Que reste-t-il de la séparation des pouvoirs?

Deux cent magistrats congolais s’attendent à être « révoqués ou poursuivis » dans les jours ou semaines à venir. L’annonce a été faite le lundi 20 mars par le… ministre de la Justice, Alexis Thambwe Mwamba. Celui-ci avait à ses côtés le président de la Cour Constitutionnelle, Benoît Lwamba Bindu, qui est de droit le président du Conseil supérieur de la magistrature. Les deux hommes passent, à tort ou à raison, pour des « kabilistes » purs et durs.

Se fondant sur les conclusions du rapport rédigé par une « commission de contrôle des dossiers de magistrats », le ministre Thambwe assure que ces messieurs et dames auraient été recrutés dans la magistrature sur la base de faux titres académiques.

En bon Zaïro-Congolais, le ministre de la Justice s’est s’attaqué aux effets en promettant des « bosses et des plaies » aux présumés faussaires. Il est resté, en revanche, muet sur les causes de cette situation. Quelle est l’autorité qui était chargée du recrutement? A qui revenait la responsabilité de vérifier l’authenticité des diplômes des postulants? Deux questions qui restent sans réponses.

Plus grave, Alexis Thambwe n’a pas fait publier le contenu dudit rapport. Nul ne sait si la procédure a été contradictoire. On apprend que la primeur de ce document est réservée à « Joseph Kabila » – qui représente avec le gouvernement, le Pouvoir exécutif – alors que les faits décrits (faux et usage de faux) ressortent des autorités judiciaires.

En donnant priorité à « Kabila », l’actuel ministre de la Justice et le président du Conseil supérieur de la magistrature ne cherchent-ils pas à permettre au « raïs » d’extraire de la liste quelques « affidés » et autres « clients » du régime?

Alexis Thambwe Mwamba

Au lendemain de l’assassinat (?) de Mzee Laurent-Désiré Kabila en janvier 2001, la Commission d’enquête – composé des experts angolais, zimbabwéens, namibiens et congolais -, avait remis son rapport non pas au procureur général de la République mais au successeur du défunt Président qui assumait, au moment des faits, les fonctions de chef d’état-major de la Force terrestre. L’assassin présumé appartenait à cette unité…

Selon la presse kinoise du 20 janvier 2003, le président « Joseph Kabila » avait ordonné, de manière discrétionnaire, la remise en liberté de 22 personnes « injustement appréhendées » alors que l’instruction était en cours.

L’idée de la séparation des fonctions exécutives, législatives et judiciaires de l’Etat a été vulgarisée principalement par Montesquieu. Celui-ci avait compris que tout détenteur d’une parcelle de pouvoir est tenté d’en abuser. Il avait compris également que toute concentration de trois Pouvoirs entre les mains d’une seule institution ne pourrait déboucher qu’au despotisme. Un despotisme de nature à détourner le pouvoir du bien commun pour devenir une menace pour les libertés individuelles.

Lors des travaux de la Conférence nationale souveraine (CNS), les participants avaient fustigé l’arbitraire découlant de la concentration des trois Pouvoirs de l’Etat entre les mains d’un seul homme en l’occurrence le président-fondateur du MPR, alors parti-Etat.

Dans le projet de Constitution rédigé par les « conférenciers » en 1992, on sent poindre la volonté de mettre fin à l’absolutisme qui a régné du 25 novembre 1965 au 24 avril 1990. L’article 128 de ce texte mort-né stipule notamment que « dans sa mission de dire le droit, le juge est indépendant, il n’est soumis dans l’exercice de ses fonctions qu’à l’autorité de la loi ».

Dans l’ « Accord global et inclusif sur la transition » adopté le 1er avril 2003 à Sun City par les participants au dialogue inter-congolais, on peut lire dans le préambule: « Les institutions de la transition reposeront sur le principe de la séparation des pouvoirs entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire ».

Le 18 février 2006, « Joseph Kabila » a promulgué la Constitution en vigueur. Celle-ci est l’émanation de l’Accord de Sun City. « Je vous annonce la fin de la récréation », déclarait-il dans son allocution en brandissant, de manière théâtrale, la nouvelle Charte suprême. D’aucuns avaient cru assister à l’inauguration d’un nouvel ordre politique ayant pour piliers la démocratie et l’Etat de droit.

L’article 149 de cette Loi fondamentale ne stipule-t-il pas que « le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif ». L’article 150, lui, est plus loin dans son premier alinéa: « Le pouvoir judiciaire est le garant des libertés individuelles et des droits fondamentaux des citoyens ».

Chargé d’élaborer les propositions de nomination, de promotion et de révocation des magistrats, le Conseil supérieur de la magistrature (article 152) s’est révélé impuissant face à l’omnipotence de « l’institution » Président de la République. Et ce faute d’une autonomie financière pouvant garantir son indépendance.

Question finale: Que reste-t-il de la séparation des pouvoirs au « Congo libéré »? Rien! « Joseph Kabila » n’a pas résisté à la tentation de s’engouffrer dans le vieux costume de dictateur laissé par Mobutu Sese Seko et le Mzee LD Kabila.

On peut gager que le sort des 200 magistrats – véreux? – dépendra, comme sous Mobutu et le Mzee, non pas de la Justice mais de la « magnanimité » du « raïs ». Pire, le successeur de Mzee instrumentalise de manière éhontée l’appareil judiciaire pour régler des comptes à ses contempteurs et adversaires politiques.

Qui a osé dire que le « récréation » était finie?

 

Baudouin Amba Wetshi
© Congoindépendant 2003-2018

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