Questions directes à Aimé Kilolo-Musamba

Avocat au barreau de Bruxelles, Aimé Kilolo-Musamba est également avocat au barreau de Lubumbashi et conseil à la Cour pénale internationale (CPI). Il se prépare à quitter la Belgique pour s’établir au Congo-Kinshasa pour raisons professionnelles. « C’est pour moi l’occasion de mettre l’expérience et les connaissances acquises au service de mon pays », dit-il. Après plusieurs semaines passées notamment à Kinshasa, il répond à quelques questions d’actualité: l’accord politique conclu le 18 octobre à l’issu du « dialogue », la Commission électorale nationale indépendante (CENI), le statut du chef de l’Etat en exercice après le 19 décembre prochain et la menace brandie par certains Etats africains de quitter la Cour pénale internationale. Interview.

Comment va le Congo-Kinshasa?

Le Congo est en train de traverser un grand moment de son histoire. Au moment où nous parlons, toute l’attention de la population du pays profond est accaparée par les enjeux politiques en général et le processus électoral en particulier. Quand va-t-on organiser les élections? Que va-t-il se passer à l’expiration du second et dernier mandat du chef de l’Etat en exercice? Qui va diriger le pays après le 19 décembre prochain? Le pays ne risque-t-il pas de sombrer dans un conflit armé?

Que devient Maître Aimé Kilolo, « l’avocat de Jean-Pierre Bemba »?

Je suis toujours avocat.

Etes-vous toujours dans l’équipe de défense du sénateur Bemba?

Non! Je ne peux plus agir en tant qu’avocat dès lors que j’ai été mis en cause dans le dossier principal. Cette situation m’a amené à passer le flambeau à mon ancien collaborateur Maître Peter Hanes. Je continue néanmoins à suivre, au jour le jour, l’évolution de ce dossier qui me tient tant à cœur pour y avoir consacré plusieurs années de ma carrière.

Au lendemain de la répression de la marche du 19 septembre, le bureau du procureur près la CPI a dépêché une délégation à Kinshasa pour exhorter le personnel politique « à la retenue ». Est-ce le rôle d’une instance judiciaire internationale?

Je pense que le rôle du bureau du procureur doit se limiter à rechercher les infractions – dans le cas de la CPI, les crimes les plus graves -, à identifier les auteurs et mener des poursuites. De là à poser des actes qui pourraient s’assimiler à des « activités politico-diplomatiques », la CPI s’éloigne du champ de ses compétences.

Parlons de la politique intérieure congolaise. Quelle est, selon vous, la valeur juridique de « l’accord politique » issu du « dialogue politique » organisé sous la facilitation d’Edem Kodjo?

L’accord politique est en fait un acte juridique de droit privé. Il n’a pas valeur de loi.

L’article 17 dudit accord autorise le président de la République en exercice à rester en fonction au-delà de l’expiration de son second et dernier mandat. Qu’en dites-vous?

La question qui se pose ici est celle de savoir qui va diriger le pays à partir du 20 décembre 2016. Le premier alinéa de l’article 70 de la Constitution est très clair: « Le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois ». Cela veut dire concrètement qu’à partir du 19 décembre prochain, le Président de la République voit son mandat de chef de l’Etat prendre fin.

Que dites-vous de l’arrêt de Cour constitutionnelle du 11 mai 2016 qui autorise l’acte locataire du Palais de la nation à rester en fonction jusqu’à l’installation effective du nouveau président élu afin d’éviter un « vide au sommet de l’Etat »?

Je voudrais m’en remettre à ce qui est prévu dans les textes. Nous devons reconnaître que l’article 70 comporte deux alinéas. Le premier alinéa parle de la fin du mandat présidentiel. Le second alinéa, lui, traite de la fonction présidentielle. Cet alinéa 2 précise que le Président de la République continue à exercer la fonction présidentielle jusqu’à l’installation effective du nouveau Président élu.
Selon la Constitution congolaise, la fonction présidentielle peut se terminer soit dans un cas d’empêchement définitif – pour cause notamment de maladie grave – à exercer la fonction présidentielle. C’est ce qui est prévu à l’article 75 de la constitution. Dans ce cas, la fonction présidentielle sera exercée à titre intérimaire par le président du Sénat. Si on n’est pas dans ce cas de figure là, c’est l’alinéa 2 de l’article 70 qui s’applique. En clair, s’il n’y a pas eu d’élection présidentielle à partir du 20 décembre prochain, le Président, devenu hors mandat, continue à exercer la fonction présidentielle à titre intérimaire. En fait, son rôle se limite à poser des actes « d’administration courante » du pays. Il ne s’agit pas d’une présidence de pleins pouvoirs. Il ne peut pas durant cette période prendre des initiatives qui auraient comme conséquences d’affecter durablement le paysage économique ou institutionnel de la RDC. La seule priorité est de veiller à l’organisation des élections démocratiques, transparentes, et crédibles dans les délais les plus courts après le19 décembre 2016
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Quid de la durée de cet intérim?

Il faut se référer à ce qui est prévu dans la Constitution. Après le19 décembre 2016, on est déjà hors délai et les élections doivent être organisées suivant un calendrier qui tienne compte des délais extrêmement réduits. Les choses sont très claires. S’il s’avère que, de façon intentionnelle, le Président de la République ou le Premier ministre a empêché la Commission électorale nationale indépendante d’organiser les élections dans les délais, cela est constitutif de l’infraction de « haute trahison ». Si par contre, il est établi qu’il s’agissait d’un cas de force majeure qui aurait empêché la CENI d’organiser les consultations politiques, dans ce cas il appartiendra au Président de la République d’assumer une Présidence intérimaire en veillant à l’organisation des élections dans les délais les plus courts.

Que répondez-vous à ceux qui soutiennent que la CENI qui est une institution permanente n’est pas fondée pour invoquer la « force majeure » du fait que la lacune déplorée n’était ni imprévisible, ni insurmontable?

Il faut s’en remettre aux motifs qui sont invoqués par la CENI elle-même.

La CENI s’est souvent plaint de manque d’argent…

Il y a deux motifs qui sont invoqués. D’une part, le problème du budget. Il faut savoir que chaque année, l’Assemblée nationale vote un budget. Il y a une rubrique prévue pour loger de l’argent destiné à l’organisation des prochaines élections. Pourquoi sommes-nous aujourd’hui dans cette situation? Il s’agit, à mon avis, d’une faillite de tout le système politique. Je constate qu’aucun parlementaire n’a pris l’initiative de se lever dès la fin de la première année de la législature en cours pour dénoncer cette situation. Vous le savez autant que moi qu’il faut au moins un milliard de dollars pour financer les élections.

Que dites-vous de ceux qui soutiennent que le maintien de « Joseph Kabila » à la tête de l’Etat jusqu’au mois d’avril 2018 – tel que décidé lors du dialogue politique – serait assimilable à une « prime à la mauvaise foi »?

Nous devons redonner sa place à l’Etat de droit au Congo. Il faudrait plutôt interroger tous les experts en droit constitutionnel pour savoir ce que prévoient les textes en vigueur en République démocratique du Congo dans l’hypothèse d’impossibilité d’organiser les élections avant l’expiration du mandat du Président en exercice. Constitutionnellement, qui pourra exercer la fonction de Président de la République?

D’aucuns reprochent à la CENI de faire preuve d’opacité dans la gestion des finances et du processus électoral. Quel est votre avis?

Il appartient aux députés de prendre leur responsabilité et d’exercer leur pouvoir de contrôle. A chaque session de mars, la CENI est tenu de déposer son rapport d’activités ainsi que son bilan financier au Parlement et à la Cour des comptes. Même si la réglementation de change au Congo autorise d’effectuer des transactions en liquide dans les zones enclavées où il n’existe pas d’institutions bancaires, l’Etat de droit exige que les contrôles prévus par la loi soient effectifs.

Le Burundi, l’Afrique du Sud et la Gambie ont manifesté la volonté de se retirer du Statut de Rome portant création de la Cour pénale internationale. Faut-il quitter la CPI?

La Cour pénale internationale est une institution qui a été créée avec un objectif noble. Celui de combattre le phénomène de la criminalité au plan international.

Ce « noble objectif » est-il atteint?

La CPI n’a pas le choix aujourd’hui. Elle doit entreprendre un certain nombre de réformes dans le but de rassurer tout le monde. A défaut, elle risque de s’enliser parce qu’un certain nombre de pays africains risqueraient d’emboîter le pas aux pays précités. Sans omettre l’Ouganda.

Que devrait-on réformer à la CPI?

On articule essentiellement cinq griefs à l’encontre de la CPI.
Primo: une justice à deux vitesses selon qu’on est un pays en voie de développement ou une grande puissance. A titre d’illustration, sur les dix cas en cas en cours d’examen à la CPI, neuf concerne des pays africains. C’est déjà ça qui choque. Qu’en est-il des crimes commis dans d’autres pays. On peut citer notamment: l’Ukraine, la Palestine, l’Irak, la Syrie.
Secundo: une justice des vainqueurs. Dans le cas Bemba ou Gbabo, on constate finalement que celui qui est au pouvoir n’est pas inquiété. Et pourtant, dans tous les conflits armés, il y a toujours au moins deux belligérants. Etrangement, c’est toujours le vaincu qui est poursuivi. Dans le cas de la Côte d’Ivoire, on a difficile à comprendre la mansuétude de la CPI vis-à-vis des partisans du président Alassane Ouattara. Il en est de même dans l’affaire Bemba. Pourquoi, le président François Bozizé et ses hommes n’ont-ils pas été poursuivis dans les événements en République Centrafricaine?
Tertio: la question relative à la liberté provisoire. Lorsqu’on demande la liberté provisoire, il faut d’abord obtenir l’assentiment du pays choisi pour accueillir le prévenu. Le gouvernement de ce pays peut refuser d’accueillir une personne pour des motifs politiques n’ayant aucun rapport avec le dossier judiciaire. Le justiciable a ainsi le sentiment de ne pas bénéficier d’un procès équitable. J’estime que Les juges à CPI devraient désigner d’office l’Etat qui doit héberger le prévenu.
Quarto: en vertu du principe de la complémentarité, la CPI ne peut mener des poursuites que sur des crimes graves commis dans des pays où la justice n’est pas suffisamment outillée pour mener des procédures efficaces. Cela voudrait dire que la CPI ne devrait opérer que dans les pays africains. Voilà pourquoi, un certain sentiment d’injustice est ressenti. Pour éviter l’intrusion de la CPI, les Etats africains doivent démontrer les trois pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) fonctionnent effectivement.
En dernier lieu, il se pose une question sur le lieu d’exécution de la peine. A titre d’exemple, l’ancien président libérien Charles Taylor, est condamné à cinquante ans de prison. Il doit purger sa peine dans un pays lointain, en l’occurrence l’Angleterre. Des visas de séjour ont été refusés à sa femme ainsi qu’à ses enfants. Cette situation prend l’allure d’une déportation

 

Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi

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