Questions directes à Herman Cohen

Ancien sous-secrétaire d’Etat américain aux Affaires africaines, Herman Cohen effectue un bref séjour à Bruxelles. Il doit présenter ses mémoires ce mercredi 23 novembre à 16 h00, à l’hôtel Thon Centre. Sous le titre « L’esprit de l’homme fort africain – Mémoires d’un diplomate », il brosse les « portraits » de plusieurs potentats africains qu’il a côtoyés. C’est le cas notamment de Mobutu Sese Seko et de Laurent-Désiré Kabila. « (…), le pouvoir et la gloire lui étaient montés à la tête, dit-il du Grand Léopard. Pendant la seconde moitié des années 1970, Mobutu devint de plus en plus autoritaire et intolérant aux critiques ». A propos de Mzee, Cohen rapporte que celui-ci rechignait à normaliser les relations avec Washington. Au motif que l’Amérique avait soutenu son prédécesseur durant 32 ans. LD Kabila a fini par changer d’avis après la rupture avec ses ex-mentors ougandais et rwandais fin juillet 1998. Les Etats-Unis ont refusé de prendre la main tendue. Tardivement. « Kabila décida de faire appel à mon cabinet de conseil, Cohen & Woods, pour des actions de lobbying à Washington. Les paiements furent sporadiques et généralement en espèces, sortis d’une boîte à chaussures. (…) », lit-on. Chargé d’affaires à l’ambassade des Etats-Unis à Kinshasa à la fin des années 60, responsable du Zaïre-Desk au département d’Etat (1970-1974), Herman Cohen a été ambassadeur au Sénégal et en poste à Paris avant d’être promu, sous le président George H. Bush, au poste de sous-secrétaire d’Etat aux Affaires africaines. Congo Indépendant a pu poser quelques questions à l’ancien diplomate. Interview

Pourquoi avez-vous choisi Bruxelles pour présenter vos mémoires?

La version française de mon ouvrage a été publiée à Kinshasa auprès de la maison Médiaspaul. Un vernissage a été organisé dans la capitale congolaise à l’issue duquel plusieurs exemplaires ont été vendus. J’ai estimé que les chapitres sur Mobutu et Kabila père pourraient présenter un intérêt auprès de la communauté congolaise de Belgique. C’est ainsi que j’ai demandé que plusieurs exemplaires soient distribués ici.

Le président élu Donald Trump est muet sur la future politique africaine des Etats-Unis. En votre qualité d’ancien sous-secrétaire d’Etat aux Affaires africaines, avez-vous déceler quelques indices?

C’est difficile à dire dans la mesure où il n’y a pas eu de déclarations sur le continent durant la campagne. Le nouveau Président a, en revanche, annoncé que sa politique étrangère sera axée d’abord sur l’Amérique. Il estime que l’heure est venue de s’occuper des emplois et de la santé des Américains. Il me semble que la future Administration sera « moins généreuse » vis-à-vis de l’Afrique. Il n’est pas exclu qu’on assiste à la remise en question de la loi dite l’Agoa (African Growth and Opportunity Act), cette loi qui permet à des pays africains de faire entrer leurs produits sur le territoire américain sans payer les taxes douanières. La nouvelle Administration pourrait exiger la réciprocité. A part ces aspects, je ne vois pas de grands changements en perspectives. L’Amérique va continuer à appuyer le processus de démocratisation, la bonne gouvernance et l’éradication des conflits.

Dans votre récente intervention à l’émission « Washington forum » de la « Voice of America », vous avez déclaré que le président Trump serait attiré plutôt par des questions sécuritaires…

Il a fait savoir que la lutte contre l’Etat islamique constitue sa priorité. Les djiadistes sont non seulement au Moyen-Orient mais aussi en Afrique et particulièrement en Libye. Boko Haram, Al Quaïda dans le Maghreb, Al Shebab en Somalie seront ses priorités.

Dans un message posté sur votre compte Twitter – au lendemain de la victoire de Donald Trump -, vous avez écrit (Je cite de mémoire) que « Joseph Kabila a tort de penser que les pressions diplomatiques vont cesser avec le changement à la tête des Etats-Unis »…

J’ai dit ça parce que tous les experts et responsables en matière africaine tiennent à poursuivre la pression sur le président Kabila. C’est le cas particulièrement des Congressistes républicains. Ceux-ci entendent demander le « feu vert » à Trump afin de poursuivre les pressions déjà entamées.

Est-il exact que les résolutions relatives au Congo-Kinshasa ont été rédigées par des congressistes républicains?

Effectivement! Il y a un congressman qui s’appelle Ed Royce de la Californie qui préside la grande Commission des Affaires étrangères. Il est très attentif sur la situation au Congo.

Dans un communiqué publié lundi 21 novembre 2016, le porte-parole du département d’Etat, John Kirby, a déclaré notamment (citation): « Nous exhortons la coalition du Rassemblement sous la direction d’Etienne Tshisekedi à faire des propositions constructives et pratiques et à s’abstenir de rhétorique incendiaire ou des actions incompatibles avec les normes démocratiques ». Quel est votre commentaire? Devrait-on conclure que les Etats-Unis reprochent à Etienne wa Tshisekedi de manquer de « modération » et du « sens du compromis »?

Je me trouvais déjà à l’étranger. Je n’ai donc pas eu connaissance de ce communiqué. Je peux vous dire qu’à l’instar des autres acteurs de la communauté internationale, les Etats-Unis voudraient éviter que le Congo plonge dans la violence. Et que la meilleure solution serait de trouver un compromis entre le président Kabila et le Rassemblement.

Dans le même communiqué, John Kirby a rappelé que le président Kabila ne doit pas briguer un troisième mandat…

C’est très important! Au lieu de dire qu’il va respecter la Constitution, les Etats-Unis voudraient entendre le président Kabila annoncer de manière solennelle qu’il ne va pas briguer un troisième mandat.

Selon vous, vingt ans après la chute de Mobutu, qu’est ce qui a changé au niveau de la gouvernance au Congo-Kinshasa?

Il faut dire que l’invasion du territoire congolais par le Rwanda et l’Ouganda a fait reculer le pays de cinq années. Il y a eu par la suite le gouvernement dit « 1+4 ». Il y avait soit la guerre soit la transition. Après l’élection du président Kabila en 2006, j’ai cherché en vain des signes de bonne gouvernance. Lorsque je consulte les indices de développement publiés par les Nations Unies, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, je constate que le Congo-Kinshasa est toujours parmi les dix derniers pays. Il n’y a pas eu de progrès au plan de l’amélioration de la qualité de vie. Et pourtant, le cours du cuivre était en hausse entre 2005 et 2015. Le Congo a disposé de revenus importants

Que répondez-vous à ceux des Congolais qui disent que depuis 2006, « Joseph Kabila » était porté à bout de bras par la « communauté internationale »?

Qu’entendez-vous par « porté à bout de bras »?

Le régime être le « chouchou » de la communauté internationale…

En fait, la communauté internationale s’est dit que Joseph Kabila a été élu. Et ce en dépit du fait que les résultats des consultations politiques organisées en 2006 et 2011 étaient discutables. La communauté internationale voulait simplement lui donner une chance pour voir ce dont il était capable de faire. Il y avait déjà des signes qui indiquaient que le chef de l’Etat voulait modifier la Constitution alors que son bilan était loin d’être brillant pour la population.

Vous avez certainement suivi l’interdiction de deux manifestations organisées le 5 et 19 novembre à Kinshasa par le Rassemblement. Depuis plus d’une semaine, le signal de certains médias internationaux est coupé ou brouillé. Que répondez-vous à certains membres de l’opposition qui n’excluent plus le recours à la lutte armée pour combattre la dictature?

J’espère vivement qu’on ne va pas arriver à ce point. J’espère également qu’il y aura un accord politique pour éviter la violence.

 

Propos recueillis à Bruxelles par Baudouin Amba Wetshi

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