Lumumba, ce mythe à la peau dure

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

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Publié le 1er juin dernier par CIC, « Mon regard sur la lutte de Tshisekedi » a suscité plusieurs réactions parmi lesquelles figure celle d’Elombe qui m’a interpellé aussitôt que j’ai souligné le jugement négatif de l’historien Ndaywel-e-Nziem sur une dimension de la personnalité du Premier ministre Patrice Lumumba. Évoquant le discours de celui-ci le 30 juin 1960, Elombe me pose la question suivante: « Quel est ce digne Congolais qui peut se permettre de critiquer ce moment historique qui a réveillé la conscience nationale? »

Notons au passage qu’à ma naissance, Paul Kakwala, un cousin de mon père et un des leaders moyens du Parti Solidaire Africain (PSA) allié du Mouvement National Congolais (MNC) de Lumumba insista pour qu’on me baptisât sous le prénom prétendument chrétien de Patrice; ce qui fut fait et transformé en Patrick lors de mes études universitaires, prénom que Baudouin Amba Wetshi, par exemple, s’entête d’utiliser quand il s’adresse à moi, en dépit de mon attachement viscéral à la philosophie politique du recours à l’authenticité. Notons également que lors de la fuite de Lumumba, son convoi dans lequel faisait partie le leader PSA s’arrêta pour se rafraîchir au petit poste des Plantations Lever au Congo (PLC) de Kiyansi dirigé par mon père dans le Territoire de Bulungu; ce que fera également le convoi des soldats que Mobutu avait lancés aux trousses de l’ex-premier ministre, suscitant une grande peur aux enfants que nous étions et qui voyaient pour la première fois autant de véhicules à la fois.

De Lumumba, la postérité a surtout retenu son discours du 30 juin 1960 et sa volonté farouche d’être le Premier ministre d’un Etat véritablement indépendant. A ce sujet, il convient de noter d’emblée que les Congolais adorent mentir à eux-mêmes exactement comme le fait si bien Elombe quand il affirme le plus naturellement que le discours ci-dessus « a réveillé la conscience nationale ». La vérité historique est têtue. L’éveil de la conscience nationale était antérieur à ce discours. Car c’est bien la conscience nationale qui a conduit notre peuple à l’indépendance.

Notre indépendance, on s’en souvient, fut négociée et non conquise par les armes. Il allait de soi que le chef d’Etat de l’ex-puissance coloniale assiste, sur invitation de nos autorités, aux cérémonies marquant notre émancipation. Le 30 juin 1960, deux discours étaient prévus à l’ordre du jour. « Baudouin 1er, arrivé la veille, rendit hommage à l’œuvre coloniale et invita les nouveaux dirigeants à parfaire l’œuvre accomplie. Président de la République, Joseph Kasa-Vubu manifesta sa reconnaissance à l’égard de l’ancienne métropole ».

L’ordre protocolaire fut alors bousculé, ce qui fait déjà désordre, par le Premier ministre Lumumba qui, sur le conseil du militant pacifiste et antimilitariste belge Jean Van Lierde, « fit le contre bilan de la colonisation, dénonça ses revers, à savoir les injustices, les inégalités, l’exploitation, le mépris ». Certes, le discours du Roi Baudouin 1er était historiquement incorrect, en évoquant la colonisation sous l’angle mythique de la mission civilisatrice. Celui du président Kasa-Vubu était non conforme à la Loi Fondamentale, car il n’avait pas daigné en informer le Premier Ministre. Ces détails, passés inaperçus, n’avaient aucune importance aux yeux de l’opinion publique nationale et internationale. Les deux discours étaient politiquement corrects. On ne pouvait pas en dire autant du troisième. Non seulement il était historiquement injuste, puisque la colonisation ne se résumait pas aux seules humiliations subies par les colonisés « matin, midi et soir », mais surtout éminemment incorrect sur le plan politique. Ce qui contribua à sonner le glas pour le Premier Ministre et la nation entière, aussitôt plongée dans les affres de la guerre.

Le discours de Lumumba était synonyme d’impétuosité. A cet égard, il n’honore nullement le Congo. Même dans nos traditions, y compris dans celles de l’ethnie dite guerrière des Tetela, on n’invite pas quelqu’un à une fête pour le mettre mal à l’aise. Bien au contraire! Lumumba l’apôtre de l’indépendance totale et immédiate n’était même pas indépendant d’esprit puisque sa faute politique, pour laquelle il avait présenté des excuses le soir même du 30 juin 1960, lui était dictée par un conseiller belge qui voulait sans doute régler ses comptes avec la monarchie de son pays, dans le cadre d’une politique purement belgo-belge.

L’indépendance totale et immédiate! La politique étant l’art du possible, Lumumba avait-il les moyens d’atteindre son objectif alors que l’économie, l’armée, l’administration territoriale et les cabinets du Président, du Premier ministre, des ministres et de tous les autres hauts fonctionnaires de la jeune république étaient entièrement entre les mains des ex-colonisateurs? Quand on accède au pouvoir dans ces conditions-là, n’est-il pas suicidaire d’engager le bras de fer avec l’ex-puissance coloniale? Notre pays n’était-il pas en réalité victime de l’idéalisme, du radicalisme et de la formation politique insuffisante de son Premier Ministre qui, en deux mois de gouvernement, avait accumulé une série quasi exceptionnelle d’erreurs politiques, notamment le fait de n’avoir pas mis en place une politique favorable à l’unité et la cohésion de la communauté nationale?

On n’accède pas au sommet d’un Etat pour y rêver. Le Premier Ministre Lumumba n’avait pas compris que le 30 juin 1960 n’était pas le jour de l’indépendance de notre pays, mais la date à partir de laquelle il avait la possibilité officielle d’œuvrer pour notre souveraineté. Celle-ci était un long processus dont la date du 30 juin, aussi mémorable fut-elle, ne constituait qu’une étape et non une fin en soi. En d’autres termes, les Congolais avaient acquis l’indépendance formelle le 30 juin 1960, mais il leur restait de conquérir paisiblement l’indépendance effective. Lumumba a échoué à mener à bien cette entreprise qui, dans l’intérêt supérieur de la nation, devait s’étendre sur plusieurs générations.

Les Congolais devraient se méfier des solutions naïves et séduisantes que leur proposent certaines de leurs élites. Lumumba ne faisait pas peur aux Occidentaux. Dans le contexte de la guerre froide, ceux-ci avaient peur de voir le Congo basculer sous la sphère soviétique. Ils savaient que si Lumumba leur faisait courir un tel risque, il l’écarterait du pouvoir avec une étonnante facilité. Malheureusement, ils ont choisi une solution extrême. Ministre délégué aux Nations Unies du premier gouvernement du Congo indépendant et ministre de la Coopération du gouvernement Kabila (père), Thomas Kanza a tiré cette leçon universelle de nos égarements au lendemain de l’indépendance: « Il faudrait toujours reconnaître à son adversaire et à son créancier plus d’intelligence qu’à soi-même et à son ennemi plus d’imagination et des moyens d’action plus efficaces que les siens propres. Cela éviterait bien de catastrophes impardonnables. L’ignorance est admissible mais elle devient un défaut quand on y persiste alors que les possibilités de s’informer sont à sa portée ».

L’ignorance de Lumumba était pardonnable. Elle est devenue un défaut impardonnable quand tour à tour, Tshisekedi wa Mulumba et Laurent-Désiré Kabila ont marché d’une certaine manière sur les pas de Lumumba. Les Congolais doivent apprendre à faire la part des choses entre le mythe Lumumba et la politique menée par ce dernier. Lumumba est certes mort en héros national. Cet héroïsme a été accentué par le contexte de la guerre froide. Je dois souligner sans doute avec clarté et fermeté que la condamnation de la politique de Lumumba n’implique nullement adhésion ni complaisance à l’égard de son assassinat sur commande occidentale. Car, « l’assassinat pour servir les intérêts politiques et économiques de nations étrangères d’un Premier Ministre démocratiquement élu et désigné constitue un crime contre l’humanité ». Un crime imprescriptible qui, dans le cas présent, attend toujours réparation. Mais mourir en héros ne signifie nullement avoir une bonne politique pour son pays.

De tous les pères des indépendances africaines, la fameuse génération Lumumba, personne n’a su construire un Etat moderne. Tous, ils se sont transformés en dictateurs et bourreaux de leurs propres peuples, s’entourant des membres de leurs familles, tribus, ethnies et régions pour mieux goûter aux délices du pouvoir. D’ailleurs, « en 1960, le cabinet de l’unitariste et nationaliste Lumumba était tout autant sinon davantage encombré de gens de son village venus quémander qui une place, qui de l’argent, que pour ses conseillers belges qui se frayaient difficilement un passage dans une cohue que l’une des épouses du premier ministre tentait de régenter ». Il est clair que s’il était resté au pouvoir pendant autant d’années que Mobutu, le « symbole de l’unité nationale et de l’amour patriotique » (dixit le Premier ministre Mulumba Lukoji) n’allait pas passer son temps à dire à ses frères Tetela: « Dégagez! Je suis un nationaliste moi ». Il aurait eu besoin d’eux pour asseoir son pouvoir dans le cadre institutionnel inadapté qui prévaut dans les pays africains. Il y a même fort à parier que l’hégémonie Tetela aurait été plus sanguinaire que celle des Ngbandi. Etudiant à l’Université de Lubumbashi (UNILU) dans les années 70-80, j’avais vu des camarades Tetela s’armer de couteaux pour défendre, contre tout le reste de la communauté estudiantine, la petite parcelle de pouvoir confiée à un des leurs, le Recteur Elungu Pene Elungu. N’eût été la grande sagesse de Mungulu Diaka alors ministre de l’Enseignement supérieur, le bain de sang était assuré. Juste pour une aussi petite parcelle de pouvoir! Imaginez ce que cela aurait donné s’il s’agissait de défendre le pouvoir d’un Premier ministre.

On peut comprendre qu’un Congo démocratique mobilise un jour ses citoyens pour demander des comptes aux assassins de Lumumba. Mais notre drame à nous Congolais est qu’à des moments critiques de notre histoire, nous avons toujours été menés en bateau par des dirigeants très impulsifs n’ayant pas l’étoffe d’hommes d’Etat. A cet égard, Patrice Emery Lumumba, Etienne Tshisekedi wa Mulumba et Laurent-Désiré Kabila sont des oiseaux de même plumage et de mauvais augure. Loin de régler les problèmes auxquels notre nation était confrontée, ils les ont chacun exacerbés. Que chacun d’eux soit élevé au rang d’héros national pour saluer une certaine dimension de leurs luttes respectives ne change rien à cette triste réalité. D’ailleurs, si on devrait interroger les Congolais sur leurs aspirations, de l’indépendance à ce jour, personne ne répondrait qu’il a besoin d’un héros national.

 

Par Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

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