Congo-Kin: Un parfum de scandale à la Présidence de la République

Kamerhe et Tshisekedi

Deux courriers émanant, jusqu’à preuve du contraire, du « dircab » Vital Kamerhe sont au centre d’une vive controverse sur les réseaux sociaux. Les deux correspondances portent sur des contrats de gré à gré que la Présidence de la République aurait signés avec deux sociétés privées. Et ce en méconnaissance non seulement de la législation en matière de passation de marchés publics – laquelle impose le lancement d’appel d’offres pour tout marché public à partir d’un montant de 10.000 $ – mais aussi de l’irresponsabilité politique du premier magistrat du pays. Cette irresponsabilité interdit à ce dernier de poser des actes de gestion. Contacté à ce sujet, le porte-parole à la Présidence de la République Tharcisse Kasongo Mwema Yamba Y’amba assure que « les deux missives ont été falsifiées ». On espère que les « correspondances originales » seront diffusées pour faire estomper la polémique sur ce que d’aucuns qualifient déjà de « tentative de détournement de deniers publics ».

Cinq mois après l’investiture de Felix Tshisekedi Tshilombo à la tête de l’Etat, le Congo-Kinshasa attend désespérément la formation d’un gouvernement de plein exercice. On ne cessera jamais de donner raison aux évêques catholiques. Dans leur message intitulé « Le pays va mal. Debout Congolais! », publié le 23 juin 2017, ces derniers avaient déjà alerté l’opinion sur le fait qu’ « une minorité de concitoyens a décidé de prendre en otage la vie des millions de Congolais ».

Le « dircab » Vital Kamerhe

Dimanche 9 juin dernier, les auditeurs de RFI ont été atterrés d’entendre François Mwamba Tshishimbi, cet ancien opposant au parcours tortueux, affirmer, que le duo Tshisekedi-Kamerhe n’avait qu’un seul objectif: conquérir la Présidence de la République. « Nous avons sciemment choisi de gagner le fauteuil présidentiel en sachant que ce poste donne à son détenteur le moyen de réformer l’Etat ». Selon Mwamba, un chef d’Etat peut donc conduire des réformes sans disposer d’une majorité parlementaire de son obédience.

Certains « constitutionnalistes » – toujours prompts à se faire complices des « preneurs d’otages »- ont prétendu et continuent à prétendre que l’Etat doit « continuer ». Ils citent à l’appui, le troisième alinéa de l’article 69 de la Constitution qui stipule notamment que le chef de l’Etat « assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des institutions ainsi que la continuité de l’Etat. (…)« .

Appliquant cette « logique », le cabinet du Président de la République s’est érigé en « centre d’ordonnancement des dépenses ». Sans titre ni droit. Le chef de l’Etat pose, via son directeur de cabinet, des actes de gestion en lieu et place du gouvernement. Le problème? Il ne rend compte à personne.

« ENTENTE DIRECTE » OU MARCHÉ DE GRÉ À GRÉ

Revenons aux deux missives querellées. La première, datée du 13 juin 2019, est adressée au DG de la Direction générale du contrôle des marchés publics. Elle est signée « par délégation » par le directeur de cabinet adjoint (dircaba) Désiré Casimir Kolongele Eberange « pour le directeur de cabinet en mission ».

Se fondant sur une « instruction de la haute hiérarchie », le « dircaba » demande une « autorisation spéciale » au directeur général de cet organisme public afin de permettre à la Présidence de la République de conclure un contrat de gré à gré. Le contrat a pour objet « la construction et réhabilitation des bâtiments abritant la résidence et les bureaux » du Président de la République « et les bureaux de ses collaborateurs » à la Cité de l’Union Africaine et au Palais de la Nation.

Au troisième paragraphe, on peut lire notamment: « (…), à l’urgence s’ajoute le caractère stratégique et sécuritaire de l’édifice à construire et des sites où se trouvent les bâtiments à réhabiliter, lequel ne permet pas de lancer un appel d’offres. Raison pour laquelle l’option levée est celle de recourir à la procédure d’entente directe et ce, conformément aux dispositions des articles 42 (points 4 et 5), 44 et 45 de la loi n°10/010 du 27 avril 2010 relative aux marchés publics ».

Au paragraphe suivant, on apprend que ces travaux – dont le coût est estimé à 180 millions €, (vous avez bien entendus!) – ont été confiés à une entreprise à la dénomination pittoresque: « Democratic Congo High Tech Construction Company, » (DCHTCC). Il s’agit d’une société à responsabilité limitée unipersonnelle (SARLU). En clair, il n’y a qu’un seul actionnaire.

A en croire le « dircaba » Kolongele Eberande, le choix porté sur cette entreprise « se justifie notamment par le fait qu’elle a une expertise avérée pour avoir déjà exécuté par le passé des travaux analogues comme l’attestent les preuves en annexe » (article 44 de la loi précitée).

Ces assertions sont aussitôt balayées par des informations relayées sur les réseaux sociaux. Il semble que ladite société dont le siège se trouverait au numéro 27, avenue Batetela à Kinshasa/Gombe, n’a été immatriculée au « Guichet unique » que… le 31 mai 2019. Il n’y a même pas un mois. L’entreprise dont question porte le numéro 01-403-N47109T. Son capital social serait de 32.800.000 CDF soit plus ou moins USD 20.000.

La seconde correspondance, elle, est datée du 18 juin 2019. Elle est adressée au sieur Makuangu Nkombo Doudou, gérant de la société au nom insolite de « Zawal ». La lettre est revêtue de la signature du « dircab » Vital Kamerhe. En personne. L’objet est libellé comme suit: « Votre demande d’accompagnement de financement d’un projet économique. Accusé de réception ».

En fait, le cabinet présidentiel donne suite à la lettre n°MIND/G/038/2019 datée du… 15 juin 2019 que Doudou Makuangu Nkombo avait adressée au chef de l’Etat. Selon le « dircab », celui-ci l’a chargé « d’instruire le Fonds national d’entretien routier (FONER), d’allouer, mensuellement et pendant douze mois, à votre faveur, la somme USD 2.000.000 au titre de constitution des dépôts et stations-services de carburant à Mbuji-Mayi, Kananga et Mwene-Ditu »

« VK » AU BANC DES ACCUSÉS. PROCÈS D’INTENTION?

Au début de l’après-midi de mardi, l’auteur de ces lignes a joint au téléphone le porte-parole de la Présidence Tharcisse Kasongo Mwema afin de s’assurer de l’authenticité de ces courriers.

Fidèle à sa réputation d’homme courtois, « Tharcisse » a eu ces mots: « Écoutes, tu fais bien d’appeler. Mais pour l’instant, je ne peux pas te donner l’information. J’attends moi-même de rencontrer le Chef pour qu’un service puisse éclairer l’opinion. Je suis ici avec le directeur de la communication. On essaie de savoir si le document est authentique ou pas. Si le document se révélait vrai, il va falloir qu’on donne des explications ».

Tharcisse Kasongo Mwema

Une demi-heure plus tard, Kasongo Mwema était au bout du fil. « Les deux lettres ont été falsifiées », dit-il sans ajouter un mot de plus. Sur son compte Twitter, @mwema_y, on pouvait lire: « Les deux correspondances attribuées à la Présidence de la République sur les réseaux sociaux sont des lettres falsifiées ».

Docteur en sciences de l’information et de la communication d’une université française, l’actuel porte-parole de la Présidence de la République est mieux placé que quiconque pour peser le poids des mots.

Le mot « falsifier » vient du latin « falsificare » qui signifie « fausser » ou « contrefaire ». Dans plusieurs dictionnaires, la définition de ce vocable est donnée de manière unanime: « modifier volontairement en vue de tromper ». « On ne peut falsifier ou tripatouiller qu’un document qui existe. On espère que la Présidence de la République va publier les originaux de ces lettres qui font débat », commente un analyste économique kinois. « Le duo Tshisekedi-Kamerhe ne fait qu’accumuler des bourdes depuis cinq mois au risque de désacraliser l’institution Président de la République », enchaîne un confrère kinois.

Contacté à Bruxelles, un expert financier congolais ne va pas par le dos de la cuillère: « La société DCHTCC n’a aucune référence. Elle n’a aucune garantie financière. Elle ne peut pas non plus donner de garantie de bonne exécution de la valeur totale du marché. L’Etat devra sans doute lui avancer 10% du montant total, soit dix-huit millions d’euros, pour lui permettre de démarrer les travaux. L’Etat congolais ne pourra même pas infliger à cette société des pénalités en cas de retard ». Pour cet expert, il s’agit, dans les deux cas, d’une « tentative de détournements de deniers publics ». Et d’ajouter: « Il y a comme un parfum de scandale à la Présidence de la République. Les bâtiments à réhabiliter font partie du domaine public de l’Etat. Il revient à l’Assemblée nationale de voter le budget pour la réalisation des travaux et non à la Présidence ».

Nombreux sont des Congolais qui peinent à comprendre qu’une institution publique, en l’occurrence la Présidence de la République, « se substitue aux banques commerciales pour avancer de l’argent à des prétendus entrepreneurs ».

Des doigts accusateurs étaient pointés, mardi soir, sur le « dircab » Vital Kamerhe, alias « VK ». L’homme est accusé de tous les maux dont « souffre » la Présidence. Procès d’intention? « Vital ne peut pas agir sans l’aval du président Felix », rétorque, sur un ton amer, un sympathisant de l’UNC. Affaire à suivre.

 

Baudouin Amba Wetshi

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