L’homosexualité, l’Occident et l’Afrique

Wina Lokondo

L’homosexualité fait davantage débat en Afrique, plus qu’ailleurs. La déclaration du pape François, qui invite à la bienveillance à l’endroit des homosexuels et à les bénir, a mis vent debout des milliers d’Africains, notamment catholiques, contre cette invite à la mansuétude à l’égard de ceux qui vivent de façon différente.

Je m’oblige à aborder ce sujet, à haute voix, sans détour de langage. Je décline dans les lignes qui suivent mon opinion sur cette question qui fait entremêler hypocrisies et affirmations douteuses, hérétiques mêmes, des uns et inquiétantes intolérances des autres. Je ne me suis pas embarrassé de ce que telle personne ou telle coterie philosophique pourra penser de mes propos.

Je dis tout de suite ici à ceux qui souhaiteraient le savoir: je suis chrétien catholique et père biologique de cinq enfants. Je ne suis pas homosexuel et je ne tiens pas à le devenir. Je suis tout simplement un démocrate, libéral, libre-exaministe attentif aux questions de droits de l’homme.

Il est communément raconté que l’homosexualité est une pratique sexuelle venue d’Occident, comme la démocratie et bien d’autres valeurs introduites dans nos sociétés par les colons et qui font partie, n’en déplaise à certains, des réalités ancrées dans nos différents milieux et dans nos esprits. Parviendrons-nous à nous en départir?

Les contemporains ont toujours enjolivé, glorifié le passé de leurs sociétés respectives. Parler de hauts faits de preux ancêtres ou de telles pratiques coutumières « positives » titille l’orgueil de chaque pays. À lire et à écouter certains Africains, leur continent fut un paradis avant l’arrivée des Européens, habité par des femmes et des hommes tous vertueux et…pacifiques, régis par des traditions, à y croire, toutes bonnes. Les antivaleurs n’y ont pas existé. Jusqu’à ce que les « dépravés » Blancs y apportent des valeurs et des principes « incompatibles », dit-on, avec les sociétés africaines (élection au suffrage universel, liberté, droit d’être différent et de penser différemment, monogamie et aussi, prétendument, homosexualité) dont il faut se débarrasser, quête d’identité, « d’authenticité » obligeant.

Des affirmations hérétiques, ai-je dit, sont de plus en plus répandues. Il en est une que toute personne raisonnable ne doit sans complaisance pas accepter: celle qui assène que l’homosexualité n’a pas existé dans nos sociétés depuis la création du monde, que deux humains noirs de même sexe ne se sont jamais attirés, « câlinés ». Interrogeons-nous: nos aïeux hétérosexuels faisaient-ils l’amour, sans pudeur, au vu et au su de tous? Ne s’isolaient-ils pas? Les homosexuels, imaginons qu’il en ait existé, ne se cachaient-ils pas, eux non plus, pour s’envoyer en l’air? Aurait-il existé dans nos villages, de tout temps, une police des mœurs qui écumait les forêts afin d’y prendre en flagrance deux immoraux déviants de même sexe en train de se faire plaisir et qu’elle ne les a pas vus, aucun jour? L’homme noir aurait-il été créé biologiquement différent de l’homme blanc, avec des dispositions libidinales différentes? Peut-on sérieusement dire, sans une petite odeur de racisme, que la pédérastie est une pratique sexuelle propre aux « immoraux » Occidentaux et, donc, inconnue dans nos sociétés?

L’homosexualité est certes, de notre point de vue – le nôtre, nous, hétérosexuels et dévots -, une relation amoureuse contre-nature. Tous les livres saints la condamnent. Mais que fait-on de ceux qui la pratiquent, ceux dont le mode vie sexuelle n’est pas le nôtre, qui ne nous plaît pas? La solution – « finale »? – serait-elle, afin de « purifier » nos sociétés de cette pratique impie, de les tuer tous, quitte à enfreindre la loi civile qui prohibe la violence sur autrui et à contredire Dieu qui interdit la mise à mort de l’être humain – « Tu ne tueras pas » -, pouvoir, prérogative qu’il se réserve jalousement. Faudra-t-il, à défaut de les éliminer physiquement, les emprisonner, les parquer dans des camps de concentration, les jeter dans les oubliettes? Que devons-nous finalement faire d’eux, quels comportements, quelles attitudes, nous croyants chrétiens ou musulmans, nous qui nous prévalons d’une « sainteté » morale, devons-nous adopter vis-à-vis d’eux? Que ferait chacun de nous de notre enfant biologique qui prendrait une orientation sexuelle différente de la nôtre? Ce questionnement – que les religieux, les politiques et les intellectuels africains refusent, par hypocrisie ou par couardise, de mettre sur la place publique dans le continent, se fait en Occident depuis des décennies.

Contrairement à une idée répandue, l’Occident ne fait pas la promotion de l’homosexualité. Il fait plutôt la promotion de la la TOLÉRANCE et de la LIBERTÉ, deux de ses valeurs suprêmes. Il tient à ses principes qu’il n’est pas disposé à négocier, à relativiser et qu’il défend: le rejet de la violence injustifiée, le droit de chacun d’être différent, de penser et d’agir de façon différente, le droit de mener sa vie comme on l’entend sans attenter à la liberté, à la vie d’autrui. Quel droit un hétérosexuel américain, belge, canadien, français, espagnol ou allemand a-t-il d’interdire à une personne homosexuelle qui ne lui cause aucun tort, qui ne porte pas atteinte à son intégrité physique ni à la pudeur et à l’ordre publics, de vivre paisiblement sa vie intime, dans sa maison, dans sa chambre? Implorer Dieu, prier pour notre semblable qui emprunte une mauvaise voie n’est-il pas la seule chose qu’un croyant puisse faire? N’est-ce pas cela la vocation du chrétien que le pape François a voulu nous rappeler?

J’ai vécu en Belgique tout le temps où Elio Di Rupo, docteur en sciences et homosexuel, fut premier ministre. Le pays ne s’est pas pour autant écroulé, ni politiquement ni économiquement ni scientifiquement. Le ciel n’était pas non plus tombé sur la tête d’aucun Français du fait que l’intellectuel Bertrand Delanoë fut homosexuel et maire de Paris. Sa vie privée ne fit pas disparaître la capitale française de la carte de la Terre. L’actuel jeune premier ministre français et brillant esprit, Gabriel Attal, est aussi un gay, comme des milliers d’autres Français de différents milieux, couches sociales et secteurs d’activités.

Les homosexuels, on en voit également, et de plus en plus, en RD Congo – qui se donnent davantage une visibilité, qui ne font plus mystère de leur orientation sexuelle -, dans nos quartiers et différents milieux professionnels, particulièrement dans le monde de la beauté (maisons de tresses, de manucure et de pédicure) où leur doigté est généralement vanté par leurs clientes hétérosexuelles. L’homosexualité existe depuis que le monde est monde. Le reconnaître ne signifie pas l’accepter ou l’encourager. La preuve est que la Bible en parle, mais la réprouve, la tient pour une abomination.

Les homosexuels seraient-ils un danger pour chacun d’entre nous? Nous nuisent-ils plus que ces gestionnaires publics (ministres, gouverneurs, directeurs généraux comptables,…) qui détournent des millions de dollars qui devaient servir à améliorer notre quotidien, à arranger les routes, à améliorer la desserte en eau potable et en électricité? Plus que ceux qui détournent nos salaires et nos primes professionnelles et qui nous empêchent de vivre décemment? Nous violentent-ils comme nos tyrans, nos policiers et militaires qui nous rançonnent à tous les coins de rues et qui souvent nous tuent pour un oui ou pour un non? Nous emmerdent-ils comme ces sauvageons (« kuluna ») qui font la loi dans nos quartiers, qui nous pompent l’air, qui nous prennent, à notre moindre inattention, nos téléphones, perruques bijoux et sacs?

Le mariage des personnes de mêmes sexes est interdit en RD Congo. Ce verrou légal, que nul ne suggère à ce jour de faire sauter, devrait tranquilliser ceux qui refusent de les imaginer en cérémonie devant un officier d’état civil. Ont-ils d’autres exigences raisonnables qui puissent empêcher les homosexuels « d’essaimer » dans la société? Ces derniers (qui, d’après les spécialistes de comportements, le sont de naissance ou le deviennent suite à une influence de l’environnement social) sont-ils tous des malades mentaux? Y a-t-il un pays qui soit parvenu à éradiquer – sans une violence extrême – la pédérastie? Devons-nous consacrer nos précieux temps à des débats publics, à nous préoccuper de secrets d’alcôve, de ce que les gens font entre quatre murs quand on a de nombreux problèmes importants dans le pays qui requièrent nos intelligences et nos énergies pour les résoudre?

Wina Lokondo

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