Le Congo/Kinshasa se dote d’un Plan directeur d’industrialisation

Le 26 août, le Premier ministre Sama Lukonde a présenté officiellement le Plan directeur d’industrialisation de la République démocratique du Congo à l’horizon 2040. Le coût total de ce plan qui est évalué à 58,3 milliards de dollars, sera prochainement présenté aux bailleurs de fonds pour financement, suivant le chef du gouvernement.

D’après ce Plan, des investissements seront opérés dans les infrastructures, soit 21 milliards de dollars dans les infrastructures routières, 9 milliards dans les voies ferroviaires, 22 milliards dans le domaine de l’énergie et 6,3 milliards pour les installations aéroportuaires et portuaires. Dans les cinq prochaines années, le gouvernement ambitionne de doubler le nombre d’unités de production industrielle pour les porter à 1.000 industries contre 507 actuellement. L’ambition est aussi de diversifier l’économie et de réduire de 60% la facture des importations évaluée à près de 6,5 milliards de dollars américains par an.

Pour atteindre ses objectifs, le Plan a éclaté le pays en six zones industrielles: l’Ouest dans la région de Kinshasa, le Sud dans l’ex-Katanga, la zone centre dans l’espace Kasaï, la zone Est dans les deux provinces du Kivu, la zone Nord-est qui regroupe l’ex-Province orientale et la zone Nord-ouest constituée de l’ex-Equateur.

Selon le gouvernement, ces six piliers de développement seront transformés, à l’échéance 2040, en hubs d’exportation vers les pays voisins, dans la perspective de l’effectivité de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF), des avantages de l’AGOA (Loi sur la croissance et les opportunités économiques en Afrique) et des ouvertures du marché chinois aux pays africains.

Les industries étaient florissantes à l’époque coloniale

A la veille de son indépendance en 1960, le Congo disposait d’une industrie diversifiée comprenant près de 14.300 entreprises contre 507 actuellement. Cette désindustrialisation est la conséquence des troubles qui ont suivi l’indépendance du pays en 1960, de la zairianisation de 1973, des pillages des commerces et industries des années 1990 et du mauvais climat des affaires.

A l’époque de la colonisation belge, les filières industrielles étaient ainsi réparties: Industries alimentaires, boissons et tabacs, Industries textiles et chaussures, Industries chimiques (plastique, cosmétique, savonnerie, acide sulfurique), Industries des minéraux non métalliques (bouteilles, ciment), Constructions de matériel et de transport, Fabrications métalliques et fournitures électriques. L’industrialisation du Congo a connu deux grandes vagues. Il y a la période qui va de 1920 à 1929 ainsi que la période allant de 1948 à 1960. Cette industrialisation visait à satisfaire une demande intérieure de plus en plus forte. C’est ainsi que le pays connut au cours de la première vague la création de sucreries, de savonneries, de cimenteries, d’industries textiles, d’industries brassicoles et de tabac ainsi que des ateliers de fabrication métallique.

A la fin de 1920, on relevait 2.650 établissements industriels et commerciaux. Parmi les grandes industries non extractives, il y a la Société de ciment du Congo à Lukala, les Ciments du Katanga, filiale de la société belge industrielle et minière du Katanga, les Huileries du Congo belge, des scieries mécaniques etc… En 1925 est créée UTEXCO, la première entreprise textile. Les créations d’entreprises furent estompées lors de la grande crise économique mondiale de 1929. Après cette crise, les investissements reprirent de plus belle.

La fin de la deuxième guerre mondiale laisse entrevoir de nouvelles opportunités d’autant que le pouvoir d’achat de la population locale s’est amélioré. Avec la guerre de Corée, la demande des produits d’exportation du Congo s’accroît. La puissance coloniale encourage alors le développement des entreprises agricoles modernes tournées vers la satisfaction des besoins de la Belgique. Elles appartenaient toutes à des Européens et étaient gérées par eux. Ces entreprises fournissaient la plupart de la production exportée. Les petits paysans furent orientés, en général, vers la production de coton qui était soit exporté soit utilisé par l’industrie textile. La production manufacturière servait essentiellement à couvrir le marché local. Le secteur est alors dominé par les entreprises agro-industrielles qui sont pour la plupart intégrées verticalement et qui transforment les produits des plantations.

De petites industries sont créées pour satisfaire aux besoins des grandes exploitations ainsi qu’à ceux de la population européenne et indigène. A Kinshasa et au Katanga notamment, des huileries, des boulangeries, des fabriques des glaces et d’eaux gazeuses, des minoteries, des forges, des fonderies et des ateliers mécaniques, des briqueteries, des tuileries et des poteries, des fours à chaux, des savonneries etc…sont implantés. D’anciens fonctionnaires et ouvriers s’installent comme entrepreneurs et commerçants.

Dans le secteur des services, plusieurs garages et ateliers de réparation pour vélos, motocyclettes et automobiles voient le jour. De nombreux magasins de commerce commencent aussi à s’établir. La plupart de ces petites industries deviennent des affaires importantes. C’est l’émergence de la classe moyenne, en d’autres termes de la bourgeoisie. Pour accompagner la croissance de toutes ces entreprises et soutenir le financement de l’économie du pays, outre la Banque du Congo Belge créée en 1909, d’autres banques installent leurs succursales. C’est le cas de la Banque de Bruxelles, de la Banco-National Ultramarina, et de la Standard Bank of South Afrika. Plus tard, d’autres institutions financières et établissements bancaires vont s’établir dans la colonie. C’est le cas de la création en 1947 de la Société du Crédit au Colonat, aux classes Moyennes et a l’Industrie qui a contribué à l’éclosion des PME et PMI.

La désindustrialisation

Après l’indépendance du pays, les troubles et les sécessions se traduisent par l’évacuation des Européens propriétaires de la plupart des entreprises et par des destructions. Cette décolonisation bâclée a des répercussions négatives sur l’investissement, les commerces, les industries et l’emploi. Après la période de troubles qui va de 1960 à 1964, un régime stable est mis en place en 1965. Malheureusement, des décisions économiques eurent des effets néfastes sur les entreprises. Il s’agit notamment des mesures de zaïrianisation de 1973 et de radicalisation (nationalisation) de 1974. Celles-ci ont entraîné une dislocation des circuits de distribution des produits manufacturiers à l’intérieur du pays et la perte des stocks. Il s’en suivit une chute des investissements industriels et une détérioration des relations entre le secteur privé et le gouvernement.

A la suite de l’échec de ces politiques, les pouvoirs publics décidèrent, une année après, de rendre aux anciens propriétaires jusqu’à 60% de leur participation au capital des entreprises. Ce programme de rétrocession ne parvint toutefois pas à rétablir la confiance des milieux d’affaires. Les incertitudes créées par la zaïrianisation/rétrocession continuent à ce jour à propager des effets négatifs sur la crédibilité du pays. Cette défiance fut renforcée par les pillages des industries et commerces de 1991 et 1993 à la suite de la mutinerie des forces armées. Depuis, nous assistons à la mort lente et à la fermeture des industries nationales. C’est le cas des secteurs du textile, de l’alimentaire, de l’agro-industrie, de la construction, des industries chimiques. Cette situation est aussi imputable à la concurrence des produits d’importation.

Aujourd’hui, il est plus lucratif d’importer les produits que de les fabriquer sur place. Ils coûtent moins cher et sont souvent mieux conditionnés. Les marchandises qui envahissent les magasins et les marchés proviennent pour la plupart d’Europe, de Dubaï, de Chine, d’Afrique du Sud et même du Nigeria. En conséquence, les usines ferment les unes après les autres. Ne faudrait-il pas protéger l’industrie nationale en mettant en place des barrières douanières et tarifaires plus élevées? Il serait plus judicieux de rendre l’industrie nationale compétitive. Elle doit parvenir à présenter des produits de bonne qualité à des coûts moindres. Il faut éviter d’établir une structure tarifaire rien que pour assurer la survie des industries peu compétitives.

La relance des industries

Le développement économique est impossible sans industrie nationale. Le Plan directeur d’industrialisation est louable. Il peut être considéré comme une feuille de route. Il n’est pas une panacée. Signalons d’ores et déjà qu’il sera difficile de mobiliser 58,3 milliards de dollars auprès des bailleurs de fonds pour financer le Plan directeur d’industrialisation. Par ailleurs, ces infrastructures sont actuellement gérées par des entreprises publiques en faillite, qui n’ont pas pu assurer leur maintenance. Il faut d’abord les restructurer.

Pour une relance effective des industries, le pays doit disposer de véritables capitaines d’industries et de grands entrepreneurs schumpétériens. Il en est de même d’un système bancaire adéquat et d’un bon climat des affaires. Avec une population qui va bientôt avoisiner les cent millions d’habitants, le Congo peut devenir un marché de consommation important. Malheureusement, la majeure partie de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, soit avec moins de deux dollars américains par jour. La paupérisation de la population pousse évidemment celle-ci à consommer en fonction de ses revenus qui sont très bas. La seule offre qui peut rencontrer une telle demande peu solvable porte essentiellement sur des articles de contrefaçon, de seconde main ou de basse qualité. C’est ainsi que des articles de contrefaçon (produits pharmaceutiques et électroniques, montres, cosmétiques, maroquinerie etc.) encombrent les étalages de la plupart des magasins et des boutiques.

Il en est de même des articles de seconde main: camions, voitures, vêtements, matelas, chaussures, sacs à main etc. Les biens d’importation concurrencent directement l’industrie des chaussures, les laboratoires pharmaceutiques, l’industrie textile etc., et même les artisans tailleurs dont le métier disparaît progressivement. Mise à part l’absence d’une demande nationale suite à la baisse du pouvoir d’achat, l’industrie nationale a toujours été incapable de fournir des biens sur les marchés qui répondent aux normes internationales et qui sont compétitifs. Il sera donc difficile d’utiliser les opportunités qu’offrent la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF) et l’AGOA (Loi sur la croissance et les opportunités économiques en Afrique).

C’est qu’il faut aussi pour sauver l’industrie nationale est un bon climat des affaires. Il faut mettre en place une politique qui amène les industries à minimiser les coûts de production. La politique à poursuivre doit consister à encourager les industries locales à faire face à la concurrence étrangère, au lieu de les protéger tout simplement. Les entreprises à encourager sont évidemment celles qui disposent d’un avantage comparatif c’est-à-dire celles qui sont efficientes, celles qui peuvent présenter sur les marchés des produits de grande qualité et à des coûts avoisinants ceux du marché international. Les ressources nationales devraient être canalisées vers ces entreprises efficientes qui se verraient dotées d’un système souple de tarification ainsi que de réglementation de crédit et de change.

Le modèle asiatique

Si les pays d’Asie ont réussi en 25 ans un développement économique centré sur le commerce international, c’est à cause du sens des affaires, de l’assiduité au travail et de l’adresse manuelle de leurs habitants. Ces pays ont institué des régimes de quasi-libre échange à l’exportation. Ils ont mis en place des politiques qui permettent aux exportateurs d’acheter au cours mondial non seulement les intrants importés mais aussi les facteurs de production intérieure. Cette politique de libéralisation et de protection réduite des industries a été profitable à l’économie en contribuant à réduire les frais administratifs et les retards dus à la bureaucratie. Le marché du travail étant relativement libre, il a été à peine influencé par les syndicats et la législation du travail. En conséquence, les investissements étrangers, surtout américains, ont été attirés par le secteur des exportations qui est gros consommateur de main-d’œuvre. Ces investissements directs ont été attirés non seulement par des bas salaires et par un climat politique sain, mais aussi par l’esprit industrieux de ces peuples. Cela se traduit par des hauts niveaux de productivité et des bas niveaux de coûts horaires du travail.

Il faut ajouter à cela le rôle non négligeable joué dans la croissance par les interventions sélectives de l’Etat, par des taux élevés d’épargne et d’investissements intérieurs ainsi que par l’importance accordée à l’éducation et à la formation de la population active, la souplesse des marchés du travail et l’accès aux techniques de production importées. En définitive, le secret de la réussite des pays d’Asie est basé sur la qualité humaine c’est-à-dire sur une main d’œuvre bien formée et sur l’existence d’un Etat de droit.

 

Gaston Mutamba Lukusa

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