André Mbata: « C’est nous les intellectuels qui avons ‘tué’ notre pays »

Prof. André Mbata Mangu

Professeur de droit public à l’université de Kinshasa et dans plusieurs universités africaines, André Mbata Mangu séjourne en Belgique. En marge d’un point de presse qu’il a animé, lundi 28 mai, à Bruxelles, avec deux autres universitaires en l’occurrence docteur Denis Mukwege et le professeur Alphonse Maïndo, il a accordé une interview à Congo Indépendant.

Quel est le but de la conférence de presse à laquelle vous venez de participer?

Je crois que cette conférence de presse se situe dans la suite des conférences que nous sommes en train d’organiser à travers le pays. Nous avons organisé au mois d’août dernier une conférence des universitaires congolais à Kinshasa. Après la capitale, nous avons été à Bukavu, Kisangani et Lubumbashi.

A chacune de ces réunions, vous avez mis l’accent sur la responsabilité des intellectuels congolais. Pourquoi?

Le thème c’est: « La nation est en péril! La nation se meurt et nous sommes responsables ».

C’est un diagnostic…

Quand le pays se meurt, nous devons nous assumer. Nous devons faire quelque chose pour que le pays se redresse.

Que faudrait-il faire concrètement?

La plupart de gens n’ont pas conscience de la situation. C’est pourquoi nous estimons qu’une prise de conscience est fondamentale. Les gens ne sont pas conscients de l’état dans lequel se trouve notre pays. Les gens ne sont pas conscients par exemple que le Congo-Kinshasa dispose d’un budget de quatre milliards de dollars. La Tanzanie et le Rwanda, eux, ont respectivement un budget de 53 et 20 milliards $. Les gens ne sont pas au courant. Il faut que les gens comprennent et prennent conscience que le pays est totalement en crise. Il est en péril. Chacun de nous doit s’assumer dans sa sphère d’action. Les intellectuels en tête. Pourquoi d’abord les intellectuels? Nous devons dire: « Trop, c’est trop! ». Nous devons envisager la manière dans laquelle nous devons reconstruire notre pays.

Pourquoi insistez-vous particulièrement sur les intellectuels?

La raison est simple: on dit que ce sont les intellectuels qui ont « tué » le pays. On entend dire en lingala: « ba-intellectuels ndé babomi mboka ». Qui ont « fabriqué » la dictature de Mobutu? Ce sont les intellectuels!

Ce discours est loin d’être nouveau!

Le discours n’est pas nouveau mais personne ne l’a entendu. Les gens n’entendent pas et ne le comprennent pas. Le phénomène est banalisé. Les choses ne pourront changer que lorsque ce message sera compris et que les gens commenceront à agir. Les choses ne changeront que lorsque les gens auront compris. Nous devons changer la manière dont nous enseignons dans nos universités. Vous le savez autant que moi que le niveau de l’enseignement est très bas. Aucune université congolaise ne figure dans le « hit-parade » de 200 premières universités en Afrique. L’économie nationale est en pleine stagnation. On dit que nous sommes responsables. Si nous sommes corrompus, on doit y mettre fin. Nous devons mettre fin au système de corruption. Si nous contribuons à la capture de l’Etat et qu’on dit que nous sommes des « prostitués politiques », nous mettons fin à notre position politique.

Que répondez-vous à ceux qui disent que l’homme congolais parle beaucoup mais agit peu voire pas du tout?

Ceux qui tiennent ce genre de propos n’ont pas totalement raison. Est-ce que nous parlons beaucoup? Nous parlons beaucoup en disant quoi? Pendant que nous disons qu’il faut respecter l’ordre constitutionnel, on voit un individu qui n’a même pas le niveau requis à qui il est accordé un grand intérêt par tous les médias.

Faites-vous allusion au juriste Jean-Cyrus Mirindi qui soutient que « Joseph Kabila » n’a accompli à ce jour qu’un seul mandat suite à la modification de certains articles de la Constitution en janvier 2011?

Je n’ai cité personne. Si c’est celui-là, c’est notre étudiant.

Il y a un document audio en circulation dans les réseaux sociaux. On y reconnait la voix de Mirindi qui rend compte de sa « campagne en faveur d’un nouveau mandat » à un « cacique » de la majorité présidentielle. Des observateurs disent avoir reconnu le timbre vocal de Jean Mbuyu Luyongola, le conseiller spécial en matière de Sécurité. Qu’en dites-vous?

Je ne peux pas certifier l’authenticité de cette communication téléphonique. Une chose paraît sûre: l’homme a été mandaté. Il est au service du pouvoir et rentre dans la catégorie de tous ces diplômés que j’appelle les « tambourinaires du pouvoir ». Le plus énervant est qu’on fasse passer pour un constitutionnaliste quelqu’un qui ne connait pas le droit constitutionnel. Il est professeur dans quelle université? Il est chef des travaux dans quelle université? C’est le lieu de répondre en termes clairs que les dispositions constitutionnelles n’appellent aucun commentaire. Le mandat du chef de l’Etat actuel a expiré le 19 décembre 2016. Même sur le plan de la forme, quelle argumentation on peut recevoir aujourd’hui? Tous les arguments de la majorité « entre la révision de la constitution et l’inanition de la constitution » c’est terminé depuis 2016. Avez-vous vu  le professeur Evariste Boshab intervenir dans ce débat? Nullement! C’est parce qu’il ne croit pas sur ce qui se raconte. Les grands noms de la majorité présidentielle se taisent parce qu’ils savent que la thèse défendue par cet homme ne tient pas la route.

Revenons un peu à la « transition citoyenne » qui a été évoquée au cours de la conférence de presse. Par quel mécanisme pourrait-on imposer ce régime au regard des rapports de force?

Nous sommes des citoyens congolais. Je vous dis que la voie est celle-là. C’est l’affaire de tous les Congolais. J’espère que les Congolais ne vont pas choisir la servitude.

Vous le savez bien qu’aucune révolution n’a été menée par tout un peuple. C’est toujours un « noyau » qui montre le chemin…

Par quel mécanisme pourrait-on imposer cette transition dites-vous? C’est l’article 64. Le peuple a imposé des choses en Tunisie. Parmi ceux qui s’opposent à la transition citoyenne, on compte plusieurs gouvernements étrangers.

Certains partis politiques congolais s’y opposent également…

Effectivement! Dieu merci, d’autres commencent à y croire parce qu’il n’y aura pas élection. Il y en a qui disent: « S’il n’y a pas élection, nous allons soutenir la transition sans Kabila ». Ils sont de plus en plus nombreux à y croire. Quand le peuple décide, personne ne peut se mettre en travers pour assurer un semblant d’organisation. Lorsque le Tunisien Mohamed Bouazizi, harcelé par des policiers, s’était immolé avec du pétrole cela a conduit au départ du dictateur. Ce n’était jamais programmé.

Etes-vous en train de dire que l’avènement de l’alternance démocratique au Congo-Kinshasa serait tributaire d’un événement futur et incertain?

Je veux dire que le peuple doit se mettre debout et continuer la lutte. Nous n’avons pas encore suffisamment lutté. Nous ne nous sommes pas suffisamment mis debout. J’ai toujours dit que nous devons cesser d’être un peuple de « pleurnicheurs ». Des gens qui se lamentent à longueur de journée que c’est tel ou tel autre pays qui nous malmène. Ma réponse est: non! Nous devons être un peuple qui lutte. Y avait-il un plan qui a permis l’éradication de l’apartheid? Que dire de la colonisation? Il y avait un meeting de Kasa Vubu à Dendale. La suite est connue. Quand le peuple se met en lutte, c’est lui qui se détermine.

D’aucuns pourraient vous rétorquer que comparaison n’est pas raison…

Comparaison n’est sans doute pas raison, mais l’histoire nous apprend que les libérations des peuples – qu’il s’agisse de l’apartheid ou de la révolution en Tunisie, ou de notre lutte de l’indépendance -, n’ont jamais été précédées par une programmation A+B. Il n’ y a pas de mathématiques ici. Ce qui est certain ce que le peuple doit s’engager. Le peuple doit contribuer à lutter. Je sais que vous n’êtes pas satisfait. C’est une question qui revient souvent. Nous ne pouvons rien programmer. Il faut que les gens s’assument et tiennent le même discours. Il faut par exemple que l’église catholique qui a dit que « le pays va mal » soit correcte avec elle-même.

Ce n’est pas le cas?

Je n’ai pas l’impression. Comment peut-on parler de « médiocres » tout en demandant à ceux-ci d’appliquer l’Accord du 31 décembre 2016? Peut-on attendre de Satan une carte d’entrée au paradis?

 

Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi

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