Affaire Juge Yanyi: Quand le ministre Tunda se substitue au Procureur

Mardi 16 juin, les Congolais attendaient le procureur de la République près le tribunal de grande instance (TGI) de Kinshasa/Gombe sur les circonstances du décès du juge Raphaël Yanyi. C’est le vice-Premier ministre en charge de la Justice qui a rendu public le rapport d’autopsie pratiquée le 29 mai sur le corps de ce juge dont la disparition suscite des interrogations. En lieu et place du compte-rendu rédigé par l’équipe des médecins légistes, le Fcc Célestin Tunda ya Kasende a publié un « communiqué officiel » revêtu de sa signature. Comme il fallait s’y attendre, la famille du défunt a rejeté ledit communiqué. Et pour cause?

Dans son « communiqué officiel », le ministre de la Justice qui dit se fonder sur l’autopsie corporelle et l’autopsie des organes internes rapporte que c’est une « hémorragie intracranienne », provoquée par un « traumatisme cranio-encéphalique », qui serait à l’origine du décès du juge Raphaël Yanyi Ovungu. Le texte indique, par ailleurs, que des « substances toxiques » à dose non mortelle ont été trouvées dans le corps du défunt.

Se substituant au procureur de la République près le TGI de Kinshasa/Gombe – qui avait ouvert l’information judiciaire à l’origine de cette expertise médicale -, le ministre Tunda ya Kasende a annoncé l’ouverture d’une « enquête judiciaire » devant, selon lui, élucider « les circonstances » de ce qu’il qualifie déjà de « meurtre ». Un meurtre que « le gouvernement condamne avec la dernière énergie ».

Le juge Raphaël Yanyi

Trois semaines après la disparition du juge Raphaël Yanyi, les supputations vont dans tous les sens en ce qui concerne le mobile de cet « acte ignoble », dixit Tunda. Celui-ci espère que les investigations attendues devraient non seulement élucider « les circonstances de ce meurtre » mais surtout permettre l’identification des « auteurs » que le gouvernement entend « sanctionner avec toute la rigueur de la loi ».

RAPPORT D’AUTOPSIE REJETÉ

Mercredi 17 juin, la famille du défunt juge s’est empressée de balayer du revers de main les certitudes du ministre de la Justice. Par la bouche de l’abbé Patrice Shomba, frère du disparu, la famille Yanyi a rejeté en bloc le contenu dudit « communiqué officiel ». Au motif notamment que c’est par les médias qu’elle a pris connaissance de la nouvelle au mépris de « l’accord signé avec les autorités ». Aux termes dudit accord, la famille « devait connaitre en primeur le rapport d’autopsie pratiquée sur le corps de leur frère ».

Selon l’abbé Shomba, la famille Yanyi écarte la thèse de « mort violente » que suggère le ministre de la Justice. Et ce pour la bonne raison que la sécurité rapprochée du juge Yanyi était assurée par des policiers. Ceux-ci l’escortaient lors de ses déplacements. Pour Shomba, c’est un « rapport politique » que le ministre de la Justice a publié.

Le juge Raphaël Yanyi Ovungu a présidé les deux premières audiences du procès dit « Programme 100 jours » portant sur le détournement présumé de deniers public. Après la seconde audience du 25 mai, l’homme est décédé dans la nuit de mardi 26.

Selon des sources, l’autopsie demandée mercredi 27 par l’officier du ministère public Emile Ndjale aurait pris fin dans la soirée du vendredi 29 mai. Les médecins légistes devaient, dès le lendemain, remettre leur rapport au procureur général près la Cour d’appel de Kinshasa/Gombe. Et pourquoi pas au procureur de la République près la TGI du même ressort qui est l’initiateur de l’information judiciaire?

On entend déjà des voix pérorer sur l’unicité du ministère public. Soit! Pourquoi, le rapport rédigé par l’équipe de médecins légistes n’est publié que plus de deux semaines après l’autopsie sous la forme d’un « communiqué officiel » du ministre de la Justice? Qui voudrait escamoter quoi?

En attendant une contre-expertise pour « départager » les deux camps désormais opposés et apaiser les membres de la magistrature, le « communiqué officiel » du ministre de la Justice semble insinuer que la famille biologique du juge Yanyi aurait « raconté des histoires » pour ne pas dire qu’elle avait simplement menti.

LE MINISTRE DE LA JUSTICE DOIT SE TAIRE

Le général Delphin Kahimbi Kasagwe

Le mystère Yanyi n’est pas sans rappeler un autre mystère relatif au décès, le 28 février dernier, du général Delphin Kahimbi Kasagwe, chef d’état-major en charge de l’ex-Demiap (renseignements militaires).

Près de quatre mois après, nul ne sait la cause exacte de la mort de cet officier. Mort naturelle? Suicide? Assassinat? Pire, le rapport d’autopsie n’a jamais été rendu public. « Mon mari est mort à domicile. Il a été victime d’une crise cardiaque. Le temps de m’absenter de la pièce, je l’ai trouvé affaler. Toutes les tentatives de le réanimer sont restées vaines. Il a rendu l’âme à notre arrivée à l’hôpital du Cinquantenaire », déclarait, à un correspondant de RFI, l’épouse du défunt général, prénommée Brenda.

Dans la soirée du même 28 février, un enregistrement audio vient jeter le doute sur les réseaux sociaux. Qui parle? Une jeune fille. Elle prétend être la fille de Kahimbi. Selon elle, leur papa a été trouvé « pendu dans la chambre ». La « jeune fille » de poursuivre: « Hier soir, il nous a dit qu’il devait répondre vendredi à une convocation. Le Président l’avait suspendu. Il n’était plus général. Il nous a demandé de partir. Il est resté seul et s’est pendu ». Au cours d’une réunion du Conseil des ministres, le président Felix Tshisekedi avait fait état des signes de « strangulation » constatée sur le corps du défunt. Un manipulateur a-t-il voulu « démontrer » la causalité entre la « sanction » subie par cet officier et son « geste désespéré »? Kahimbi avait-il reçu un « visiteur de nuit?

Qui en voulait à la vie du juge Raphaël Yanyi Ovungu? Mystère! Aussi, une contre-expertise est-elle nécessaire pour faire éclater la vérité. En attendant, le ministre de la Justice Célestin Tunda ya Kasende devrait se départir des mauvaises habitudes acquises durant des « années Joseph Kabila ». Il doit se taire et laisser le ministère public accomplir ses devoirs d’enquête.

 

Baudouin Amba Wetshi

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