Questions directes à Vincent Nzuzi Mulamba

Après plusieurs passages au cabinet du président de la République, à la Primature et dans plusieurs ministères en qualité de conseiller, Vincent Nzuzi Mulamba est entré au gouvernement en qualité de secrétaire d’Etat notamment à l’Information et presse. Il jette un regard sur deux événements politiques majeurs ayant « impacté » sur le destin du Congo-Zaïre et de ses habitants au cours de ces deux dernières décennies. Il s’agit d’une part du 22ème anniversaire du discours présidentiel du 24 avril 1990 annonçant la fin du parti-Etat et le retour au pluralisme politique et de l’autre, le 15ème anniversaire de la prise du pouvoir à Kinshasa par l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre) avec Laurent-Désiré Kabila. C’était le 17 mai 1997. Qu’est ce qui a changé dans les deux cas?

L’entretien a porté également sur les élections du 28 novembre dernier. Pour Vincent Nzuzi, le Zaïre, rebaptisé Congo, « est un pays des occasions manquées ».

Secrétaire d’Etat à l’Information et presse, vous êtes venu à Bruxelles « expliciter » la portée de l’allocution présidentielle du 24 avril 1990 annonçant le retour au pluralisme politique au Zaïre. On peut à ce titre vous considérez comme un des témoins de l’Histoire…

Effectivement, à plusieurs titres. D’abord, parce que j’étais membre du cabinet du président de la République. J’ai pu, en cette qualité, suivre les préparatifs de cette allocution. J’ai, dans une certaine mesure, participé activement à la mise en œuvre du processus démocratique en entrant au premier gouvernement de transition.

Quelle a été la motivation fondamentale ayant incité le président Mobutu à mettre fin au parti-Etat? Avait-il subi des pressions de la part de certaines puissances occidentales?

Je crois que le président Mobutu avait procédé à une auto-remise en question. Contrairement à ce qu’on a pu lire ici et là, l’homme avait cette capacité de se remettre en question. Le grand problème se situait au niveau de « la suite » à donner. Le suivi. Vous le savez autant que moi que tout a commencé avec les bouleversements politiques intervenus à la fin des années 80 en Europe de l’Est en marge de la Perestroïka et la Glasnost lancée par Mikhaïl Gorbatchev en URSS. Dès ce moment, Mobutu Sese Seko a pris conscience non seulement de l’essoufflement de son régime mais aussi d’un certain « refroidissement » des rapports avec les « alliés ».

Le discours du 24 avril 1990 a été suivi par un autre un autre, le 3 mai de la même année. Cette deuxième allocution – interdisant aux « groupuscules » politiques de se livrer à des manifestations publiques avant la promulgation de la loi sur les partis politiques – a donné, à tort ou à raison, l’impression que le chef de l’Etat tentait de reprendre de la main gauche ce qu’il venait de donner de sa main droite. Qu’en dites-vous?

Je ne partage pas cette lecture. Dans ce deuxième discours, le président Mobutu avait simplement tiré les leçons des réactions suscitées à la suite de son allocution. Il voulait prôner une démocratisation « encadrée ». Ce « recadrage » a été mal interprété.

Ce discours du 3 mai a provoqué des agitations estudiantines ayant abouti au fameux « massacre » des étudiants du campus de Lubumbashi dans la nuit du 11 au 12 mai 1990…

Le « massacre » de Lubumbashi. Parlons-en un peu! J’étais à l’époque membre du gouvernement. Je peux vous dire qu’il n’y a jamais eu de massacre d’étudiants à l’université de Lubumbashi. S’il est vrai qu’il y a eu des bagarres entre étudiants, il n’en reste pas moins vrai qu’il y a eu un seul mort à déplorer du côté des étudiants. Je suis bien placé pour en parler d’autant plus que mes deux filles se trouvaient au campus de Lubumbashi au moment des faits. Elles sont formelles: il n’y a jamais eu de tueries massives. La preuve contraire n’a jamais été administrée à ce jour. Vingt-deux années après, je constate que « l’affaire Lubumbashi » a été la première démonstration de force de la désinformation. Les Occidentaux ont démontré qu’ils étaient maîtres en la matière.

Vingt-deux années après le discours présidentiel du 24 avril 1990, qu’est ce qui a changé?

Je voudrais d’abord relever que le Zaïre, rebaptisé Congo, est un pays des occasions manquées. Les acteurs politiques ont raté l’occasion de tirer les leçons du « libéralisme politique » à instaurer. En lieu et place, ils ont étalé l’esprit de division au niveau des partis au point que la scissiparité est devenue une sorte de sport national. Le MPR, l’UDPS, le FCN (Front commun des nationalistes) n’ont pas été épargnés par le schisme. Du multipartisme, nous sommes passés à un « multi-multi-multipartisme ». Il y a eu une incapacité d’encadrer le processus démocratique.

Devrait-on imputer la faute à la colonisation laquelle n’a pas été une école de démocratie?

Effectivement. La colonisation n’a pas été une école de démocratie. Il y a eu un manque de préparation des esprits à s’adapter au nouvel ordre politique. Nous avons confondu le libéralisme politique avec l’anarchie. Un seul objectif guidait le personnel politique: le « partage équitable et équilibré du pouvoir ». Personne ne se souciait de l’intérêt général.

Quelle serait, selon vous, la cause de ce phénomène?

C’est un problème de « culture politique ». Depuis deux décennies, le personnel politique ne cherche le pouvoir que pour le pouvoir. Pendant que l’AFDL poursuivait sa « marche victorieuse », les politiciens kinois étaient occupés à se partager les postes au Palais du peuple. A l’issue des élections de 2006, les gens se sont installés au pouvoir. Un point, un trait.

Que faire?

Le Congo a besoin d’un « leadership exemplaire ». Le pays n’a pas encore pu « enfanter » cet homme providentiel

D’où viendra cet homme providentiel en dehors de la classe politique que nous avons sous les yeux?

Un tel leadership naîtra de la pratique de la démocratie. C’est dommage que la victoire d’Etienne Tshisekedi à l’élection présidentielle du 28 novembre 2011 a été « confisquée » par le pouvoir en place. Cette élection aurait été l’occasion d’amorcer l’apprentissage de la démocratie avant d’asseoir une tradition en la matière. Il me semble que Tshisekedi est un homme de convictions. C’est un homme honnête. Il faut bien reconnaître qu’un certain sens du compromis lui fait défaut.

Voulez-vous dire que rien n’a changé vingt-deux années après le lancement du processus de démocratisation?

Rien n’a changé! Je cherche en vain les progrès réalisés tant en matière des droits et libertés que de l’amélioration du « quotidien » de la population. En fait, les régimes politiques successifs n’ont fait que reproduire les tares reprochées à la IIème République.

Le 17 mai 2012, les « kabilistes » ont célébré le 15ème anniversaire de la prise du pouvoir par l’AFDL. Que signifie la date du 17 mai 1997 pour vous?

Cette date évoque pour moi la plus grande escroquerie politique dans l’histoire du Congo.

Comment ça?

Je tiens d’abord à dire que les Zaïrois d’alors étaient demandeurs d’un grand changement. Les « libérateurs » auxquels la population croyait n’ont pu donner qu’une illusion de changement au cours des trois premiers mois. Immédiatement après, le naturel est revenu au galop et les « libérateurs » ont reproduit les mêmes réflexes reprochés jadis à l’ancien régime.

Des exemples?

D’abord, la suspension du processus de démocratisation. Ensuite, le « passage » par pertes et profits des résolutions prises lors de la Conférence nationale souveraine. Il y a eu enfin la rupture entre Laurent-Désiré Kabila et ses ex-alliés. Cette dernière situation a fini par ôter le masque à une « libération » qui était, en fait, une invasion camouflée du pays par des troupes venues de plusieurs pays et principalement du Rwanda et de l’Ouganda.

Des analystes peinent à comprendre que le Rwanda et l’Ouganda – dont les budgets ne peuvent être bouclés sans des « apports extérieurs » – aient pu financer la logistique des troupes déployées au Congo-Zaïre…

C’est un secret de Polichinelle de relever que le Rwanda et l’Ouganda ont eu un armement « venu d’ailleurs ». C’est le cas notamment des Etats-Unis et du Royaume Uni.

S’agit-il des gouvernements de ces pays ou des milieux maffieux américains et britanniques?

Au départ, c’était les gouvernements de ces pays qui ont soutenu les opérations militaires dans l’ex-Zaïre. Les « groupes maffieux » de ces pays ont pris le relais par la suite.

D’aucuns parlent des multinationales et autre complexe militaro-industriel lesquels seraient derrière le pillage des ressources minières du Congo…

Exactement! J’ai du mal à comprendre qu’un pays comme les Etats-Unis d’Amérique ait fermé les yeux pendant que les nouveaux maîtres de Kigali accomplissaient un « contre-génocide » au Congo en massacrant pas moins de 200.000 Hutus parmi lesquels des femmes, des vieillards et des enfants. Inutile de parler des viols au Congo. Certains spécialistes parlent de 40.000 viols par an. Aucun pays n’ose élever le petit doigt. Ceux qui tirent profit de cette situation ont réussi à museler les médias internationaux. C’est une honte pour la « communauté internationale »!

Les Congolais, eux-mêmes, sont résignés…

C’est certain! La grande question est: et après? Lorsque les troupes rwandaises sont entrées à Kinshasa en mai 1997, le personnel politique congolais s’est tu dans toutes les langues. Certains « grands leaders » se terraient sous leur lit. A l’exception de quelques rares personnalités politiques qui ont osé exercer le ministère de la parole. C’est le cas notamment d’Etienne Tshisekedi et de Catherine Nzuzi wa Mbombo. Dieu seul sait les brimades qu’ils ont eu à subir. Lorsque les troupes rwandaises ont attaqué Kinshasa en août 1998, c’est la population qui les a mises en déroute. Aussitôt après, cette même population s’est mise à vaquer à son train-train quotidien. Après les élections présidentielles et législatives du 28 novembre 2011, les Congolais de la diaspora ont dénoncé les résultats publiés par la Commission nationale électorale indépendante. Et après?

Revenons un peu en arrière. Quinze années après la prise du pouvoir par l’AFDL, qu’est ce qui a changé de manière qualitative?

Rien! Les nouveaux maîtres du pays ont restauré de manière caricaturale les errements de la IIème République. Les faits sont là: le vol, les détournements de deniers publics, la corruption, l’arbitraire. Il n’y a jamais eu autant de corruption que maintenant. Il n’y a jamais eu autant de désordre et de violations de la Constitution que maintenant.

Le 28 novembre dernier les Congolais sont allés aux urnes. Les « résultats » sont connus: fraudes massives, tricheries. Plus personne n’en parle…

J’ai dit précédemment que le Congo est un pays des occasions manquées. Voilà une opportunité qui était offerte au peuple congolais pour renouveler complètement sa classe politique. Et éventuellement, favoriser une alternance. Une fois de plus, à cause de notre cupidité légendaire, les Congolais n’ont pas été capables de s’organiser pour prendre un pouvoir qui était à leur portée. Les acteurs politiques ont été incapables de se mettre d’accord autour d’un candidat unique à la présidentielle.

Six mois après les élections du 28 novembre, n’avez-vous pas le sentiment que le Congo baigne dans une situation de ni guerre ni paix?

Le pays se trouve en situation de guerre à l’Est. D’autre part, je constate la « fragilisation » générale des institutions. Le Bureau de l’Assemblée nationale est composé des personnes dont le profil ne correspond nullement à la fonction. Il s’agit des « poids plumes ». Il y a une volonté d’affaiblir la représentation nationale à travers les membres de son Bureau. Il en est de même du gouvernement qui est composé de personnalités sans envergure politique. Des personnalités entrées au gouvernement par la seule volonté du chef de l’Etat. C’est le cas également de l’appareil judiciaire où les magistrats du Parquet autant que ceux du Siège sont nommés et révoqués au gré des humeurs du président de la République. Toutes les institutions sont été fragilisées. Il y a une réelle volonté d’affaiblir le pays tout entier.

Faut-il oui ou non transférer Bosco Ntaganda à la Cour pénale internationale à La Haye?

Je n’hésite pas un seul instant: Bosco Ntaganda doit être transféré à la CPI.

En rapport avec cette affaire, une « mutinerie » muée en « rébellion » secoue actuellement la province du Nord Kivu. Quelle est votre réaction?

L’impunité a été une des tares du régime Mobutu. En dépit des apparences, le régime de Laurent-Désiré Kabila n’y a pas non plus échappé. Le laisser-aller est devenu pire sous « Kabila fils ». Le Congo devient une vraie pétaudière.

Que préconisez-vous?

Les Congolais doivent commencer par s’organiser. Quittons nos « petits comités » où nous nous rencontrons pour avoir des discussions de salon pour mettre sur pied de véritables lobbies. Aux quatre coins du monde, les Congolais de la diaspora ont démontré récemment leur capacité de mobilisation et d’indignation.

Le mouvement semble donner des signes d’essoufflement…

Je me demande bien pourquoi. Pourquoi rien n’a-t-il été fait pour structurer et capitaliser ce « mouvement populaire » pour en faire un puissant groupe de pression tant face au monde politique congolais que de l’opinion internationale? Il est urgent que les Congolais vivant ici mettent sur pied une « Union de ressortissants congolais de Belgique ». J’appartiens à une génération qui a échoué. Quelquefois, devant le miroir, je me pose des questions sur le monde futur que nous allons léguer à nos enfants. Je me pose souvent la question de savoir si nous n’aurions pas pu faire mieux. Le drame est que la jeune génération politique patauge dans les mêmes erreurs du passé.

Devrait-on parler de « mimétisme »?

Nous souffrons d’un manque de « culture politique ». Il y a comme un « blocage » dans le cerveau de notre personnel politique. Un personnel politique réfractaire au changement. Pour moi, le changement, c’est d’abord le fait d’avoir une autre conception du pouvoir et des institutions. On ne s’engage pas en politique juste pour trouver une occupation rétribuée. La politique est avant tout une vocation. N’entre pas en politique qui veut

La démocratisation lancée le 24 avril 1990 n’a pas atteint son but, l’AFDL n’a pas tenu ses promesses de promouvoir l’Etat de droit et la démocratie. Que faire finalement?

Le régime AFDL a commis un « péché originel » en passant par pertes et profits les résolutions prises par la Conférence nationale souveraine (CNS). Des résolutions qui restent d’actualité. La CNS avait, avant la clôture de ses travaux, élaboré un projet de Constitution qui dotait l’Etat congolais d’une structure fédérale. Dotées d’une certaine autonomie (voir l’article 11), les provinces devaient jouir de la personnalité juridique. Le souci du législateur était sans conteste de voir chaque entité fédérée se mettre résolument au service du bien-être de la population et du progrès économique.

Faudrait-il reculer pour mieux sauter?

Exactement!

 

Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi

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