Une Mission Catholique pas comme les autres

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Notre congé d’une semaine au mois de mai dernier nous a trouvé à Budjala, le chef-lieu du territoire de même nom dans la province du Sud-Ubangi. Le 23 mai, Congo Indépendant a publié notre récit de voyage sous le titre de « Ombres et lumières de Budjala « . Le 11 mai, de retour à Gemena, chef-lieu de la province ci-dessus, nous ne pouvions résister à l’appel de Bwamanda, cette Mission catholique du diocèse de Molegbe devenue célèbre pour son Centre de Développement Intégral (CDI) et surtout pour son soya que nous consommions en famille à la fin des années 80 et au début années 90 quand nous vivions encore au pays à Kinshasa.

Nous empruntons l’un des tronçons de la route non-asphaltée Akula-Gemena-Boyabo-Libenge (291 km) et Boyabo-Zongo (94 km) réhabilitée récemment par une firme chinoise sur financement de la Banque Mondiale et du Multi-Donor Trust Fund. Nous traversons d’immenses villages Ngbaka et presqu’à mi-chemin, au niveau du village Mbari, nous bifurquons à gauche pour traverser d’autres grands villages Ngbaka, le territoire de Gemena étant presqu’entièrement peuplé par cette ethnie. Dans chaque village, les Ngbaka ont construit eux-mêmes des églises en matériaux durables. Fidèles à nos habitudes, nous découvrons Bwamanda à travers des rencontres fortuites avec des habitants représentants différents segments de la population.

Tout est grandiose dans cette Mission Catholique. L’église a l’allure d’une cathédrale. Cependant, les dimanches, les retardataires suivent la messe à l’extérieur. La Mission fut fondée par les Pères Capucins en 1962 qui y ont construit un couvent d’une centaine de chambres en cours de rénovation par des jeunes volontaires belges. Elle compte 40 écoles dont 10 à Bwamanda même. Une école supérieure se distingue: l’Institut Catéchétique et pastoral Lendisa jadis à vocation sous-régionale. On y admet des couples, les hommes recevant une formation multidisciplinaire centrée sur des sciences religieuses et leurs épouses apprenant un métier, généralement la couture, dans ce qui est communément appelé foyer.

Qui dit Bwamanda sur le plan national pense aussitôt à son Centre de Développement Intégral (CDI) dont le plan fut élaboré à l’Université Lovanium à Kinshasa sous la direction du père capucin Leonard Van Baelen pour être lancé en 1969 quand le médecin Jan Van Mullen s’engagea à servir à l’hôpital local où, autour du père Gérulf (Henri Evens), s’était constitué un groupe de jeunes désireux de travailler pour l’essor de la région. Le projet bénéficia d’un soutien limité de l’Etat congolais et de la Coopération belge et plus tard de l’Union Européenne. Visant à l’origine le développement de la seule Mission Catholique de Bwamanda, le projet va très vite s’étendre dans tout le nord de l’ex-province de l’Equateur, à Kinshasa et à Mateko dans l’actuelle province du Kwilu.

Centre de développement intégral ou global, Bwamanda ASBL-ONGD intervient dans le social et l’économie. Le social comprend quatre domaines. La santé, avec une initiative qui a attendu longtemps avant d’être répliquée ailleurs au pays, la mutuelle de santé. L’hydraulique, avec à son actif déjà plusieurs centaines de puits de forage dont la maintenance a été confiée aux utilisateurs via les techniciens locaux. L’éducation, non seulement à travers les écoles catholiques, de l’Etat et les écoles professionnelles dont la gestion est confiée au diocèse, mais également à travers l’enseignement non formelle. Last but not the least, l’entretien des routes dont nous sommes témoins à Bwamanda même.

L’économie de la région tourne autour de l’agriculture avec ses cultures vivrières (manioc, maïs, riz et soja) et ses cultures de rente dont le café. Le CDI dispose de plusieurs centaines d’hectares de terre pour des champs démonstratifs visant à soutenir la production agricole avec le concours de l’INERA de la région, située sur le tronçon de route Gemena-Akula et spécialisée en cultures vivrières tandis que celui de Yangambi est spécialisé en cultures pérennes. Le CDI s’occupe également de la commercialisation des produits agricoles, évacués à son port de Kinshasa par son propre bateau à partir de son port de Mogalo situé à 25 kilomètres de Bwamanda sur la rivière Lua, affluent de l’Ubangi navigable de juillet à décembre. Mais il est loin le temps où le CDI commercialisait des dizaines de milliers de tonnes de maïs et de café. Actuellement, la commercialisation ne dépasserait pas quelques centaines de tonnes. Que s’est-il passé? La mauvaise gestion serait à l’origine de la faillite. C’est du moins l’avis de certains locaux que nous rencontrons et qui expliquent que le petit peuple, lui, a déjà trouvé des boucs émissaires, c’est-à-dire les « étrangers », entendez par là même les Ngbaka originaires des Missions Catholiques voisines. Mais d’autres rencontres ont permis de mieux comprendre ce qui est arrivé au CDI jadis florissant.

La commercialisation a d’abord souffert de la chute des prix sur le plan international au début des années 2000. Le CDI a mitigé ce coup dur en se tournant vers le commerce équitable. Mais le mal ne sachant pas seul venir, il y eut ensuite la pathologie (tracheonycose?) qui frappa la culture du café dans toute la région. Par ailleurs, le CDI avait recours à deux sources de financement: les fonds propres et les bailleurs de fonds cités ci-dessus. La crise financière mondiale de 2008 aidant, ces derniers ont réduit leurs aides. A cela se sont ajoutées les guerres d’agression maquillées en rebellions que le pays a connues. La pléthore du personnel (plus ou moins 1.500 membres avant) et l’endettement ont fait le reste. Mais de l’avis de plusieurs intervenants, même si pour la population dont les produits agricoles ne sont plus achetés l’échec reste d’actualité, l’ASBL-ONGD se trouverait désormais dans une phase de relance, la restructuration aidant. Il dispose d’un personnel mois pléthorique de moins de 500 membres, avec une écrasante majorité dans le secteur médical. Il a été scindé en deux entités: le Nord-Ubangi, d’une part, et, d’autre part, le Sud-Ubangi, Kinshasa et Mateko. Une partie du patrimoine a été vendue pour apurer les dettes. Et la direction de l’institution a été transférée de Kinshasa à Bwamanda.

L’activité renait progressivement de ses cendres à un point tel que les groupes électrogènes à moteur diesel qui fournissent de l’électricité au CDI sont alimentés en bio-carburant à base d’huile de palme. De l’huile de palme transformée en carburant au Congo-Kinshasa par des Congolais! Une grande première, fruit d’une collaboration entre le CDI et une université belge. La production à ce stade initial serait d’une bonne centaine de litre par jour. En apprenant cette nouvelle, nous imaginons aussitôt le bonheur de tous les forçats de la région quand le projet aura atteint la vitesse de croisière. Par forçats, nous entendons les jeunes qui par milliers doivent quitter leurs villages à bicyclette parfois à plus de 200 kilomètres, chargés de 6 voire 7 bidons de 25 litres d’huile de palme qu’ils vont vendre à 6 ou 7.000 FCFA à une clientèle presqu’exclusivement centrafricaine au marché d’Elaka sur la rivière Ubangi en aval de Zongo; ce montant devant être multiplié par 2,7 pour obtenir l’équivalent en Franc congolais. Ce ballet impressionnant commence chaque vendredi. Il se poursuit jusqu’à lundi matin, premier jour de ce marché de 2 jours. Nous avions rencontré ces jeunes pour la première fois en 2014. Leurs vélos arboraient tous des drapelets aux couleurs nationales. En 2017, nous avions constaté que les drapelets avaient disparu. Une façon pour cette jeunesse dynamique, résiliente mais oubliée de sanctionner les médiocres qui gouvernent le pays. En les voyant pédaler, nous nous sommes toujours dit qu’il ne leur manquait qu’un entrainement approprié pour devenir des champions du Tour de France. Mais notre joie fut de courte durée. Pour produire ce bio-carburant, il faut débarrasser les noix de palme de l’eau et des impuretés. Parmi celles-ci, il y a surtout l’acide. Le meilleur moyen de l’éviter est de traiter les noix de palme le jour même de la coupe du régime; ce qui est loin d’être le cas de l’huile de palme produite dans les villages.

Le CDI dispose également d’un immense poulailler qui attend les premiers poussins dans le cadre de la relance des activités. Ses installations industrielles et vastes hangars de stockage du café et du soja ont été bien conservées en dépit des guerres à répétition, la vedette étant la machine à griller le soja. Le consommateur ignore que son soya doit être grillé à une température qui détruit tous les éléments toxiques tout en conservant les éléments nutritifs. A la moindre erreur de commande, le produit devient impropre à la consommation. Cette machine est unique sur toute l’étendue du grand corps malade qu’est le Congo-Kinshasa.

L’impression qui se dégage de notre visite de la Mission Catholique Bwamanda est que du dictateur à la belle toque de léopard au dictateur actuel, tous les deux hissés au sommet de l’Etat par des mains étrangères, le Congo-Kinshasa n’a jamais été gouverné dans l’intérêt du peuple. Car, s’il avait été ainsi gouverné, il n’y aurait pas un seul Bwamanda sur toute l’entendue du territoire national, de surcroit en faillite et tentant difficilement de se relever, mais un Bwamanda au niveau de chacune des provinces actuelles voire même de chaque territoire. A travers Bwamanda, les pères capucins ont indiqué la voie que devrait suivre le développement économique de l’arrière-pays ou du Congo profond. En dépit de la faillite, le CDI a impacté la vie des populations locales au point que la localité de Bwamanda à drainé du monde. Elle compte plus de maisons en matériaux durables que le chef-lieu du territoire de Budjala, par exemple. L’activité économique reste encore vivace au point d’attirer des commerçants Nande récemment établis à Gemena et que nous avons rencontrés, en route vers le marché hebdomadaire de Bwamanda. Au lieu des projets pharaoniques du genre ferme présidentielle ou domaine agro-industriel présidentiel de la N’sele, hier, ou du parc agro-industriel de Bukanga-Lonzo, aujourd’hui, un Etat responsable devrait soutenir des ASBL-ONGD de la taille de Bwamanda et s’assurer, à travers des mécanismes de contrôle efficaces, que les bénéfices engrangés soient réinvestis dans les outils de production, le social et les coûts organisationnels. A Bwamanda, l’école technique dispose même des compétences pour fabriquer les pompes à eau que le pays importe toujours après près de 6 décennies d’indépendance alors que la lutte contre les maladies hydriques est loin d’être gagnée. Faute de moyens, elle ne peut pas se lancer dans une production à grande échelle.

Des médiocres ont toujours dirigé le Congo-Kinshasa depuis l’indépendance. Mais faut-il pour autant désespérer de l’avenir? Non. Pour que cette espèce d’hommes soit en voie de disparition, il faut des alternatives à la démocratie des singes, celle mise ne place par des êtres humains qui n’ont d’autre ambition dans la vie que d’imiter servilement l’ingénierie politique occidentale même quand celle-ci étale au grand jour ses insuffisances voire ses nuisances. Une alternative a déjà le mérite d’exister sous le ciel congolais. Nous l’avons exposée dans notre article intitulé « Évangile démocratique selon Saint Mayoyo « , publié par Congo Indépendant le 28 avril dernier. Elle a reçu quelques critiques pendant que nous avions repris notre bâton de bourlingueur qui nous a conduit d’abord à Budjala, puis à Bwamanda. Nous allons revenir là-dessus prochainement, car c’est du choc des idées que jaillira la lumière si indispensable pour sortir notre pays de sa mauvaise gouvernance endémique qui n’est nullement une fatalité.

 

Par Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

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