Loseke: « Le corps du président Tshisekedi est séquestré à Bruxelles »

Tharcisse Loseke Nembalemba n’est plus à présenter. Docteur en médecine (neurologue), proche parmi les proches d’Etienne Tshisekedi wa Mulumba, ancien secrétaire national aux relations extérieures de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social, « Tharcisse » est, depuis le 22 décembre dernier, vice-ministre des Finances dans le gouvernement de Samy Badibanga Ntita. De passage à Bruxelles, il a répondu, samedi 11 mars, à quelques questions de la rédaction de Congo Indépendant.

A savoir notamment: la rupture avec l’UDPS, l’entrée dans l’équipe Badibanga, la situation générale au pays, le décès de « Tshitshi », les relations avec Félix Tshisekedi et l’ambiance au sein du Rassemblement. Sans omettre la difficile entrée en vigueur du compromis politique du 31 décembre 2016. Interview.

Comment allez-vous?

Je me porte très bien. Il faut être en bonne santé pour occuper le poste qui est le mien. Un poste qui requiert une mobilisation intellectuelle et physique.

Que faites-vous à Bruxelles?

Je reviens de Bogota, en Colombie, où j’ai été participé au conseil d’administration de l’ITIE. Cet acronyme veut dire « Initiative pour la transparence des industries extractives ». C’est un cadre qui regroupe les pays exploitant et ceux qui produisent des matières premières. La société civile fait office de surveillant. L’ITIE a pour mission d’assurer la transparence dans l’exploitation des ressources naturelles pour éviter les fraudes et les exploitations illégales dans les pays producteurs. C’est le cas du Congo qui est concerné par l’industrie minière, l’extraction du pétrole et du bois. Je suis allé dans la capitale colombienne non seulement pour rencontrer les exploitants mais aussi des représentants de la société civile tels que Transparency International et Global Witness. L’objectif était de solliciter leur concours afin que nos ressources profitent réellement à la population congolaise.

Votre départ de l’UDPS est intervenu quelques jours après la conférence de presse que Félix Tshisekedi a co-animée avec vous le 4 novembre à Bruxelles, en qualité respectivement de secrétaire général adjoint et de secrétaire national chargé des relations extérieures. Quel l’élément déclencheur de cette rupture qui a surpris plus d’un observateur?

Je tiens d’abord à vous dire qu’il n’y a jamais eu de rupture avec l’UDPS. J’en fais toujours partie. Nous allons bientôt redynamiser cette formation politique. L’objectif est de porter encore plus haut le flambeau de l’héritage que le président Etienne Tshisekedi nous a laissé.

« Nous », c’est qui?

Par « nous », j’entends tous ceux qui se considèrent encore membres de la « vraie UDPS ».

Y a-t-il, selon vous, une « fausse UDPS »?

J’espère bien que nous allons parler de l’UDPS qui est noyautée par ceux qui sont venus nous rejoindre. Deux années après, ceux-ci se disent opposants. Ils sont à la base des problèmes auxquels est confronté le parti. Ils nous ont, par ailleurs, fait rater le pouvoir. Pour eux, l’UDPS n’est qu’une « blanchisserie » pour qu’ils redeviennent propres. Aujourd’hui, ces personnes se pavanent et occupent des postes dans l’opposition.

Pouvez-vous citer les noms des personnes auxquelles vous faites allusion?

Je peux citer les membres du G7 et ceux de l’AR qui se disent des « katumbistes ». Peut-on se dire opposant simplement parce qu’on a beaucoup de moyens financier pour infiltrer l’opposition? C’est ça ce que j’appelle la « fausse UDPS ».

Quelle est, selon vous, la définition du mot « opposant »? N’est-ce pas toute personne qui s’oppose à un régime?

Il y a de la fausse opposition. C’est l' »opposition de positionnement ». C’est une opposition qui est tout sauf crédible. On peut se positionner contre un gouvernement pour se faire une notoriété auprès de l’opinion nationale et se lancer à la conquête du pouvoir. Je considère qu’on peut quitter le kabilisme pour devenir anti-Kabila sans nécessairement se débarrasser du kabilisme. Rien n’atteste que les personnes qui ont quitté Monsieur Kabila feront autre chose que ce qu’elles avaient fait avec lui pendant plus de dix ans. « Malgré les années passées dans l’eau, un tronc d’arbre ne devient jamais un crocodile », dit la sagesse populaire.

D’après la loi, un opposant qui fait son entrée dans un exécutif national ou provincial perd le statut d’opposant. Peut-on dire que le vice-ministre des Finances Tharcisse Loseke Nembalemba se considère toujours comme membre de l’opposition?

Je peux vous affirmer avec force que je suis toujours un opposant. Il y a un bémol. Nous sommes dans un gouvernement d’union nationale dirigé par un membre de l’opposition. Un membre de l’UDPS. Nos sensibilités idéologiques demeurent intactes. Nous sommes au gouvernement pour préparer les élections. Nous ne faisons nullement partie de la majorité présidentielle. Il est vrai que l’équipe en place à eu besoin de l’onction de l’Assemblée nationale pour obtenir son investiture.

Jusqu’ici vous n’avez pas encore donné la raison qui a motivé de votre départ de l’UDPS…

J’étais le secrétaire national aux relations extérieures de l’UDPS. J’étais le véritable patron de la « diplomatie ». J’ai eu, à ce titre, beaucoup de contacts diplomatiques dont certains avec mon prédécesseur Félix Tshisekedi Tshilombo. Que s’est-il passé après les événements de triste mémoire du 19 septembre? La communauté internationale nous a signifié son opposition à ce genre de manifestation. La communauté internationale nous a, par la suite, poussés vers la « cohabitation ». Au motif que les rapports de force entre le pouvoir et le Rassemblement était déséquilibré. Nous n’avions aucune chance d’accéder au pouvoir à la date du 19 décembre 2016. J’ai transmis plusieurs notes au président Etienne Tshisekedi avec qui je me suis entretenu.

Et après?

Nous avons organisé une réunion au sein de l’exécutif de l’UDPS. C’était au mois de novembre. L’ordre du jour consistait à choisir entre la « cohabitation » et la « confrontation ». Le procès-verbal de cette réunion peut en témoigner. Une majorité écrasante opta pour la cohabitation. Pour confirmer cette option, nous avons créé quatre commissions chargées de recueillir les opinions de la base à travers les fédérations de la capitale. Conclusion: les Kinois ne voulaient plus d’affrontement. Il fallait que nous présentions ces conclusions au président Tshisekedi. Mais certaines personnes – qui se reconnaîtront – ont dit « Niet ».

Des noms?

C’est le cas du secrétaire général de l’UDPS Jean-Marc Kabund. Celui-ci sera renforcé par le secrétaire général adjoint Félix Tshisekedi qui dira que nous devrions aller jusqu’au 19 décembre pour tenter la confrontation avant de négocier la cohabitation. Je n’étais pas favorable à ces avis qui allaient à l’encontre de la position exprimée par la majorité des membres de l’exécutif du parti. Que s’est-il passé par la suite? C’est lorsque je serai empêché d’exprimer cette dernière position que je comprendrai que je n’étais plus une persona grata. D’autre part, Tom Perriello, l’Envoyé de l’Administration Obama a recontacté la direction de l’UDPS pour rappeler l’entretien qu’on a eu avec lui à l’ex-hôtel Hilton de Bruxelles. Il nous avait mis en garde du risque encouru par l’UDPS d’être isolée diplomatiquement au cas où elle persisterait dans le bras de fer.

La nomination de Samy Badibanga au poste de Premier ministre est intervenue le 17 novembre…

Effectivement! La nomination de notre ami Samy Badibanga est intervenue au moment où je défendais la thèse de non-confrontation.

Vous dites « ami » alors que Badibanga était exclu de l’UDPS…

Je vous mets au défi de me montrer une seule prise de position de la direction de l’UDPS disant qu’elle était contre cette nomination.

En tout cas, des voix s’étaient élevées pour dénier au nouveau « Premier » son appartenance à l’UDPS…

L’auto-exclusion ne fait guère partie de la nomenclature des sanctions au sein de l’UDPS. Je peux vous dire qu’après les législatives de 2011, Samy Badibanga a toujours été fréquenté par des cadres de notre parti. Voilà pourquoi, je suis allé lui présenter mes civilités tout en le félicitant de sa nomination. Ma démarche a été mal prise par ceux qui voulaient profiter de cette occasion pour me suspendre illégalement. Cette situation m’a mis mal à aise. L’ami Samy Badibanga m’a demandé de rejoindre son équipe. J’ai accepté. Et ce pour la simple raison que je militais pour la cohabitation. Le gouvernement actuel est un gouvernement de cohabitation. La Conférence épiscopale nationale du Congo a voulu – dans le cadre de l’inclusivité – intégrer le Rassemblement dans le gouvernement. Maintenant, on cherche à changer de gouvernement. C’est un autre problème

Avant votre entrée au gouvernement Badibanga, vous passiez pour un des opposants farouches au régime Kabila. Que sont devenus les principes et les valeurs que vous défendiez jadis?

Je n’ai pas changé. Je continue à défendre l’Etat de droit et l’amélioration de la qualité de vie de la population. Je continue à combattre les antivaleurs que nous connaissons dans ce pays.

Dans trente jours, le gouvernement Badibanga aura atteint ses 100 premiers jours. Pourriez-vous faire un « pré-bilan » à mi-parcours?

Le bilan est extrêmement positif. Ce n’est pas seulement les membres du gouvernement qui le disent mais aussi les partenaires extérieurs.

Des exemples?

Nous avons trouvé un déficit du trésor de plus 600 milliards de Francs congolais [Ndlr: l’équivalent de 600 millions USD]. Nous l’avons ramené en l’espace de deux mois à 4 milliards Fc. Comment avons-nous procédé? Nous avons réduit les dépenses publiques en fermant tous les « robinets qui coulaient ». Les dépenses inutiles ont été supprimées. Nous avons laissé les dépenses de souveraineté et les dépenses d’urgence. Nous avons également contenu l’inflation. A titre d’exemple, le taux de change que nous avons trouvé à 1.300 Fc pour un dollar est maintenant stabilisé, en l’espace de deux mois, à 1.200 Fc. Ce qui est plus important en matière des finances publiques, c’est la stabilisation du cadre macroéconomique. Nous avons aussi mobilisé des recettes internes de manière tout à fait spectaculaire au niveau des régies financières. Nous menons une lutte acharnée contre la fraude et la corruption. Nous ne sommes qu’au début.

Quel est l’impact de tout cela au plan social?

Notre objectif est de réduire un tant soit peu la pauvreté. Nous avons 28 mesures d’urgence qui englobent beaucoup de chose

Ces mesures remontent au mois de janvier 2016…

Il s’agit d’une version corrigée. Les 28 mesures n’étaient avant qu’un slogan. Maintenant, elles sont appliquées.

Vous avez été un proche parmi les proches d’Etienne Tshisekedi wa Mulumba. Quel sentiment éprouvez-vous de n’avoir pas eu l’occasion de vous incliner devant sa dépouille?

Il n’est pas encore trop tard. Les obsèques du président Tshisekedi n’ont pas encore eu lieu. Son corps est séquestré à Bruxelles.

Vous considérez que son corps est « séquestré »?

C’est une séquestration et un chantage inadmissibles alors que la population congolaise attend l’arrivée de la dépouille pour organiser des funérailles grandioses. Je ne suis pas de la famille biologique de l’illustre disparu. Il reste que ce dernier me considérait comme son frère. C’est depuis 1988 que je fréquente le président Tshisekedi. Je lui étais très proche. Le gouvernement m’a confié la charge de diriger la commission d’organisation des aspects sécuritaires et des funérailles. Je peux vous assurer que nous avons prévu des funérailles dignes. La famille biologique et certains responsables de l’UDPS ont décidé autrement. Nous verrons bien. Nous espérons que le corps du président Tshisekedi reviendra bientôt au pays.

Que répondez-vous aux « combattants » qui vous qualifient de « traître »?

Je n’ai trahi personne. Et ce pour la simple raison que le président Tshisekedi était au courant que Dr Oly Ilunga et moi-même avions repris nos libertés par rapport à l’environnement politique. Nous l’avions tenu pleinement informé de notre volonté de mettre notre savoir-faire au service du pays.

Avez-vous des contacts avec Félix Tshisekedi?

Les contacts ont été rompus dès le jour où je lui ai fait part de mon intention d’aller saluer Samy Badibanga, notre ami commun. L’attitude de Félix m’est apparue autant inamicale qu’inélégante à l’égard de « Samy ».

Comment va le Premier ministre Badibanga?

Il est très en forme.

C’est-à-dire?

Il est très lucide et écoute les conseils. Il n’est pas un homme influençable. Pour moi, il est à la hauteur des fonctions qu’il assume.

La confusion qui a régné au sein du Rassemblement n’arrange-t-elle pas vos affaires dans la mesure où elle permet de prolonger la durée de vie de votre gouvernement?

Pas du tout! Ce qui se passe au Rassemblement n’est nullement le fait du gouvernement Badibanga. La cause tient à la mainmise des « katumbistes » sur l’opposition. C’est cette domination qui a provoqué l’implosion tant du Rassemblement que de l’UDPS. Ceux qui sont venus à la « blanchisserie » se croient être en droit de nous donner des leçons de l’opposition. Alors qu’ils nous ont fait souffrir pendant des années avec des actes concrets que nous dirons le moment venu. Cette confusion ne nous arrange pas. Bien au contraire. Nous allons tout faire pour que l’UDPS survive. Et ce en dépit de l’influence des katumbistes sur les tshisekedistes. Nous allons tout faire pour bloquer cela. Ceux qui ont volé des millions hier se retrouvent aujourd’hui dans l’opposition où il distribue leur « fric ». Moi, je ne vole pas. Je suis allé au gouvernement pour participer à la mise en route du processus électoral. S’il y a des dividendes au plan matériel, je n’en disconviens pas.

Dans le compte-rendu du tout récent conseil des ministres, le porte-parole a indiqué que « Joseph Kabila » a dit aux membres du gouvernement de continuer à travailler. Ce message doit vous mettre un peu de baume au cœur…

Ce n’est pas la première fois qu’il le dise. Au cours d’une précédente réunion, il avait dit que nous resterons en fonction jusqu’aux élections.

Il n’y aura donc pas de changement de gouvernement?

On peut restructurer le gouvernement mais on ne va pas le changer. La primature n’est pas vacante. C’est pour cette raison que j’ai tendance à dire que l’accord de la Saint Sylvestre a été signé dans la précipitation. C’est un accord inapplicable. Nous continuons à travailler comme si de rien n’était pour amener les Congolais aux urnes à la fin de l’année en cours ou en avril 2018. Le ministère des Finances donne des moyens à la CENI pour l’organisation de ces consultations politiques.

Que répondez-vous à ceux qui disent que le « Premier » Badibanga peine à s’affirmer face à une Présidence de la République omnipotente? Les arrestations arbitraires et les intimidations continuent…

Vous voulez faire du Premier ministre l’égal du chef de l’Etat pour qu’il y ait un bicéphalisme à la tête du pays? Non! Il faut qu’il y ait une franche collaboration entre le Président de la République et le Premier ministre. Samy Badibanga, opposant et membre de l’UDPS, est entrain de démontrer qu’on peut cohabiter au sommet de l’Etat. A propos des arrestations arbitraires et des intimidations auxquelles vous faites allusion, je peux vous dire qu’il y a de l’exagération. Faut-il laisser impuni les fauteurs de trouble et les gens qui diffament?

D’aucuns pourraient vous rétorquer que vous ne teniez pas ce genre de discours…

Je cite mon exemple. Il se raconte que j’aurai vendu le dossier médical du président Etienne Tshisekedi au président Kabila. Il se raconte également que j’ai contribué à sa mort. Au moment où je vous parle, la sécurité de ma famille est menacée à Montréal, à Bruxelles et à Kinshasa. Comment voulez-vous que ceux qui propagent ces histoires farfelues sur les réseaux sociaux soient laissés en liberté s’ils sont identifiés?

Prenons le cas du député national Franck Diongo qui se trouve à Makala depuis fin décembre après un procès expéditif. L’opinion peine à croire que le gouvernement actuel compte en son sein des anciens opposants qui défendaient la démocratie et le respect des droits de l’homme. Qu’en dites-vous?

Le dossier de Franck Diongo est tellement complexe que je me garde de faire de commentaires. Nous étions tous très touchés par ce qui est arrivé à « Franck ». La Monusco était venue à son domicile. Elle lui a demandé de cesser de se faire entourer des combattants. Des combattants qui étaient très provocateurs à l’égard des forces de sécurité. Il a préféré rester les garder.

Est-ce une infraction le fait d’être entouré des combattants?

Je ne fais aucun commentaire. Cela dépend des actes que l’on pose.

D’aucuns soutiennent, à tort ou à raison, que les opposants congolais se battent uniquement pour accéder au pouvoir pour le pouvoir votre réaction?

Ce n’est nullement mon cas! Je me prépare pour avoir une base électorale sûre à Kinshasa ou à Katakokombe. Une base électorale au service de laquelle je vais travailler pour améliorer son quotidien. Ceux qui sont surpris de me retrouver au gouvernement Badibanga sont mal informés. A l’heure actuelle, nous sommes sur le même pied d’égalité par rapport à ceux qui piaffent d’impatience d’être nommé par le même président Kabila. Ceux qui veulent entrer au gouvernement poursuivent le même objectif. On ne peut rien me reprocher.

 

Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi

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