Lutte contre la corruption: comment la rendre plus efficace?

Dans un papier précédant nous avons tenté d’identifier les nombreux acteurs et les résultats obtenus à ce jour. Voyons comment il serait possible d’améliorer l’efficacité.

Rappelons d’abord ce que couvre actuellement le vocable corruption. On a cru longtemps et beaucoup de personnes pensent encore que la corruption c’est une « magouille » qui consiste à payer une personne de l’administration pour obtenir quelque chose: un marché, un paiement, une nomination ou simplement un service ou un document officiel. Selon la terminologie admise par les instances internationales et qui a valeur juridique, la corruption est définie comme « le fait d’utiliser sa position de responsable d’un service public à son bénéfice personnel ». Elle couvre: la corruption d’agents publics nationaux et étrangers, la corruption dans le secteur privé, le trafic d’influence, l’extorsion, l’appropriation et autre diversion de la propriété, l’abus de fonctions, l’obstruction à la justice, l’extorsion, le favoritisme, le népotisme et… la fraude et plus précisément la falsification de données (comme les données électorales).

Pour nous les congolais, on dirait une liste des pratiques les plus courantes de nos dirigeants et politiciens. Les cas les plus récents et les plus extraordinaires étant les fraudes électorales et la reconnaissance par les membres d’une des plus hautes instances judiciaires (cour constitutionnelle) de leur propre corruption.

Comment améliorer l’efficacité de la lutte contre la corruption?

  • Nous les congolais

En tant qu’individus, nous congolais devons être conscients du fait que nous devons être – ou devenir – les premiers acteurs de cette lutte car il s’agit de l’avenir de notre pays et de nos enfants. Nous pouvons collaborer avec des organisations internationales et essayer de les influencer mais surtout ne pas croire qu’elles vont apporter toutes les solutions. Elles ont des ressources, peuvent exercer des pressions mais le plus souvent ont des agendas, des objectifs et des mandats loin des intérêts de la population. Celle-ci n’est en général considérée que sous forme de « statistiques ».

Nous sommes nombreux à connaitre les cas flagrants de grande corruption, de marchés truqués, de nominations irrégulières, de détournements, de paiements sans justification etc. Nous détenons des informations, des documents et autres preuves des crimes de nos cols blancs. Nous détenons les armes d’une force de frappe redoutable. Nous devons être prêts à nous en servir. Alors faites fonctionner les photocopieuses, conservez les documents probants, constituez des dossiers. Les récentes « fuites de documents » concernant les marchés passés par la présidence sont un bel exemple d’action civique. Ces fuites ont permis la dénonciation du caractère illégal de ces marchés auprès de l’autorité de régulation des marchés publics.

La presse pourrait également jouer un rôle civique plus important. Elle pourrait développer un journalisme d’investigation qui pourrait obtenir l’appui de certaines organisations internationales. Elle pourrait également promouvoir la dénonciation documentée de cas de corruption par la population et nos organisations de la société civile.

Jusqu’à présent nos organisations de la société civile actives dans les domaines des droits de l’homme, de la corruption et la bonne gouvernance sont restées dans l’incantatoire avec des résultats faibles. Les choses évoluent cependant dans le bon sens: une de ces organisations appelée le GREM (Groupe de réflexion et d’échanges sur les marchés a dénoncé officiellement les marchés de la présidence mentionnées ci-dessus auprès de l’autorité de régulation des marchés publics. On n’est plus dans l’incantatoire! Que les LICOCO, ACAJ, ODEP etc. qui font déjà un excellent travail puissent suivre l’exemple du GREM.

  • Les « internationaux »

Tous prônent la « bonne gouvernance », le respect des droits de l’homme, l’état de droit et la lutte contre la corruption. Si certaines institutions nationales, notamment aux Etats Unis et en Europe ont eu des résultats positifs dans la lutte contre la corruption il n’en est pas de même des organisations comme le FMI et la BM qui sont considérés par certains comme complices de la corruption en RDC.

La convention des Nations unies contre la corruption est un grand pas en avant et contient un arsenal juridique important, malheureusement encore peu utilisé en partie à cause de son caractère relativement récent. En RDC le développement de la corruption s’explique en grande partie par la politique ambiguë et hypocrite poursuivie par la CI. Dans une interview publiée par Congo Research Group fin juillet 2017 (Jason Stearns et Eric Tshikuma, rédacteur en chef de Zoom Eco www.zoom-eco.net,) Jason Stearns évoque un pacte tacite entre bailleurs de fonds et élites congolaises – conclu après les accords de Sun City- au terme duquel la priorité est donnée à la réconciliation et le partage du pouvoir au détriment de la recevabilité et la justice.

L’existence de ce pacte entre « élites » est manifeste et se traduit notamment par l’absence totale de poursuites pour malversations financières. Le pacte avec les bailleurs de fonds quant à lui est plus discret. Il s’est traduit depuis 2003, par le feu vert donné aux malversations et à la participation active à l’organisation de l’opacité entourant ces malversations. A plusieurs reprises, depuis la reprise de ses activités en RDC au début des années 2.000, des cadres de la BM ont accepté des irrégularités flagrantes dans la gestion de ses financements et de celle des finances publiques qu’en tant que banquier et conseiller ils suivent de près. Au-delà de la simple acceptation de pratiques que par ailleurs ils vilipendent constamment dans leur rôle de champions de la bonne gouvernance, ils ont joué à plusieurs reprises un rôle actif dans l’organisation de l’opacité entourant ces pratiques mafieuses. Cette complaisance qui en droit pourrait être assimilée à de la complicité a été un facteur d’accélération de la corruption généralisées.

Voici quelques exemples:

Gestion des financements de la BM

Suite à de nombreuses plaintes concernant des malversations dans la gestion de plusieurs projets financés par la BM une mission d’investigateurs du département d’intégrité institutionnelle (INT) s’est déroulée en RDC début 2006. La principale institution visée, gérant un portefeuille de plus d’un milliard de USD était le BCECO. L’investigation portait également sur le projet CONADER et le Fonds Social. Initialement prévue pour deux semaines, devant l’étendue et la gravité des malversations, la mission, débutée le 17 février a dû être prolongée au 23 mars 2006.

L’investigation a démontré une anthologie de malversations, couvertes et dans certains cas encouragées par les cadres et consultants de la BM. Bien que tenu au secret total (seul un nombre limité d’une e version édulcorée a été distribuée) certains cadres de la BM, outrés par cette fraude qui est un cas flagrant de corruption, ont permis d’en savoir plus sur le contenu du « vrai rapport » et sur les réactions aux USA notamment la commission d’enquête Volcker, l’initiative de l’ONG GAP et une commission parlementaire.

Voici quelques éléments de ce dossier sulfureux:

1. Organisation des détournements: une organisation minutieuse facilitant les malversations a été mise en place dès le commencement des financements.

a) Neutralisation des contrôles les plus efficaces.

Dès la création du BCECO, des experts étrangers ont été mis en place pour apporter une assistance technique, pour assurer un contrôle de l’utilisation des fonds et pour fournir une protection contre les pressions externes. Ces contrôles ont été éliminés comme suit.

  • Un premier expert, Mr. Michel Blanchet de nationalité canadienne fut recruté en 2001. Il fut rapidement en désaccord avec les dirigeants du BCECO. Apres avoir été menacé physiquement il a quitté le pays précipitamment en 2002.
  • Ensuite, en 2003, dans le cadre du PMURR, une équipe de trois experts a été mise en place. Cette équipe avait une mission d’assistance technique et de contrôle. Le Comité de Pilotage, dirigé par Matata, a refusé que les fonctions d’ordonnateur/contrôleur soient exécutées. La BM a accepté.

b) Licenciement et intimidation de certains cadres congolais.

  • Le premier Directeur Technique du BCECO, Mr. R. Mfiti, ayant mis en question certains marchés et notamment celui de la désormais fameuse « Avenue de l’Université » a été licencié d’une manière abusive sur instruction du Président du Comite de Pilotage.
  • Le recrutement d’un auditeur interne a été retardé autant que possible. Mr. Claude Nzau, a finalement été engagé en 2004. Il a été mis immédiatement sous pression par le refus du DG de signer son contrat. – Le Directeur Technique actuel, est intérimaire depuis 3 ans et de ce fait est d’une docilité exemplaire.

c) Désignation irrégulière du DG Matata

  • Non-conformité du diplôme et de l’expérience requise.
  • Délais de publication de l’appel à candidatures non respecté.
  • Conflit d’intérêt manifeste du fait que Matata, Président du Comité de Pilotage du BCECO qui est habituellement le président du jury de recrutement des cadres du BCECO est devenu subitement lui-même candidat.

2. Fraudes et malversations

Désinformation et dissimulation d’informations négatives, falsification de rapports. Le rapport de préparation de la revue à mi-parcours du PMURR a été préparé en 2005, par une équipe de consultants indépendants et a été modifié frauduleusement notamment la critique du système comptable qui permet des modifications d’écritures et de situations financières en cours d’année, sans laisser de traces.

a) Marchés irréguliers pour des centaines de millions de $US, travaux non terminés etc.

b) Utilisation des fonds BM pour usage privé du DG

c) Utilisation irrégulière de consultants complaisants se faisant dans des paradis fiscaux.

d) Cas flagrants de népotisme dans la gestion du personnel

Les principaux résultats de l’enquête, dirigée par José Ugaz, (devenu par la suite président de Transparency international) ont été gardés secrets, même vis-à-vis de la communauté des bailleurs, des chancelleries et de l’opinion nationale et internationale. Le contenu de ce rapport devait être particulièrement dommageable pour la BM et sa dissimulation a peut-être été approuvée par le gouvernement US car malgré diverses pressions le rapport a été tenu secret. En effet, un panel d’investigation indépendant, dirigé par Paul Volcker (ex président du Federal Reserve Board des USA), pour examiner les activités du département d’intégrité institutionnelle de la BM, a stigmatisé la politique d’information concernant les enquêtes. (voir site internet www.bicusa.org).

Par ailleurs, une enquête menée par l’ONG GAP (Government Accountability Project – voir site www.whistleblower.org) à la demande de l’association des cadres de la BM, a fait des constats analogues et s’inquiète particulièrement de l’opacité entourant l’enquête menée en RDC au mois de mars 2006 auprès des agences d’exécution des projets de la BM en RDC et l’utilisation dans l’opacité complète des résultats de cette enquête.

Le congrès des Etats-Unis de son côté s’est inquiété du manque d’efficacité des opérations de la Banque, de son laxisme à l’égard des comportements de certains de ses clients et de l’utilisation abusive de consultants internationaux. Une commission d’enquête dirigée par le Sénateur Bayh (sénateur de l’état d’Indiana – www.bayh.senate.gov) avait à l’époque été mise en place (dépêche Reuters du 14 septembre 2007). A noter que cette opacité n’a pas semblé inquiéter les autres bailleurs de fonds.

Audit des marchés publics

En 2015, le cabinet international Grant Thorton réalise un audit des marchés publics (y compris ceux financés par les bailleurs de fonds). Le rapport de cet audit indique que la quasi-totalité des marchés publics conclus pendant la période sous examen n’ont pas respecté le processus de passation et d’exécution des marchés publics en RDC. Parmi les institutions qui ont « gravement violé les dispositions réglementaires et institutionnelles », le rapport cite le Bureau central de coordination (BCECO), et la cellule des infrastructures, toutes deux bénéficiaires de financements importants des bailleurs de fonds. Une institution épinglée spécialement est la Primature, dirigée par le PM Matata, pour avoir refusé de remettre ses dossiers de passation des marchés. Ce refus résulte probablement du fait que la plupart de marchés de la Primature sont conclus de gré à gré.

Aucune réaction des bailleurs de fonds

Gestion des fonds PPTE (Pays Pauvres Très Endettés):

En juillet 2003, la RDC a atteint le point de décision de l’initiative PPTE – avec un allègement total de la dette estimée à 6,3 milliards de $US. Les Conseils d’Administration de la Banque et du FMI s’étaient mis d’accord sur un point d’achèvement conditionné notamment par une utilisation efficiente de l’épargne budgétaire résultant de l’allègement de la dette pour des programmes liés à la pauvreté, cette bonne utilisation étant démontrée par un audit. Un audit des dépenses sur ressources PPTE, réalisé par la firme Cauditec en partenariat avec un bureau international a conclu que la quasi-totalité des fonds PPTE ont servi à d’autres dépenses que les dépenses sociales. De plus la majorité des dépenses n’ont pas respecté les règles en vigueur. Rappelons qu’il s’agit de centaines de millions de $US. Le même audit est cité par le rapport PEFA publié en 2008. (page 216) comme suit: « L’audit relatif aux dépenses sur ressources PPTE a constaté sur un échantillon de dossiers que plus de la moitié des marchés publics étaient non conformes » (Audit des Dépenses sur ressources PPTE – Exercices 2003 à 2005 – CAUDITEC juin 2007). Malgré cet audit très négatif les bailleurs n’en ont pas tenu compte et n’ont même pas cité l’audit dans leurs rapports pour le point d’achèvement.

Au contraire, la BM dans plusieurs de ses rapports se félicite de la bonne gouvernance en RDC. Ainsi le rapport BM « Report No. 66158-ZR » du 12 avril 2013 indique: « Suite aux progrès accomplis dans la mise en œuvre de politiques économiques saines et de réformes structurelles soutenues par la Banque et le FMI au cours de la précédente CAS, la RDC a atteint le point d’achèvement de l’Initiative PPTE et en juillet 2010, une annulation de sa dette de 12,3 milliards USD » (le plus important de son histoire ).

Opacité organisée autour du rapport PEFA réalisé en 2011

Le PEFA (Public Expenditure and Financial Accountability – Dépenses publiques et responsabilité financière) est un programme de partenariat initié en décembre 2001 par la Commission européenne, la Banque Mondiale, le FMI, et d’autres bailleurs de fonds dont la France, la Grande Bretagne, la Suisse et la Norvège. L’initiative PEFA réalise tous les quatre ans, dans divers pays, un diagnostic externe – suivi de recommandations – sur la gestion des finances publiques, afin de mesurer l’évolution de la performance des systèmes de finances publiques. Le diagnostic réalisé en 2007, très détaillé et mettant en évidences une multitude d’irrégularités, a été publié sur le site de l’UE et sur www.pefa.org. Celui réalisé en 2011, censé être publié en 2012 n’a pas été publié et gardé secret à la demande du ministre des finances Matata. Ensuite l’étude PEFA est passée aux oubliettes sans réaction des bailleurs de fonds.

CONCLUSIONS

Compte tenu des constats faits ci-dessus, de l’agenda et du fameux « mandat » des organisations financières on ne peut pas en attendre grand-chose en matière de lutte contre la corruption. Il s’agit essentiellement de banquiers qui ne sont pas les parangons de principes moraux ni de la défense des populations, malgré leur campagne de champions de « la lutte contre la pauvreté ». Le FMI, malgré sa participation à la réduction contestable de la dette de la RDC, a participé à la lutte contre la corruption en suspendant ses opérations en RDC depuis 2012, suite à l’opacité de certaines opérations minières. La BM et la BAD, banquiers impénitents ont soutenu activement le scandaleux projet Bukanga Lonzo qui a couté plus de 200 millions au pays. Comme le souligne Phil Mason dans un article intitulé: « Reflections of an anti-corruption fighter » le maximum qu’on peut attendre d’eux c’est qu’ils fassent moins de tort que du bien.

Par contre, certaines institutions nationales, notamment aux Etats Unis et en Europe ont eu des résultats positifs dans la lutte contre la corruption. Etant des actionnaires importants de ces institutions financières on peut espérer qu’ils apportent les changements nécessaires en termes de mandat et de comportement des cadres carriéristes.

Nous congolais qui voulons œuvrer pour l’émergence d’un état de droit, dénonçons les criminels, constituons des dossiers en vue de poursuites. Poussons nos organisations de la société civile à entamer de poursuites contre les criminels. Participons aux sit in et autres manifestations pacifiques. Encourageons les organisations religieuses à prêcher la lutte contre la corruption. Faisons pression sur les criminels, on connait leurs résidences et leurs adresses e mail. Ne les laissons pas profiter en toute quiétude du profit de leurs forfaitures.

Comptons d’abord sur nous-même, cessons l’incantatoire et agissons.

Pour finir, la phrase d’introduction des mémoires d’un lutteur contre la corruption (Phil Mason) peut nous encourager: « Dans la confrontation entre le ruisseau et le roc, le ruisseau gagne toujours – pas par la force mais par la persévérance ».

 

Par Jean-Marie Lelo Diakese

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