Patrick Yogo: « L’alternance n’a pas eu lieu au Congo-Kinshasa »

Fils d’un ancien haut fonctionnaire dont la carrière l’a emmené, sous le régime de Mobutu Ses Seko, à vivre dans plusieurs coins de la République, Patrick Yogo, 45 ans, travaille dans l’entreprise belge « Solvay ». Celle-ci est spécialisée en matière chimique. Après avoir étudié les sciences po et le droit, il a commencé sa vie professionnelle au sein des multinationales Shell et Total. Yogo se dit stupéfait par l’accaparement de la quasi-totalité des institutions nationales et provinciales par l’ancienne oligarchie kabiliste. A l’instar d’autres Congolais de la diaspora, l’homme reste attentif à l’évolution de la situation tant économique que socio-politique du pays qui l’a vu naître. Il invite les Congolais à combattre l’autoritarisme et la confiscation des richesses nationales. Une parenthèse. On apprenait samedi 18 mai, dans la soirée, que le nom du nouveau Premier ministre congolais sera connu la semaine prochaine. C’est à voir! Fermons la parenthèse. ENTRETIEN.

Au cours de l’entretien avec Congo Indépendant, Yogo n’est pas allé par quatre chemins en estimant qu’en dépit des élections du 30 décembre 2018, l’Etat congolais « n’est pas sortie de la crise de légitimité ». Une crise qui a commencé, selon lui, dès le lendemain du report des consultations électorales prévues initialement en septembre 2016.

Il n’est pas allé non plus par quatre chemins en clamant haut et fort que « l’alternance n’a pas eu lieu ». Et d’ironiser que le chimiste Lavoisier aurait dit: « Rien ne se créer, tout se transforme ». A l’appui de sa thèse, il cite la mainmise de l’ancienne majorité pro-kabiliste sur le Parlement, les assemblées et les exécutifs provinciaux. « Demain ce sera le tour du gouvernement central », a-t-il souligné.

Yogo qui est, par ailleurs, juriste de formation, considère qu’en ne publiant pas les résultats électoraux de chaque bureau de vote – conformément au prescrit de la loi électorale -, le président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) s’est abstenu d’accomplir un acte qui rentre dans le cadre de ses fonctions. « En droit, ce comportement est qualifié d’ ‘abstention coupable’ qui est réprimée par la privation de liberté et une amende », précise-t-il.

« BUREAU NATIONAL D’INVESTIGATION »

Notre interlocuteur estime, cependant, que le « décor est planté » avec la proclamation de Felix-Antoine Tshisekedi Tshilombo en qualité de Président élu. Tout en conseillant à Martin Fayulu de poursuivre son « combat pour la vérité des urnes » – afin de contraindre la CENI à publier les résultats électoraux de chaque bureau de vote -, Yogo exhorte le chef de l’Etat congolais à mettre sur pied un « Bureau national d’investigation », une sorte de FBI (Federal Bureau of Investigation). Mission: mener des enquêtes à charge sur les crimes politiques et économiques commis jusqu’à ce jour.

A l’instar de ses concitoyens, Patrick Yogo note avec un brin d’appréhension le retard qu’accusent la nomination du Premier ministre et la formation du gouvernement. Pour lui, « la preuve est faite qu’il y a un blocage ». « En Belgique, la classe politique dit toujours que tant qu’il n’y a pas d’accord sur tout, il n’y a pas d’accord sur rien », ricane-t-il.

Plus sérieusement, le Bruxellois se dit étonné par ce double retard alors que les protagonistes au « deal FCC-CACH » affichaient une « entente cordiale » après la proclamation des résultats provisoires des élections par la CENI.

Que pense-t-il de l’action de Felix Tshisekedi au cours de ses 100 premiers jours à la tête de l’Etat? « La grande majorité de la famille se trouve à Kinshasa. D’autres membres de la famille vivent dans l’arrière-pays. Les mêmes problèmes insolubles sont là: frais scolaires difficiles à trouver, adduction d’eau, électricité ».

COMBATTRE L’AUTORITARISME

Pour la petite histoire, la famille Yogo habite dans la commune kinoise de Limete. « La famille Tshisekedi qui vit dans cette même commune sait de quoi je parle », fait-il remarquer.

Pour Patrick Yogo, le fait que Martin Fayulu continue à revendiquer la victoire à l’élection présidentielle démontre que le Congo-Kinshasa « n’est jamais sorti de la crise de légitimité ». Et de souligner que la légitimité est en crise depuis le mois de septembre 2016, période initialement indiquée pour la convocation de ces scrutins.

Lors de l’entretien, Yogo arborait l’insigne du défunt parti-Etat MPR (Mouvement populaire de la révolution) sur le revers de son veston. Nostalgie mobutiste? Il répond: « C’est un raccourci de parler de nostalgie. Quelque part, la nostalgie nous fait du bien. Elle nous permet de nous remémorer ce qui était bien avant ».

S’il avait eu le président Tshisekedi en face de lui, « Patrick » lui aurait proposé la création d’un « Bureau national d’investigation » pour « enquêter à charge sur les crimes politiques et économiques ». Et à Fayulu? « Je dirais à Martin Fayulu que son combat est tout à fait légitime. Les élections ont eu lieu. Le décor est planté. Il faut mettre en place une stratégie pour éviter le pire. Il s’agit de combattre l’autoritarisme qui est en passe de resurgir ». Des plus amples détails dans la vidéo.

B.A.W.

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