Congo-Kinshasa: Etat hors-la-loi…

Au cours de sa quatrième réunion ordinaire, vendredi 18 septembre, le conseil des ministres présidé par le Premier ministre Augustin Matata Ponyo a adopté un projet d’ordonnance portant nomination… des « commissaires spéciaux » et « commissaires spéciaux adjoints » du gouvernement. Ceux-ci seront chargés, en lieu et place des gouverneurs et vice-gouverneurs, d’administrer les 21 provinces nouvellement créées à « titre transitoire et exceptionnel ».

Dans son compte-rendu, le porte-parole du gouvernement a précisé, sans rire, que le projet d’ordonnance dont question – à soumettre à la signature de « Joseph Kabila » – a été initié en exécution de l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 8 septembre dernier. Un arrêt aux termes duquel elle « lui avait ordonné de prendre sans tarder des dispositions transitoires et exceptionnelles en vue de faire régner l’ordre public, la sécurité et assurer la régularité ainsi que la continuité des services publics dans les nouvelles provinces ».

Cette démarche de l’équipe Matata soulève une question essentielle sur la légalité. La légalité étant entendue comme la qualité de ce qui est conforme au droit. Conforme à la loi. Le duo « Kabila »-Matata semble ignorer que le pouvoir d’Etat dont il est détenteur ne lui confère guère le droit de prendre des décision sur tout et n’importe quoi sans indiquer au préalable l’article de la Constitution ou le texte de loi qui a servi de base juridique. Est-ce faire preuve de juridisme? Assurément pas!

DE QUOI S’AGIT-IL?

En mars dernier, piqué on ne sait par quelle mouche, « Joseph Kabila », dont le second et dernier mandat expire le 19 décembre 2016, décida de mettre finalement en application l’article 2 de la Constitution promulguée le 18 février 2006. On le sait, cette disposition porte le nombre des provinces de 11 à 26. Dieu seul sait l’incapacité étalée par les gouvernants actuels dans l’administration des 11 Régions.

Depuis le 30 juin 2015, le Congo démocratique compte sur papier 26 entités administratives. Le problème? Trois mois après, les institutions provinciales que sont le gouvernement et l’assemblée restent en « jachère ».

Croyant camoufler cette démonstration de l’incurie, le ministre de l’Intérieur, le professeur en droit Evariste Boshab, s’est contenté d’inviter verbalement les anciens gouverneurs des provinces ayant cessé d’exister à expédier les affaires courantes des… nouvelles entités régionales. En vertu de quel texte transitoire? Silence radio.

Jusqu’à preuve du contraire, l’exécutif provincial est dirigé par un gouverneur et un vice-gouverneur. Les deux sont élus par les députés provinciaux (article 198-2 de la Constitution). Aucun texte en vigueur n’a prévu de confier la suppléance de ces autorités provinciales à des « commissaires spéciaux » et « commissaires spéciaux adjoints » du gouvernement. Agir autrement, revient à transformer l’Etat congolais en une jungle où règne un « roi lion » en la personne de « Joseph Kabila ».

Fixée initialement au 5 octobre prochain, l’élection des chefs des exécutifs provinciaux et de leurs adjoints a été reportée sine die. A la surprise générale, le Premier ministre Matata Ponyo a déclaré le 3 septembre, avec une légèreté inqualifiable, que le gouvernement central n’a pas d’argent pour organiser cette consultation politique. C’est du moins la version officielle.

Officieusement, le clan kabiliste est atterré par le charme perdu du label « majorité présidentielle ». La grande majorité des prétendants à la fonction de gouverneur et de vice-gouverneur aurait présenté sa candidature en « indépendant » ruinant ainsi l’ambition du « raïs » à avoir la haute main sur les 26 collectivités publiques.

Plus surprenant, en guise de base légale de son projet d’ordonnance, le Premier ministre Matata – sans doute instruit par « Kabila » – s’est cru en droit de s’appuyer sur le très controversé arrêt de la Cour constitutionnelle du 8 septembre. Un arrêt inique. Un arrêt dénué de toute conformité au droit dans la mesure où la compétence de cette institution est d’interpréter la Constitution et non pas les lois. Pire, la Cour constitutionnelle s’est déclarée incompétente pour connaitre la demande introduite par la CENI (Commission électorale indépendante) portant sur l’interprétation de la loi de programmation relative à l’installation des nouvelles provinces.

Des juristes éminents que compte encore ce grand pays n’ont pas manqué de crier haro sur une Cour constitutionnelle qui a littéralement usurpé le rôle de régulateur de la vie politique reconnu à l’institution « président de la République » en vertu de l’article 69-3 de la charte fondamentale. Le même article enjoint au chef de l’Etat de veiller au respect de la Constitution.

« Joseph Kabila » ira-t-il jusqu’au bout de ses calculs politiciens en cautionnant l’imposture en préparation donnant au Congo-Kinshasa l’image d’un Etat hors-la-loi?

 

Baudouin Amba Wetshi

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