Lueur d’espoir pour l’Afrique

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

De « grands » noms de la politique congolaise lisent, sans intervenir ou peut être en intervenant sous des pseudonymes, les écrits sur ma vision de la démocratie publiés dans l’espace « Opinion & débat » de Congo Indépendant. Le 6 juin dernier, l’un d’eux, qui a malheureusement requis l’anonymat, a réussi à avoir je ne sais comment mon adresse email privée et m’a écrit ce message laconique: « Cher compatriote, vous n’êtes pas seul dans votre combat. Bonne audition de la pièce jointe! ». En relisant le « grand » nom de l’expéditeur du courriel, j’ai d’abord cru qu’il s’agissait d’une bonne blague. Mais après quelques échanges, je me suis rendu à l’évidence. J’ai alors ouvert la pièce jointe.

Notons au passage qu’il y a quelques années, un autre « grand » nom aujourd’hui l’une des figures de proue de la coalition CACH avait contacté le rédacteur en chef de ce journal en ligne pour demander si je pouvais travailler avec lui alors qu’il traversait le désert appelé opposition. Compte tenu de mon engagement professionnel et de son adhésion à la démocratie des singes, la réponse ne pouvait qu’être négative. Plus tard, un deuxième « nom », l’une des têtes d’affiche de l’actuelle coalition LAMUKA, m’avait écrit pour m’informer qu’il voyait les choses de la même manière que moi. On s’était promis de rester en contact sans plus.

Dans cet article, je voudrais partager le contenu du document vocal que j’ai reçu ainsi que le bonheur qui fut le mien de découvrir que pendant que nos masses continuent à se ranger derrière des marchands d’illusions en matière de démocratie ou de bonne gouvernance, des intellectuels africains éclairés remettent en cause le modèle politique occidental dans le but de transformer tôt ou tard le visage de l’histoire tourmentée du continent.

Le document, qui n’est pas daté, est une interview du professeur PLO Lumumba. Je dois avouer que je ne le connaissais pas. Il avait accordé l’interview à la chaîne de télévision ougandaise NBS, vraisemblablement lors d’une visite à Entebbe et au cours d’une période marquée par la bipolarisation de la vie politique kényane incarnée par Raila Odinga et Uhuru Kenyatta. Comme jadis au Congo, le duel quasi-personnel, toujours au nom de la démocratie, entre Mobutu et Tshisekedi, duel aux conséquences néfastes pour le peuple alors qu’au sujet de la démocratie, les deux individus étaient des nains sur le plan du savoir.

Quand on google son nom, on apprend que PLO Lumumba, de son vrai nom Patrick Loch Otieno Lumumba, est un Kenyan né en 1962 et qui a été directeur de la Commission anti-corruption de son pays, de septembre 2010 à août 2011. Depuis 2014, il est directeur de la Kenya School of Laws. Avocat éloquent, Lumumba est titulaire d’un doctorat en droit de la mer de l’Université de Gand en Belgique. C’est également un panafricaniste convaincu qui a prononcé plusieurs discours percutants recommandant des solutions africaines aux problèmes africains.

L’interview s’ouvre sur une question concernant la bipolarisation ci-dessus qui, depuis des années, semble résumer à elle seule toute la politique kényane. Lumumba enchaîne directement en indiquant qu’il s’agit là de la croyance erronée des Africains pour qui leurs leaders sont des messies comparables à Moïse tenant un bâton dans sa main et fendant en deux la mer rouge. Il poursuit que dans son entendement à lui, la démocratie est une compétition des idées et ceux qui ont des idées mettent celles-ci sur la place publique pour que les populations fassent leur choix. Malheureusement, note-t-il, dans plusieurs pays africains, nous fondons nos espoirs sur des élans ethniques et des individus élevés au rang des dieux. Et quand nous choisissons un tel chemin, poursuit-il, nous devons en payer les conséquences. Il développe son idée en martelant que quand nous traitons des êtres humains comme des dieux, ils commencent à penser qu’ils sont des dieux, se comportent comme des dieux, s’imaginent qu’ils ne peuvent qu’être bons et nous en payons les conséquences. L’Afrique se comporte ainsi, s’insurge-t-il, avant de conclure que nous continuerons à nous comporter ainsi jusqu’à ce que nous soyons en mesure d’ouvrir enfin nos yeux. Notons à ce sujet qu’au Congo, par exemple, un homme arrivé au pouvoir dans des conditions abracadabrantesques, pour ne pas dire honteuses, est déjà qualifié de Josué puisque son père, un illustre et populaire marchand d’illusions, fut qualifié de Moïse Sauveur.

Deuxième question du journaliste. La démocratie a-t-elle un futur en Afrique ou constitue-t-elle un concept inapproprié pour le continent africain? PLO Lumumba fulmine. Qu’est-ce que cette chose appelée démocratie? Il fait observer qu’en Afrique, nous laissons les Européens de l’Ouest définir pour nous ce que doit être la démocratie; que la démocratie doit signifier organisation des élections tous les cinq ans; que la démocratie doit signifier création des partis politiques; que la démocratie doit être endossée par l’Europe de l’Ouest et l’Union Européenne après chaque cycle électoral. Il conclue alors que nous devons nous demander ce qu’est la démocratie. Pour lui, la démocratie est la participation du peuple dans la prise des décisions concernant la gouvernance étatique. A cet égard, il se demande s’il est possible pour nous Africains de définir pour nous-mêmes ce que c’est que la démocratie dans le mesure où cela signifie participation du peuple. Il s’emporte enfin en constatant que l’Afrique autorise à ce que nous Africains soyons définis par d’autres peuples; ce qui lui fait de la peine, avoue-t-il, et qui explique notre tragédie.

Au regard de ce qui précède, le journaliste demande si l’Afrique a la capacité de se définir elle-même quand on pense aux injustices subies sous l’époque coloniale, au niveau élevé de pauvreté et à la dépendance à l’aide extérieure. PLO Lumumba note que nous ne sommes pas les seuls à avoir été colonisés; que les Indiens l’ont été; qu’on retrouve des éléments de colonisation chez les Chinois; et que les Coréens ont été également colonisés. Il appelle alors les Africains à se libérer de l’argument selon lequel la colonisation et la traite des esclaves ne peuvent pas sortir de notre manière de penser. Pour lui, l’Afrique a la capacité de se prendre en charge. Il affirme qu’il y a suffisamment d’Africains qui en parlent dans différents coins du monde. Mais, se lamente-t-il, en Afrique, en dépit des meilleures intentions des meilleurs d’entre nous, nous sommes incapables de laisser à ces dignes fils et filles du continent l’opportunité de le servir. Il précise qu’il y a des hommes et des femmes qui savent ce qu’il faut faire, mais nous Africains à travers nos masses critiques, nous n’entendons pas leur voix.

Quatrième et dernière question. Parlons maintenant du concept de parti politique en Afrique. Que pensez-vous des partis qui existent? Contribuent-ils à l’essor de ce que nous appelons démocratie? Réponse de PLO Lumumba. D’abord, avons-nous seulement des partis politiques en Afrique? Il y a très peu de formations qui constituent ce qu’on appelle partis politiques. Chama Cha Mapinduzi en Tanzanie est un parti politique. L’ANC en Afrique du Sud est un mouvement de libération converti en parti politique. Il en est de même du FRELIMO au Mozambique et du MPLA en Angola. « Mais », il fallait s’y attendre, PLO Lumumba poursuit son envolée avec un « mais ». Dans plusieurs pays, dit-il, nous avons des formations appartenant à des individus et s’affirmant avec force comme des partis politiques mais sans idées et qui s’engagent dans des processus électoraux tous les cinq ans. Notons au passage que j’ai toujours qualifié ces formations de « coquilles vides » ou « ligablo ». L’orateur talentueux enseigne alors que les partis politiques sont sous-tendus par des idéologies claires donnant une indication claire sur la qualité de vie de la population dans ses différentes facettes. A cet égard, PLO Lumumba souligne que nous devons nous demander si les partis politiques africains méritent cette dénomination dans le sens classique du terme. Puis, il donne sa réponse: très peu de partis le méritent.

En matière de gouvernance démocratique, l’Afrique avec ses « grands » hommes politiques vit encore dans les ténèbres, près de six décennies après les indépendances. Mais une lueur d’espoir pointe progressivement à l’horizon. Si à la fin des années 60 le Recteur de l’Université Lovanium (l’actuelle Université de Kinshasa), Mgr Tshibangu Tshishiku, qui deviendra plus tard le Recteur (magnifique) de l’Université Nationale du Zaïre (UNAZA), se demandait « où étaient nos penseurs […] qui portent leur regard sur les différents aspects de notre vie […] et en tirent une lumière, répondent à nos investigations et nous indiquent les voies pour nous réaliser authentiquement »; s’il priait pour que « de tels représentants de la société se produisent pour que nous ne soyons pas perpétuellement des suiveurs et que d’autres continuent à penser et à assurer notre société pour nous », force est de constater aujourd’hui que les dignes fils et filles de l’Afrique sont déjà nés.

 

Par Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

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