Ces « autistes » qui nous gouvernent

Un voyageur en provenance de Kinshasa est accueilli à l’aéroport de Bruxelles-National par un cousin qui réside en Belgique depuis des décennies. Les deux hommes engagent une brève conversation. « Quoi de neuf en RDC? », lance le « Belgo-Congolais ». Le Kinois réplique aussitôt: « C’est l’incertitude. On ne sait pas où l’on va à moins de 90 jours des élections générales ». Persifleur, le premier de murmurer: « Moi, je sais où on va. On va nulle part! »

Cette histoire pourrait faire sourire. Elle traduit pourtant l’ambiance oppressante qui règne au « Congo démocratique ». Un pays où l’insécurité des personnes et des biens, la misère sociale et les effets néfastes de la mauvaise gouvernance ne semblent guère préoccuper les membres de l’oligarchie au pouvoir. Des hommes et des femmes qui donnent l’impression de souffrir d’une forme d’ « autisme ».

L’autisme dont il est question ici n’est pas à confondre avec le phénomène qui affecte de nombreux enfants. Des parents en souffrent. Reste que la définition donnée par le monde médical est la même: « Développement exagéré de la vie intérieure avec perte de contact effectif avec la réalité ». Le Petit Larousse illustré va plus loin: « Déni de réalité qui pousse à s’isoler et à refuser de communiquer, et particulièrement, d’écouter autrui ».

De quoi s’agit-il?

Mardi 2 octobre, l’ex-opposant Bruno Tshibala Nzenzhe a présidé, par délégation, la 17ème « réunion extraordinaire » du conseil des ministres en sa qualité de « chef » du gouvernement.

Le rapport fait à cette occasion par le ministre de l’Intérieur Henri Mova Sankayi est simplement ahurissant au regard des réalités du pays. A en croire cet ancien ambassadeur à Bruxelles, « la situation générale », aux quatre coins du pays est « caractérisée par un calme relatif ».

D’après lui, les « forces de sécurité » poursuivent la « traque » des « groupes armés récalcitrants » dans certaines localités des provinces du Nord et du Sud Kivu. La police, elle, mènerait des « actions de lutte contre toute forme de criminalité dans les grandes agglomérations ».

Au moment où Mova fait état de « calme relatif », les habitants du Territoire de Beni au Nord-Kivu ne cessent de pleurer leurs morts. Depuis le mois d’octobre 2014 à ce jour, des prétendus rebelles ougandais des ADF (Forces démocratiques alliés) égorgent impunément des paisibles citoyens congolais. Les « tueurs » n’ont jamais été appréhendés. Une impuissance des pouvoirs publics qui suscite des interrogations. Le  plus récent massacre remonte au 22 septembre dernier.

Dans les deux provinces du Kivu toujours, un phénomène inquiétant prend de l’ampleur. Il s’agit de rapt suivi de demande de rançon. Plusieurs victimes ont péri en captivité.

Dans la province de l’Ituri, une milice dénommée FPRI (Force de résistance patriotique de l’Ituri) sème la terreur au risque de rallumer le vieil antagonisme entre les membres des communautés Lendu et Hema. Des Ituriens parlent d’une « pseudo-FPRI » montée de toutes pièces par les barbouzes du régime. A quel dessein?

Au « Grand Katanga », la paix des cœurs et des esprits reste un vœu pieux entre les Bantous et les Twa dans la toute nouvelle province du Tanganyika. Les pouvoirs publics tant au niveau national que provincial n’ont pas joué leur rôle de garant de l’intérêt général.

L’opinion congolaise a encore frais en mémoire les graves violations des droits humains dans le « Grand Kasaï ». Des atrocités imputées aux forces dites de sécurité dans la répression menée contre les prétendus miliciens de Kamuina Nsapu. Bilan: 3.000 à 5.000 morts. Des agents de la Monusco y ont dénombré 90 fosses communes. Les experts onusiens Zaidan Catalan et Michaël Sharp ont été assassinés mi-mars 2017. Ils en savaient sans doute trop sur les charniers.

Où se trouve le « calme relatif » claironné par l’ancien défenseur des droits humains qu’est Henri Mova? Les observateurs ont sans doute été éberlués d’entendre ce dernier, qui a en charge non seulement l’Intérieur mais aussi… la sécurité, qualifier les groupes armés qui fleurissent dans les deux Kivu de « récalcitrants ». Est-ce un aveu selon lequel les plus hautes autorités du pays ont perdu le contrôle des miliciens qu’elles manipulaient jadis à leur guise? L’épithète « récalcitrant » a pour synonyme: rétif, désobéissant, indiscipliné, insoumis, rebelle, séditieux.

Depuis la proclamation de l’indépendance du Congo le 30 juin 1960, le pouvoir d’Etat n’a jamais été perçu comme une force au service d’une idée de transformation de la société. Le pouvoir d’Etat n’est envisagé qu’en termes de privilèges et avantages qui y sont attachés. On accède dans le gouvernement non pas pour servir la collectivité mais pour « manger » et changer de classe sociale.

Peut-on franchement parler de « calme relatif » dans un pays où toute manifestation pacifique contraire à l’orthodoxie d’Etat est réprimée à coup de gaz lacrymogène et balles réelles sans omettre des arrestations arbitraires? Peut-on parler de « calme relatif » dans un pays où les gouvernants évitent soigneusement l’écoute de la population pour identifier les véritables aspirations de celle-ci? Peut-on enfin parler de « calme relatif » au moment où la cohésion nationale laisse apparaître des craquelures?

Depuis le 30 juin 1960 à ce jour, les dirigeants zaïro-congolais successifs ressemblent fortement à ces anciens coloniaux belges qui considéraient le sourire béat de leurs « boys » comme une « unité de mesure » du bien-être général des peuples colonisés.

Le « Congo démocratique » est dirigé par des « autistes ». Des hommes et des femmes qui vivent dans un monde fantasmagorique. Des hommes et des femmes qui fredonnent déjà leur victoire, à tous les niveaux du pouvoir, lors des consultations politiques fixées au 23 décembre prochain. Et ce, en dépit du fait qu’ils ont été bien incapables – en 17 années d’exercice de pouvoir sans réels contradicteurs – de permettre à la population de satisfaire ses besoins « basiques ». A savoir notamment: la sécurité, la liberté, la justice, l’emploi, l’eau potable, l’électricité, les infrastructures de base, l’éducation et des soins de santé de qualité…

 

Baudouin Amba Wetshi

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