitimation » de son pouvoir de la part du couple royal?

Normalement la légitimité d’un chef d’Etat émane du souverain primaire. Par contre, la légitimité d’un gouvernement est conférée par le Parlement. Je considère que ces deux critères n’ont pas été réunis après les élections du 30 décembre 2018. Il est évident que le nombre de voyage effectué par Felix Tshisekedi à travers l’Afrique et le monde avait pour but de se légitimer en tant que chef de l’Etat.

Le couple royal belge s’est rendu à Bukavu en dépit du battage médiatique sur « l’insécurité ambiante » dans l’Est du Congo. N’est-ce pas un acte de courage?

Personnellement, je souhaitais que le Roi et la Reine aillent rencontrer Docteur Denis Mukwege à l’hôpital de Panzi. C’était l’occasion de l’écouter. A mon avis, c’est le point positif de ce voyage.

Le Roi a présenté ses « profonds regrets » pour les méfaits commis durant l’époque coloniale. Les Congolais estiment, dans leur grande majorité, que Philippe aurait dû présenter des « excuses ». Faux débat?

Je crois que c’est un faux débat! En droit international, le fait de présenter des excuses consacre la reconnaissance de la faute d’un Etat par rapport à un autre Etat. Ce qui entraine des réparations juridiquement conséquentes. A mon avis, tout ça relève de la rhétorique. En dépit de tout, force est de reconnaitre que le Congo reste un partenaire important de la Belgique. Et ce au regard de l’importance du budget consacrée à la coopération avec ce pays. Au niveau européen, il n’y a que les Britanniques qui dépassent la Belgique.


Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi

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