« Vu l’urgence » ou le sésame de nombreuses dérives.

Criminel à col blanc

Dans sa réponse aux questions des parlementaires, publiée par la Cellule de communication du ministère des Finances, le ministre répond d’abord à la demande de présenter le budget sous forme numérisée. Cependant, Il ne répondra favorablement à cette demande que : « dès que nous serons saisis par le Président de l’Assemblée pour passer à cette dématérialisation… ». 

Pour confirmer la bonne volonté du gouvernement (et sa découverte apparente des possibilités de l’informatique) il ajoute : « une commande des tablettes est en cours de livraison pour l’ensemble de membres du gouvernement, de manière à ce que le travail gouvernemental au sein de différentes commissions puisse être allégé et facilité ». On croit rêver mais c’est la triste réalité. 

Alors que la plupart des pays ont informatisé la présentation de leurs budgets depuis belle lurette (le Burkina Faso depuis 1996 par exemple) le ministre RDCongolais attend la demande du président de l’Assemblée et en attendant a commandé des tablettes pour les ministres. On en rirait si ce n’était tragique. 

Ensuite le ministre tente de justifier les dépassements budgétaires. Tout en reconnaissant « son corollaire de justice distributive » qui « elle également mérite toute notre attention » Ces dépassements seraient dus au caractère imprévisible des « urgences » comme les catastrophes naturelles, la situation sécuritaire, l’état de siège ou encore les besoins de « souveraineté » comme les nombreux voyages du président. Il cite même les urgences « sociales » sans s’attarder sur le fait que les dépassements se font au détriment des secteurs sociaux. 

Il insiste sur la légalité des dépassements justifié par le fameux « vu l’urgence ». Les dépassements de 50 voire 100 ou 200% de la Présidence et du gouvernement ? Légaux, vu l’urgence. Les marchés de gré à gré ? Légaux, vu l’urgence. Le non-respect des procédures de la chaine des dépenses ? Légaux vu l’urgence. 

Pendant ce temps avec des taux de réalisation de moins de 50% des budgets sociaux, des dizaines de milliers de concitoyens meurent prématurément faute de soins ou de nourriture….. Légal vu l’urgence….  

Il faut reconnaitre une certaine franchise du ministre quand il admet implicitement la faiblesse (en réalité l’inexistence) d’une véritable comptabilité de la gestion des finances publiques et des contrôles en déclarant que « nous allons bientôt mettre en place une grande direction générale du compte du Trésor et de la comptabilité publique » et « Tous les corps de contrôles sont en difficulté, je ne parle même pas de dépenses courantes, dépenses de fonctionnement, mais surtout les dépenses d’investissement. » Il tente de rejeter la responsabilité du manque de contrôle des investissements sur le ministère du Plan en déclarant que « …les capacités d’action du ministère du Plan par rapport à cette fonction-là ont été érodées, se sont effritées. »  

En en réalité, s’il est vrai que le contrôle de l’exécution du budget d’investissements incombe au ministère du plan, c’est le ministère des finances qu’il dirige qui n’accorde pas de budget suffisant au ministère du plan pour exercer les contrôles prévus.

Pour les contrôles il n’ y a pas d’urgence. 

Il faut reconnaitre que les quelques mois que compte ce gouvernement sont insuffisants pour mettre en place les réformes requises. Ces réformes sont promises depuis plus de dix ans avec l’adoption par le Gouvernement en 2010 d’une stratégie de la Réforme des Finances Publiques et bénéficient d’un financement de la banque mondiale de 50 millions dans le cadre du « Projet de renforcement de la redevabilité et de la gestion des finances publiques », PROFIT CONGO en sigle , lancé depuis 2015 et toujours en cours.

Plutôt que de tenter de justifier les dépassements budgétaires en occultant les effets délétères sur les budgets sociaux, il serait souhaitable que le ministre éclaire l’opinion sur l’avancement de ce projet qui devrait se terminer cette année et qu’il réponde aux préoccupations exprimées par les évaluations réalisées récemment. par diverses organisations indépendantes et notamment l’ODEP et le PEFA (www.pefa.org). 

Le ministre aurait pu reconnaitre qu’avec des ancien ministres des finances PPRD,  « la vision du chef de l’état » en matière de bonne gouvernance avait peine à se concrétiser, que beaucoup d’irrégularités avaient été commises, que ses prédécesseurs avaient fait peu pour améliorer la gouvernance, ce qui a été confirmé par les evaluations ODEP et PEFA, mais que maintenant tout cela allait changer selon un calendrier réaliste. Malheureusement, parce que la Présidence est impliquée dans les dépassements et par pur esprit partisan il tente de justifier l’injustifiable par des arguties juridiques avec l’aide de son contrôleur en chef qui se permet en plus de traiter ceux qui critiquent la mauvaise gouvernance d’ignorants !

Il est vrai que le ministre s’adresse à une assemblée dans laquelle les contestataires sont minoritaires et qu’il est assuré de leur approbation finale. Il peut donc se permettre de sortir des incongruités comme la commande de tablettes pour les membres du gouvernement comme preuve de sa volonté de mener de sérieuses réformes. 

Outre les udépésiens, qui sont plutôt bénéficiaires des « dépassements » il peut compter sur la passivité de la majorité des « intellectuels » qu’ils soient en RDC ou à l’étranger. Rares sont ceux qui manifestent leur intérêt pour la mauvaise gouvernance et ne s’agitent que lorsqu’il s’agit de rejeter la responsabilité de tous les maux du pays sur les multinationales, les pays étrangers ou encore la colonisation. 

Pour la résistance peut-être faudra-t-il compter plus sur les tonitruants jeunes chanteurs que sur nos inaudibles intellectuels.

Jean-Marie Lelo Diakese 

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