Inconstance et inefficacité des remèdes de Noël Tshiani

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

A la veille des élections générales qui devaient se dérouler en RDC en 2016 et qui avaient fini par avoir lieu en décembre 2018, Baudouin Amba, le rédacteur en chef de Congo Indépendant, avait interviewé le candidat à la candidature Noël Tshiani qui deviendra finalement candidat à la présidentielle. Dans « Questions directes à Noël Tshiani » (2 mai 2016), ce dernier apprenait à ses compatriotes comment il s’était préparé à la course au pouvoir. Depuis le mois d’août 2015, déclarait-il, il avait rédigé un projet de société publié sous forme d’un livre: « La force du changement ». De cet ouvrage, il avait tiré un résumé portant le titre « Aux grand maux, les grands remèdes: un Plan Marshall pour la RDC ». Cela était sans conteste la marque d’un homme qui se respecte et respecte son peuple. Tshiani avait une vision. Mieux, celle-ci n’existait pas seulement dans sa tête ou dans ses discours, mais dans deux supports. On pouvait les toucher du doigt. On pouvait en prendre connaissance. On pouvait en discuter.

Dans son discours du 24 avril 1990, Mobutu avait limité le nombre des partis politiques à trois. Le fanatisme de la liberté avait alors poussé ses opposants et notre peuple à le chahuter et exiger le multipartisme dit intégral. Le pays s’est retrouvé avec plus de 500 partis. Tout le monde reste conscient qu’il s’agit là d’un problème. Mais face aux problèmes de gouvernance, la classe politique et l’élite intellectuelle congolaises se sont toujours comportées comme si ceux-ci devraient se régler d’eux-mêmes. Noël Tshiani, lui, se distinguait. Il avait une solution: « On devrait structurer la vie politique autour de deux ou trois grands partis. Les autres partis devraient se regrouper par similarité programmatique ».

Tshiani et les siens devaient encore mûrir leur réflexion qui laissait tout lecteur avisé sur sa soif. Car, elle posait plus des questions qu’elle n’apportait des réponses. Qui devait décider de l’existence de deux ou trois partis et sur base de quels critères? Fallait-il avoir le courage politique de remettre le compteur à zéro, en exigeant que la création de tout parti soit justifiée par une idéologie claire qui n’existerait dans aucune autre formation politique? Une CENI indépendante devrait-elle se mêler de l’organisation des élections à l’intérieur de chaque parti afin que les fondateurs-propriétaires deviennent une espèce en voie de disparition? Le terme idéologie avait-il la même signification pour tous, c’est-à-dire un positionnement vis-à-vis des conflits et aspirations majeurs qui traversent la société congolaise et non les sociétés occidentales de telle ou telle autre époque? L’existence de deux ou trois partis pouvait-il mettre la RDC à l’abri des déchirements auxquels la démocratie conflictuelle à l’occidentale soumet les Etats pluriethniques africains?

Après que Noël Tshiani ait égrené son programme, Baudouin Amba lui avait posé la question qu’il fallait: « Que répondez-vous à ceux qui pourraient vous rétorquer que tout ce que vous venez de dire c’est du déjà entendu? ». Réponse: Je suis un spécialiste de développement. J’ai travaillé à la Banque mondiale pendant 25 ans. J’ai eu à m’occuper du développement de plusieurs pays africains. J’ai élaboré des programmes de développement qui ont donné des résultats probants. Je vous invite à aller visiter les pays comme le Cap Vert, le Sénégal, le Mali et le Botswana pour ne citer qui ces nations. Je sais de quoi je parle ». Qui oserait lui dénier la qualité d’expert en développement? Il va de soi que dans ce domaine, il est de loin mieux outillé que l’écrasante majorité des animaux politiques congolais.

Mais il convient tout de suite de nuancer l’avantage ci-dessus. Paul Kagamé qui ne détient aucun diplôme susceptible de propulser quelqu’un à un poste de responsabilité dans une des deux institutions de Bretton Woods donne de lui-même l’image d’un expert en développement après avoir été bien coaché par l’ancien premier ministre britannique Tony Blair. Cependant, au Bénin, Nicéphore Soglo qui avait occupé des fonctions à la Banque mondiale et au FMI avant de devenir Premier ministre (1990-1991) puis Président de la République (1991-1996) a laissé de lui une image si piètre qu’il n’exerça qu’un seul mandat, battu qu’il était au second tour de l’élection présidentielle de mars 1996 par le dictateur Mathieu Kérékou à qui il avait succédé.

Plus que les propos de Tshiani sur le développement, ceux touchant à la gouvernance démocratique suscitaient un intérêt particulier quand il soutenait que « le véritable changement en RDC ne viendrait pas par le remplacement de Joseph Kabila par l’un ou l’autre de ses actuels ou anciens collaborateurs mais plutôt par de nouveaux leaders ayant une nouvelle vision de développement du pays. Ces nouveaux leaders devaient n’avoir jamais trempé dans la corruption et la mauvaise gouvernance du pays ou dans la destruction des richesses naturelles ». Tshiani se présentait comme un « partisan de l’idée que pour combattre la corruption avec succès, il faut n’avoir jamais été corrompu soi-même. C’est pourquoi, [pour lui], les Congolais devaient être prudents dans le choix de leurs futurs dirigeants ». Mieux, il se confessait en ces termes: « Je peux dire devant tout le monde que je n’ai jamais été corrompu dans ma vie ».

L’appel aux « nouveaux leaders » est une idée séduisante qui revient souvent en Afrique. Mais à y regarder de près, elle ne repose sur rien qui puisse en faire une qualité en matière de gouvernance. Pour preuve, par rapport à la dictature de Mobutu, les deux présidents Kabila ainsi que les premiers ministres Antoine Gizenga, Adolphe Muzito et Matata Mponyo étaient des hommes totalement nouveaux. Aucun d’entre eux ne s’était réclamé de la vision dictatoriale et prédatrice de Mobutu. Bien au contraire. Ils avaient tous proclamé haut et fort leur différence. Pourtant, leur empreinte, Tshiani le reconnaissait, était plus que consternant tant sur le plan de la gouvernance que du développement. Il y a mieux. Par rapport à la prédation sous Mobutu Sese Seko, prédation exacerbée sous l’administration de Joseph Kabila, Félix Tshisekedi, du haut de sa propriété familiale UDPS, la fille aînée de l’opposition avec 36 ans d’expérience dans ce domaine, est un « nouveau leader » quand il accède enfin à la magistrature suprême à la faveur des élections chaotiques de décembre 2018. Pourtant, la corruption et la course à l’enrichissement sans cause n’ont jamais été aussi décomplexées au sommet de l’Etat que sous sa présidence qui a également hissé le favoritisme tribal à des sommets jamais atteints auparavant.

Par ailleurs, n’avoir jamais été corrompu appelle bien d’autres commentaires. D’abord, il n’est écrit sur le front de personne qu’il ne l’a jamais été pour que les électeurs fassent un bon choix. Ensuite, même quand on n’a pas d’antécédents judiciaires dans ce domaine, cela ne signifie pas qu’on est intègre. Joseph Kabila a incarné l’un des régimes les plus corrompus au monde. En se retirant du pouvoir au terme de deux années d’un troisième mandat anticonstitutionnel auquel les Yankees ont mis un terme en frappant du poing sur la table lors de la visite de l’ambassadrice Nikki Haley à Kinshasa le 26 octobre 2017, son casier judiciaire est resté vierge. Enfin, comparer la moralité d’un fonctionnaire de la Banque mondiale à celle de l’un ou l’autre dirigeant africain est un exercice biaisé. Certes, la corruption existe partout. Même dans les institutions internationales prestigieuses. Mais alors que les mécanismes de contrôle sont effectifs et opposables à tous dans celles-ci, dans les régimes africains, il est impossible de contrôler le pouvoir du président de la république que celui-ci ait été bien ou mal élu; ce qui rend aujourd’hui populaires les coups d’Etat. Pour les autres hauts commis de l’Etat, tout dépend de la relation qu’ils entretiennent avec le détenteur de l’imperium ou du bon vouloir de celui-ci. A cet égard, un fonctionnaire intègre d’une grande institution internationale peut facilement devenir corrompu au sommet ou ailleurs dans les rouages des Etats africains. De même, un corrompu notoire des régimes africains peut devenir un fonctionnaire sans histoire dans une institution internationale.

A l’approche des élections générales de 2023, Noël Tshiani revient avec un autre remède à la mauvaise gouvernance endémique de la RDC. Il s’agit d’une proposition de loi portant son nom et sensée verrouiller « l’accès aux fonctions de souveraineté nationale » afin d’empêcher « les Congolais de loyauté partagée », puisqu’ayant un père ou une mère d’origine étrangère, d’accéder aux « fonctions de souveraineté » au sommet de l’Etat, fonctions qui seraient réservées à leurs compatriotes « de loyauté à 100% » du fait d’être de père et de mère congolais. Personne n’est dupe. A l’origine de cette proposition de loi se cache la perception populaire selon laquelle Joseph Kabila serait un Rwandais ou un Cheval de Troie rwandais qui a réussi à placer le pouvoir d’Etat congolais sous la botte de celui du Rwanda. Pourtant, le successeur de Kabila est 100% Congolais. A-t-il pris ses distances vis-à-vis de la vassalisation du grand corps malade qu’est le géant RDC par le petit poucet Rwanda, fort de sa cote d’amour auprès des chancelleries occidentales? Non. Non seulement Félix Tshisekedi marche sur les pas de Joseph Kabila, mais mieux, il renforce cette situation honteuse pour toute la nation à travers des accords dits d’intégration régionale au seul bénéfice du Rwanda. Y-a-t-il meilleure démonstration de l’inefficacité du nouveau credo de Tshiani?

Que conclure? Le pouvoir corrompt, dit-on. Cela signifie que même un homme à l’intégrité clairement affichée ou un homme à la « loyauté à 100% » peut être corrompu au point de devenir méconnaissable pour ceux qui l’auront porté au pouvoir sur l’une ou l’autre ou les deux à la fois de ces deux bases. Aussi, quand on veut construire un Etat de droit, les profils des leaders ne doivent d’aucune manière être considérés comme la priorité des priorités. La priorité des priorités, c’est le système politique. On doit s’assurer que même si le diable en personne venait à être élu président de la république, qu’il soit sanctionné pour toute entorse aux règles du jeu.

Tant que nos opposants et autres prétendants à la relève n’auront pas compris ce qui est souligné ci-dessus; tant qu’ils se limiteront à déclarer comme Noël Tshiani leur expertise avérée en matière de développement et leur incorruptibilité supposée ou réelle; tant qu’ils n’auront rien à vendre aux électeurs à part leur « engagement à établir un véritable Etat de droit »; tant qu’ils répèteront inlassablement leur profession de foi, ils continueront à vendre des illusions à leurs concitoyens. Car, non seulement il s’agit là d’une gymnastique commune à tous les opposants et autres prétendants à la relève en RDC et ailleurs en Afrique, mais en plus, ce qui mériterait d’être dit et entendu, c’est plutôt comment ils comptent construire un Etat de droit là où leurs prédécesseurs ont piteusement échoué; comment ils envisagent construire des institutions qui arrêteraient le pouvoir du détenteur de l’imperium si jamais ce dernier s’écartait de la mission pour laquelle il aura prêté serment.

En effet, comme on peut le découvrir dans « L’Esprit des lois » (1748), ouvrage de Montesquieu (1689-1755), le premier des quatre grands philosophes des Lumières, « c’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser. Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». Tous les pouvoirs démocratiques au monde reposent sur ces deux observations universelles. L’Afrique traditionnelle les avait matérialisées sans l’aide de l’Occident. Cheik Anta Diop, Joseph Ki-Zerbo et Amadou Hampaté Bâ, pour ne citer que ces trois grands penseurs africains, et bien d’historiens et anthropologues occidentaux de l’Afrique tel que le Belge Jan Vansina ont suffisamment démontré que les Etats précoloniaux africains n’étaient pas tous des dictatures. Certains de ces Etats étaient dirigés par des monarques entourés d’assemblées ou de conseils de sages qui le guidaient dans les décisions et orientaient leurs actions dans le sens des intérêts des peuples, allant jusqu’à les sanctionner en les démettant de leurs fonctions. Noël Tshiani et bien d’autres intellectuels grimaciers africaines devraient méditer sur l’absence de contre-pouvoirs face aux pouvoirs des présidents africains. Ils devraient réfléchir sur des formules susceptibles de rendre effectifs les contre-pouvoirs sur papier. Cela leur éviterait d’être inconstants dans leur quête légitime des solutions. Cela les empêcherait de prescrire des remèdes inefficaces aux malades que sont les Etats africains depuis les indépendances.


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