Affaire Beya (suite et fin?): Et si l’ANR avait induit le chef de l’Etat en erreur?

Arrêté le 5 février 2022, François Beya Kasonga, a totalisé, vendredi 4 mars, un mois de détention dans les installations de la « Sûreté nationale » qu’est l’ANR (Agence nationale de renseignements). « La garde à vue ne peut excéder 48 heures », proclame la Constitution du Congo-Kinshasa (art. 18-4). D’aucuns prétendent qu’une exception est prévue pour les « services ». On cherche en vain les références du texte légal accordant une « dérogation » aux OPJ (officiers de police judiciaire) que sont les fonctionnaires de l’ANR.

Un mois après l’arrestation de François Beya Kasonga, trois questions commencent à hanter les esprits. Primo: Pourquoi le « dossier Beya » instruit, depuis un mois, par l’ANR, n’est toujours pas transmis aux autorités judiciaires compétentes alors que l’Agence nationale de renseignements a déjà « qualifié » les faits retenus contre le conseiller spécial du chef de l’Etat (en titre) en matière de sécurité?
Secundo: l’ANR éprouverait-elle de la peine à démontrer la « matérialité » des griefs retenus contre Beya?
Enfin: l’ANR a-t-elle induit le chef de l’Etat en erreur en parlant « d’agissement contre la sécurité de l’Etat »?

Un peu de théorie ne ferait pas du mal. L’infraction est constituée de trois éléments inséparables: un élément légal, à savoir le texte légal au sens large qui incrimine une action ou omission; un élément matériel (exemple: vol ou non-assistance à personne en danger) et un élément moral, c’est-à-dire l’intention de violer la loi en connaissance de cause.

L’Agence nationale de renseignements joue le rôle de Sûreté nationale. La Sûreté renvoie à l’idée de vivre sans crainte. Elle a une mission de « surveillance ». Elle surveille « tout ce qui pourrait constituer une menace tant intérieure qu’extérieure », peut-on lire dans l’ouvrage « La Sûreté de l’Etat » (Christian Carpentier et Frédéric Moser, éditions Quorum, 1993).

Les Zaïro-Congolais ont la mauvaise habitude de considérer les agents des « services » comme des « intouchables ». Et pourtant, il s’agit des fonctionnaires, mieux, des auxiliaires de justice. En tant qu’officiers de police judiciaire (OPJ), ils recueillent des informations qui ne deviennent des « renseignements » qu’après recoupement et vérification.

L’ANR RENOUE-T-ELLE AVEC L’IMAGE DE « POLICE POLITIQUE »?

La mission de l’OPJ est connue. Elle consiste à: constater l’infraction, rassembler les preuves ou indices et identifier le présumé auteur. Le dossier bouclé est transmis au ministère public pour engager des poursuites éventuelles. En limitant le délai de « garde à vue » à 48 heures, le législateur voulait simplement signifier que les enquêtes sont censées précéder l’interpellation du présumé délinquant. Les 48 heures devraient être consacrées aux éventuelles confrontations de ce dernier avec les éléments probants. « Les services ne peuvent pas arrêter un individu et commencer à enquêter. L’enquête est toujours antérieure à l’interpellation », s’insurge un professeur de droit pénal joint à Kinshasa.

Le 5 février dernier, on apprenait l’arrestation du conseiller spécial du chef de l’Etat en matière de Sécurité. Les observateurs ont été surpris d’apprendre que l’administrateur général de l’ANR, Jean-Hervé Mbelu Biosha, a adressé une « réquisition d’information » à l’opérateur de téléphonie « Orange » en demandant à cette société de « remplir trois devoirs ». Cette démarche a eu lieu 48 heures après l’arrestation de Beya. Plusieurs perquisitions ont été opérées.

 

 

Les atermoiements de l’ANR dans la gestion de ce dossier redonne à cette Agence l’image anachronique d’une « police politique ». Et ce au moment où le président Felix Tshisekedi Tshilombo ne cesse de proclamer son attachement à la primauté du droit. L’Etat de droit.

Kalev Mutondo

Kalev Mutondo

Selon des informations parcellaires, le CS François Beya aurait aidé – le conditionnel doit être de rigueur -l’ex-patron de l’ANR, le très sulfureux Kalev Mutondo, à se faire soigner discrètement dans un Centre médical situé dans la commune de Kintambo. D’après les mêmes sources, les soins médicaux prodigués à Kalev auraient été payés par le secrétaire particulier de Beya. « Informé de la présence de Kalev Mutond dans ce centre médical, des agents de l’ANR sont descendus sur le lieu. L’homme était déjà parti », apprend-on. Beya serait suspecté d’avoir aidé Kalev à sortir du pays. Il en serait de même pour John Numbi Banza. Question: François Beya est-il accusé d’avoir fait de la « rétention d’informations »?

LA MATERIALITE DE L’INFRACTION RESTE A ETABLIR

Depuis quelques jours, la famille biologique du conseiller spécial Beya est vent debout. Elle parait confortée par le manque de célérité dans le chef de l’ANR. Frère cadet de Beya Kasonga, Freddy Kanku Kasonga, qualifie l’arrestation de son frère « d’injuste ». Il demande ni plus ni moins que « l’implication personnelle du chef de l’Etat ». Selon lui, son frère – qui a servi sous les présidents Mobutu Sese Seko, LD Kabila et « Joseph Kabila » – n’a jamais été un « traître ».

Des voix commencent à s’élever contre la « lenteur » de l’Agence nationale de renseignements. Question: l’actuel numéro un de l’ANR a-t-il induit le premier magistrat du pays en erreur en précipitant l’interpellation de Beya?

Dans une lettre ouverte adressée à l’administrateur général Jean-Hervé Mbelu Biosha, l’association de fait « Free François Beya Kasonga », commence par rappeler la déclaration faite le 8 février dernier par le porte-parole du chef de l’Etat, Tharcisse Kasongo Mwema, selon laquelle les enquêteurs avaient « des indices sérieux attestant d’agissements contre la sécurité nationale ». Pour les animateurs de cette association en l’occurrence Victor Tesongo et Jean-Pierre Mulumba, l’ANR ne disposerait tout simplement pas « des charges précises » contre Beya.

Questions finales: Pourquoi l’ANR tarde à transmettre le dossier Beya aux autorités judiciaires alors qu’elle détiendrait, selon elle-même, « des indices sérieux attestant d’agissements contre la sécurité nationale »? Et si l’ANR avait induit le chef de l’Etat en erreur en précipitant l’arrestation de François Beya alors que la « matérialité » de l’infraction était loin d’être démontrée?


Baudouin Amba Wetshi

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