Noël Tshiani et l’accès à la magistrature suprême

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

La « crasse » politique congolaise s’est récemment emballée à la suite d’un tweet posté par Noël Tshiani Muadiamvita, candidat à l’élection présidentielle de 2018 qu’on ne présente plus. « Dans les modifications prochaines de la Constitution, [écrit Tshiani], il faudra veiller à verrouiller l’accès à la présidence de la république en ne réservant cette haute fonction qu’aux Congolais et Congolaises nés des père et mère congolais. Il y a de bonnes raisons pour cette disposition ». Et l’auteur de poursuivre: « Il est important que le nettoyage de la Constitution se fasse pour protéger le pays contre le risque d’infiltration au sommet, avec tout ce que cela comporte comme danger pour la souveraineté de notre pays. Ce n’est pas une question de compétences ou de richesses, il est plutôt question d’empêcher l’arrivée à des fonctions sensibles des personnes à loyauté partagée ou des personnes ayant une allégeance douteuse à la nation, et qui seraient susceptibles d’avoir un pied ailleurs ».

Cependant, pour ses détracteurs, « l’article 72 de la Constitution actuelle a tout réglé ». Pour être candidat à l’élection présidentielle, il faut remplir les conditions ci-après: Posséder la nationalité congolaise d’origine; être âgé de 30 ans au moins; jouir de la plénitude de ses droits civils et politiques; ne pas se trouver dans un des cas d’exclusion prévus par la loi électorale. Certains vont jusqu’à voir dans la proposition de Tshiani une manœuvre politique visant à écarter Moïse Katumbi, de père occidental, de la course au pouvoir de 2023. Qui leur donnerait tort quand on sait que conscient du racisme atavique de l’homme blanc contre l’homme noir et de la montée de la cote d’amour du métis Kengo wa Dondo auprès des chancelleries occidentales, Mobutu avait barré la route de la présidence à ce dernier par le même artifice constitutionnel?

Laissons de côté les procès d’intention. Que valent les arguments des uns et des autres dans le débat suscité par la proposition de Tshiani? Pour bien répondre à cette question, il conviendrait de s’en poser bien d’autres. Pourquoi faut-il détenir « la nationalité d’origine » pour être candidat à l’élection présidentielle au Congo-Kinshasa? Pourquoi les candidats doivent-ils être âgé de 30 ans au moins et non 18, 25 ou 40 ans? Pourquoi selon la Constitution américaine, tout candidat doit être âgé de plus de 35 ans et non 25, 45 ou 55 ans? Pourquoi faut-il être citoyen des Etats-Unis à la naissance et non à 1, 5 ou 10 ans? Pourquoi faut-il avoir résidé aux États-Unis pendant au moins 14 ans et non 5, 10, 20 ou 30 ans? Pourquoi faut-il, en France cette fois-ci, être français [à la naissance ou non], électeur et âgé d’au moins 24 ans [et non 18, 34 ou 44 ans] au 1er janvier de l’année d’élection? Pourquoi le candidat doit-il réunir 500 parrainages et non plus voire moins? Ce questionnement qu’on peut étendre à tous les Etats du monde démontre que partout, les conditions de fond de même que les contraintes d’accès à la présidence de la république sont discutables. Pire, elles sont toujours discriminatoires puisqu’elles écartent de la course au pouvoir l’écrasante majorité des citoyens. Les détracteurs de Tshiani devraient le savoir.

Qu’en est-il alors des arguments avancés par Tshiani et ses partisans? Quand un Etat ou un peuple se dote d’une Constitution, il attend une et une seule chose de ses dirigeants, à commencer par le magistrat suprême. Il s’agit du respect de la Constitution. C’est en respectant la Constitution qu’on reste loyal envers son Etat ou sa nation. A cet égard, il n’existe aucun lien de cause à effet entre le fait d’être de père et de mère congolais et la loyauté à la nation congolaise. L’expérience humaine démontre que n’importe qui peut violer la Constitution. D’où les sanctions prévues à cet effet. Tshiani et ses partisans ont beau s’époumoner pour trouver et expliquer les « bonnes raisons » de sa proposition, la Constitution congolaise a déjà réglé la question de l’allégeance douteuse à la nation à travers la notion de crime de haute trahison. En effet, selon l’article 165 de la Constitution du 18 février 2006, « il y a haute trahison lorsque le Président de la République a violé intentionnellement la Constitution ou lorsque lui ou le Premier ministre sont reconnus auteurs, co-auteurs ou complices de violations graves et caractérisées des Droits de l’Homme, de cession d’une partie du territoire national ».

La Constitution congolaise va plus loin en prévoyant d’autres cas de haute trahison dans ses articles 7 et 63. Le premier article dispose que « Nul ne peut instituer, sous quelque forme que ce soit, de parti unique sur tout ou partie du territoire national. L’institution d’un parti unique constitue une infraction imprescriptible de haute trahison punie par la loi ». Aux termes du deuxième article, « Les Forces armées sont républicaines. Elles sont au service de la Nation toute entière. Nul ne peut, sous peine de haute trahison, les détourner à ses fins propres ».

La Constitution congolaise a tout réglé. Tout, sauf une chose que Tshiani, ses partisans et ses détracteurs ne voient pas. Il s’agit de la bonne disposition des choses qui doit permettre au pouvoir d’arrêter le pouvoir. « Les Forces armées sont républicaines. Elles sont au service de la Nation toute entière. Nul ne peut, sous peine de haute trahison, les détourner à ses fins propres ». Cela est aussi vrai pour les forces de police. Pourtant, pendant les trop longues dix-huit années de pouvoir de la Kabilie, les Forces armées et la Police congolaises étaient constamment détournées de leurs fins propres et cela en toute impunité. Prenons un exemple. Pendant la campagne électorale de 2018, les forces de l’ordre ont empêché un candidat de battre campagne à l’étape de Lubumbashi. Il s’agissait là ni plus ni moins d’un cas flagrant de haute trahison. Mais tout s’est passé comme si rien ne s’était passé. Tous les autres candidats ont poursuivi leurs campagnes. Juge du Président de la République et du Premier Ministre, la Cour constitutionnelle est restée aux abonnés absents. Le Président Joseph Kabila, lui, pouvait se réjouir d’être un despote dans un système politique dit démocratique.

Que conclure de tout ce qui précède? En matière de réformes censées sortir un jour le Congo-Kinshasa des marais, les élites congolaises ont toujours botté en touche à chaque moment clé de l’histoire du pays. De Kasavubu à Mobutu, le pays avait besoin d’un système politique capable de juguler les effets pervers des forces centrifuges. Aucune réflexion n’avait été menée dans ce sens. On a laissé la loi du moindre effort remettre au goût du jour le despotisme colonial, cette fois animé par un Congolais soutenu de l’extérieur. La dictature de Mobutu était ainsi née. Depuis lors, le pays a besoin d’un système politique qui permettrait au pouvoir d’arrêter le pouvoir, surtout celui détenu par le président de la république. Jusqu’à ce jour, aucune réflexion de portée nationale n’a eu lieu dans cette direction. Faut-il alors s’étonner que chaque nouveau pouvoir impose au peuple les mêmes maux jadis décriés?

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

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