Lutte contre la corruption: beaucoup de paroles, peu d’actions

Que faire ?

Criminel en col blanc

Depuis Mobutu et sa description du « mal zairois » en passant par Kabila et sa « tolérance zéro » nos dirigeants ne cessent de discourir de la lutte contre la corruption sans la moindre action pour tenter d’y mettre fin. Dans la même lignée des incantations stériles, l’actuel Président se distingue par la répétition de son intention de lutter contre la corruption notamment dans son discours prononcé lors de la dernière assemblée des Nations Unies. Lorsque, presque simultanément, il affirme que la disparition de 15 millions de $US des caisses de l’état n’est pas un détournement on peut craindre que les paroles ne soient suivies de la moindre action.

Plus de cinquante ans de discours et le « mal zairois » (*) n’a fait que s’aggraver et a transformé le pays en paradis de criminels en col blanc et en enfer des populations.

A la corruption généralisée qui s’est amplifiée est venu s’ajouter une prédation sans précédent des principales ressources du pays par une série de contrats conclus par des dirigeants cupides et incompétents contre des commissions dérisoires en comparaison avec les milliards gagnés par des intermédiaires véreux.

A l’époque de Mobutu, l’exploitation minière contribuait significativement au budget de l’état et au développement des services d’éducation et de santé des régions minières. Aujourd’hui, alors que la production a été multiplié par 2,5 pour le cuivre et par un facteur plus élevé pour d’autres minerais, la contribution au budget de la nation est réduite et les services de santé et d’éducation des régions minières ne sont plus que l’ombre de ce qu’ils étaient.

La tolérance zéro quant à elle n’a été appliquée qu’à toute forme de contestation démocratique et a entraîné l’assassinat et l’embastillement d’opposants connus, de nombreuses fosses communes avec des opposants moins connus, des massacres continuels de populations civiles et des millions de déplacés. La tolérance zéro de la liberté d’expression a même été appliquée contre notre prix Nobel pour avoir dénoncé les viols et autres violences qui se passent en toute impunité et sous le regard indifférent de nos dirigeants en cols blancs parmi lesquels les premiers ministres et ministres. Même les tentatives d’assassinat contre le Dr. Denis Mukwege n’ont provoqué la moindre réaction de sympathie de leur part.

Le « mal zairois » décrit par Mobutu n’était finalement qu’un banal rhume comparé au cancer développé par les dirigeants qui lui ont succédé. Un cancer qui enrichit les criminels en cols blancs et dont les conséquences mortifères ne frappent que les plus démunis de la communauté nationale: la majorité de la population.

Si aucune action n’a été entreprise pour lutter contre le rhume ni contre le début du cancer que pouvons nous faire pour lutter contre le cancer métastasé dans toutes les institutions?

Comme dit et répété par nombre d’observateurs et activistes, la seule manière de lutter contre les criminels en col blanc est de supprimer l’impunité dont ils jouissent. Comme l’appareil judiciaire congolais n’est pas à même faire son travail, parce que dirigé par ceux là même qui doivent être poursuivis et parce qu’il est lui-même gravement atteint, les criminels doivent être attaqués par d’autres moyens, par tous les moyens.

Il doivent être dénoncés publiquement et nommément avec éléments de preuve à l’appui dans tous les organes de presse et tous les réseaux sociaux et des plaintes déposées quand c’est possible, au pays comme à l’étranger.

Trois groupes pourraient jouer un rôle:

I. Nos dirigeants et politiques

Beaucoup de paroles mais aucune action. Plus ils parlent de lutte contre la corruption plus ils sont corrompus. Certains ne peuvent ouvrir la bouche sans parler de cadre macro-économique et de bonne gouvernance alors qu’ils sont impliqués dans des prédations portant sur des centaines de millions de $US. Quasiment tous, quels que soient les partis ou les institutions qu’ils animent ont à un moment ou un autre participé à la mangeoire. On ne peut donc pas en attendre grand-chose. Quelques-uns cependant, soit dans le but de nuire à un concurrent soit encore parce que écartés de la mangeoire pourraient prendre de initiatives en dénonçant leurs concurrents ou en finançant des initiatives de la société civile.

II. La communauté internationale (CI)

a) La partie « politique » de la CI

A l’exception notable des sanctions imposées par les USA et l’UE à quelque individus, la partie « politique » de la CI, les gouvernements et les institutions qui les représentent, donnent priorité à ce qu’ils appellent « la stabilité » par rapport à la justice et la lutte contre la corruption. En d’autres termes ils privilégient l’absence de danger réel pour leurs ressortissants et leurs entreprises. Les violences éloignées des grands centres, les atteintes aux droits de l’homme et les crimes économiques peuvent susciter des « vives préoccupations » allant même jusqu’aux « inquiétudes » mais sont finalement tolérés. Même lors de l’assassinat de deux enquêteurs du conseil de sécurité la CI a été particulièrement inefficace et des fuites récentes ont révélé des tentatives de dissimulation de la vérité! Dans ces conditions, la corruption, les prédations et les fraudes massives même dans les élections sont considérées comme des moindres maux. Pour se donner bonne conscience, on va essayer de trouver des solutions techniques: sensibilisations, assistance technique, renforcement de capacités etc. Le problème étant de nature politique, leurs initiatives techniques sont autant de coups d’épée dans l’eau avec souvent des effets pervers: les forces de répression mieux équipées, pour mieux réprimer, les fonctionnaires mieux formés pour mieux détourner et mieux truquer les marchés publics. A l’exception de certaines exigences de transparence du FMI, non satisfaites et à l’origine de la rupture du programme du FMI en RDC, les exigences de transparence sont quasiment inexistantes. Le refus du ministre des Finances de publier les résultats de l’examen des dépenses publiques réalisé en 2012 par le « Public expanditures and financial accountability PEFA » pourtant financé par la CI (UE WB) et le refus de procéder à l’examen prévu pour 2016 n’ont eu aucune réaction notable de la CI. Il en a été de même lorsque le premier ministre a refusé de fournir des informations lors d’un audit des marchés publics, financé par cette même CI. Dans ces conditions, à l’exception de la comptabilité macabre mais utile des victimes des violences on ne peut pas attendre grand-chose de cette CI.

b) La partie « société civile » de la CI

Un grand nombre d’organismes de défense de droits de l’homme, de promotion de la transparence et de la lutte contre la corruption ainsi que des centres de recherche font un travail remarquable, non seulement en documentant les crimes et en les dénonçant mais également en faisant du lobbying auprès des membres de la CI pour les amener à être plus actifs et moins tolérant vis-à-vis de nos criminels en cols blancs. Par ces activités et par les appuis qu’ils fournissent à la société civile congolaise, ils constituent un élément important dans la lutte contre la corruption et l’établissement d’un état de droit.

III. La communauté nationale: les organisations de la société civile et les citoyens

Dans les conditions actuelles, pour cesser d’être exploités par des mafias de criminels qui entravent leurs droits les plus élémentaires et compromettent l’avenir de leurs enfants, les citoyens ne peuvent compter que sur eux même et sur les organisations de la société civile. En l’absence d’une justice qui pourrait calmer les ardeurs de nos malfrats, il va falloir nous même les attaquer (de manière pacifique) avec l’appui et l’impulsion de nos organisations de la société civile et avec l’appui de la partie « société civile » de la CI.

Comment faire pratiquement?

Sans entrer dans les détails l’attaque tient en deux phrases:

  • Dénoncer les malversations et leurs auteurs et complices de manière documentée
  • Poursuivre les auteurs et leurs complices.

Une organisation spécialisée en protection des lanceurs d’alerte peut organiser les modalités sécurisées pour communiquer – en assurant leur anonymat – des informations concernant les malversations, via internet et par des méthodes plus classiques. Les potentiels lanceurs d’alerte devront être informés de ces modalités ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Les organisations de la société civile y compris les organisations religieuses peuvent sensibiliser et motiver leurs membres et les autres citoyens en informant sur les modalités sécurisées afin qu’ils dénoncent les malversations et autres actions illégales dont ils ont été les témoins et/ou ou les victimes en documentant au maximum ces dénonciations.

Un collectif de juristes peut examiner les dénonciations et les éléments de preuve et si possible lancer des poursuites devant les tribunaux au pays comme à l’étranger.

Les organisations ayant une influence dans les pays étrangers peuvent faire du lobbying pour que des initiatives soient prises contre les participants, congolais comme étrangers, individus comme entreprises et banques, dans les actes de prédation, de blanchiment d’argent et autres actes de corruption. Les conventions internationales contre la corruption et l’extension du principe d’extraterritorialité dans de nombreux pays offrent des bases juridiques pour des actions contre des individus et organismes qui se croient aujourd’hui intouchables. Des actions peuvent être entreprises pour que les bailleurs de fonds et principalement les multilatéraux exigent davantage de rigueur dans la gestion de leurs financements et de transparence dans la gestion des finances publiques et des ressources naturelles.

Actuellement les audits des projets financés par la BAD et la BAD sont organisés par ceux là même qui doivent être audités! Les audits sont confiés à des auditeurs faisant preuve de « souplesse » condition pour obtenir de nouveau contrats et sont toujours positifs à la satisfaction tant du bénéficiaire du financement qui fait à peu près ce qu’il veut qu’à celle du bailleur dont l’objectif principal est le « décaissement » qui pourrait être compromis en cas d’irrégularités constatés par l’auditeur.

En attaquant les corrompus dans ce qui pour la plupart leur est le plus cher, leur portefeuille et pour quelques rares leur réputation – ou ce qu’ils pensent avoir comme réputation – on peut espérer diminuer leur sentiment d’impunité en attendant que la justice sorte de son profond coma.

Cessons la soumission volontaire, le salut est dans l’action des citoyens. Dans son discours précité sur le mal zairois,  Mobutu proposait: « … contre les folies et l’incompétence de certains dirigeants, il n’y a pas de garde-fou plus efficace que le peuple lui-même. En outre, seule la règle du droit peut arrêter les abus, non pas un droit théorique, mais celui qu’un peuple discipliné sait garantir lui-même ».

***

(*) Extrait du Discours sur le Mal Zaïrois:
Discours du 25 Novembre 1977 prononcé par le Président-Fondateur du M.P.R. Parti-Etat devant les Participants au 2ème Congrès Ordinaire du Parti tenu du 22 au 27 Novembre 1977, Agence Zaïroise de presse

Ce Discours percutant servit de référence obligée dans bon nombre de déclarations publiques et d’écrits pendant les deux années qui suivirent.

Il dénonce avec vigueur « Le règne de l’arbitraire, l’absence d’une quelconque loi ou d’un quelconque droit; la corruption structurelle généralisée, l’absence de toute organisation, les antivaleurs dont le M.P.R Parti-Etat avait imprégné toute la société nationale », en d’autres mots « la profonde inversion des valeurs dans la société zaïroise ».

En voici un extrait, qui en fait en fut la conclusion:

« Pour tout dire, tout se vend et s’achète dans notre pays. Et dans ce trafic, la détention d’une quelconque parcelle de pouvoir public constitue une véritable monnaie d’échange en contrepartie de l’acquisition illicite de l’argent ou d’une valeur matérielle et morale, ou encore, de l’évasion de toutes sortes d’organisations.

Pire même, l’usage par un particulier de son droit le plus légitime est soumis à un impôt invisible, dont la contre-valeur est ouvertement encaissée par des individus. Ainsi, le droit d’être reçu en audience, l’inscription à l’école de ses enfants, l’obtention de leurs bulletins de fin d’années, l’accès aux soins médicaux, une place dans l’avion, une licence d’importation, l’obtention d’un diplôme et j’en passe, sont tous assujettis à cet impôt invisible et pourtant connu de tout le monde. En conséquence, notre société risque de perdre son caractère politique pour devenir un vaste marché commercial, soumis aux lois les plus basses du trafic et de l’exploitation (…).

Face à tous ces maux, il faut reconnaître que trop souvent, l’état et le parti n’ont toujours pas réussi à décourager les mauvais, ni à encourager les bons.

Pourquoi? Simplement parce, d’une part, l’Etat est considéré par plusieurs cadres comme un instrument d’enrichissement individuel, et que, d’autre part, le peuple, en partie découragé et en partie complice, a cessé d’exercer son droit de contrôle sur ses gouvernants lorsque, à travers des liens particuliers de famille ou d’amitié, il encourage les vols des deniers et des biens publics, ses propres biens. Et malheureusement dans leur course effrénée vers la gabegie, le détournement ou l’incompétence, trop de cadres se cachent volontiers derrière le président-fondateur pour se créer, pour ainsi dire, une immunité juridique ou politique abusive.

C’est ainsi que des critiques justifiées d’une fraction du peuple à l’égard des responsables publics sont facilement présentées par ces derniers comme des attaques subversives contre le régime ou encore contre la Personne du Président-Fondateur.

Tous ces trafiquants, ces commerçants se trouvant dans presque tous les organes de l’Etat ont fini par former une caste d’intouchables, véritables exploiteurs de leur peuple.

La confiance que leur donne le Président-Fondateur, loin de constituer un stimulant vers un dévouement total à l’égard de leur peuple devient, entre leurs mains, un atout de plus pour organiser une vaste conspiration du silence autour de moi et un instrument supplémentaire de chantage contre le peuple (…).

L’image extérieure du Zaïre, projetée par ces mêmes cadres, est aussi humiliante. Souvent, à cause d’eux, le Zaïrois apparaît à l’extérieur comme un alliage tragi-comique de musiciens, de danseurs, de parvenus, d’irresponsables et de vantards.

Du comportement de cette catégorie de citoyens résulte une distorsion criante dans la structure interne du pays. En effet, concentrés dans leur majorité dans la capitale du pays, ces citoyens malhonnêtes sont transformé Kinshasa en un véritable centre d’exploitation de tout l’intérieur. »

Au terme de ce réquisitoire implacable contre « une bourgeoisie Zaïroise qui veut s’enrichir sans travailler, consommer sans produire. Diriger sans être contrôler », Mobutu conclut à la nature éminemment politique du « Mal Zaïrois ».

C’est pourquoi le diagnostic posé plus haut requiert un remède approprié, administré avec soin et rigueur. (…)

En effet, contre les folies et l’incompétence de certains dirigeants, il n’y a pas de garde-fou plus efficace que le peuple lui-même. En outre, seule la règle du droit peut arrêter les abus, non pas un droit théorique, mais celui qu’un peuple discipliné sait garantir lui-même.

Et le Mobutu proposa trois remèdes politiques:

  • La responsabilisation des organes et des cadres dirigeants de l’Etat et du Parti « Sans crainte quelconque d’une désapprobation imaginaire qui n’existe que dans la tête de ceux qui veulent décourager les bonnes volontés »;
  • L’instauration d’une véritable justice préventive et curative: « Je vais créer une institution nouvelle de protection, une sorte ‘d’œil du peuple’ chargée (…) de recevoir directement les requérants Zaïrois ou étrangers pour tous les abus dont ils seraient l’objet des autorités judiciaires, administratives, militaires ou autres, lorsque toutes les voies de recours traditionnelles auront échoué »;
  • Enfin et surtout, « la mise en pratique effective de toutes les libertés individuelles prévues par la Constitution et, parmi elles, la liberté des libertés :la liberté d’opinion, c’est-à-dire le droit pour les gouvernés de critiquer constructivement les gouvernants ».

 

Par Jean-Marie Lelo Diakese

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