Baudouin, Kasa-Vubu et Lumumba

Wina Lokondo

J’étais âgé de six mois lorsque le Congo accédait à l’indépendance en 1960. J’ai pris l’habitude, depuis que j’ai atteint l’âge de lucidité, de lire et relire les trois discours historiques et fondateurs du nouvel Etat du Congo. Depuis quelques années, YouTube, par l’image et le son, me fait la gentillesse d’épargner à mes yeux l’exercice, à la fois pénible et agréable, de parcourir des lignes de textes dactylographiés. Mes oreilles prennent de temps en temps le relais. J’ai ainsi écouté, une fois encore, les yeux fermés et avec délectation, étendu sur le divan, les messages adressés aux Congolais le 30 juin 1960 par le roi Baudouin, souverain jusqu’à cette date de l’Etat du Congo, par Joseph Kasa-Vubu et par Patrice Lumumba, fraîchement devenus président de la République et premier ministre du pays. De beaux discours. L’histoire de la colonisation y est résumée, dans ses lumières et ses ombres, par les trois allocutions en moins de 45 minutes, temps additionnés de chacune. Je recommande vivement aux Congolais et aux Belges de les écouter et de les réécouter. Il serait souhaitable, pour la compréhension de cette tranche de notre passé, que les gestionnaires de la radio-télévision nationale (la Rtnc) daignent diffuser, tous les 30 juin, les trois discours, en leur entièreté. Le jour de l’indépendance du Congo ne doit se réduire aux seuls propos de Patrice Lumumba. L’histoire est faussée lorsqu’elle s’écrit politiquement, à tri, à sens unique, quand des faits importants sont escamotés.  

Les discours de Baudouin et de Lumumba ont eu plus d’écho et ont longtemps éclipsé celui de Kasa-Vubu pourtant mesuré et plein de sagesse. Taxés, par les Congolais, d’un côté, et par les Belges, de l’autre, d’inacceptables, d’inappropriés pour la circonstance, il a été reproché à celui du souverain belge d’avoir été « paternaliste », et « offensant et téméraire » celui de Lumumba. Les deux personnalités ont tout simplement dit, chacun de son point de vue, ce que les uns et les autres n’auraient pas voulu entendre : la vérité. Baudouin a dit, a vanté, ce que son arrière-grand-père, le roi Léopold II, ainsi que ses compatriotes ont réalisé au Congo. Il a peint en rose la colonisation, la mission « civilisatrice ». Ne fut-il pas dans son rôle de le rappeler, de le dire ? Aurait-on souhaité qu’il se fît hara-kiri en pourfendant l’œuvre de ses aïeux, de ses sujets, de son pays ? Lumumba a, pour sa part, présenté le côté noir, triste, violent de la domination des « Blancs » sur les Congolais, sur les « Noirs », avec des mots appropriés, francs. Doit-on lui en tenir rigueur, lui qui en a subi les dures réalités dans son âme et dans sa chair, comme ses millions de compatriotes?

Les trois orateurs du 30 juin 1960 ont tous invité les Congolais, la « liberté » acquise, à faire du Congo un « pays plus beau qu’avant ». Avons-nous, 62 ans après, été à la hauteur des héritages qui nous ont été légués, des espoirs de notre peuple ? Avons-nous fait mieux que le colonisateur belge en termes de progrès économiques et sociaux, de respect des droits humains ? A-t-on donné du travail au plus grand nombre de Congolais ? Ces derniers sont-ils bien rémunérés ? Sont-ils bien logés ? Parviennent-ils à bien nourrir, à bien scolariser et à bien vêtir leurs enfants ? Les violences (chicote, matraque, tueries, emprisonnements pour opinions émises, insultes des forts envers les faibles, discriminations raciales et ethniques,…) ont-elles cessé ? Les Congolais se respectent-ils ? Traitent-ils avec respect ceux qui sont à leur service, sous leur autorité ? Les vouvoient-ils, comme l’aurait souhaité Patrice Lumumba ? Faille-t-il encore s’offusquer de la ségrégation entre Blancs et Noirs qui prévalut durant la colonisation quand le Congolais tient, au 21è siècle, son compatriote pygmée – noir de peau comme lui – pour un sous-homme avec lequel il ne peut ni se marier ni partager un repas à une même table ? Les Congolais d’aujourd’hui devraient-ils continuer à exhiber les images de « mains coupées », à ressasser les récits de « millions » de leurs ascendants tués par le colonisateur quand ils n’hésitent pas, à la moindre occasion, à s’écharper, à recourir à la machette, à violenter sexuellement de jeunes et de vieilles femmes, à emprisonner leurs compatriotes pour divergences idéologiques et politiques ? Etait-ce l’indépendance rêvée le « surenrichissement » indu d’une minorité de Congolais et le révoltant appauvrissement de la majorité ? Etait-ce l’indépendance rêvée les tirs à balles réelles qui répriment toutes les semaines des manifestations pacifiques à travers nos villes, nous rappelant la répression par les colons de diverses jacqueries des Congolais, notamment le mécontentement des Kinois de 4 janvier 1959 ? Les tueries de Kamuena Nsapu au Kasaï Central, les récurrents et insoutenables massacres à l’Est du Congo perpétrés par des « Noirs » sur des « Noirs » ? Etait-ce le Congo vivement souhaité « libre » les intolérances politiques, raciales, ethniques et religieuses que nous vivons tristement aujourd’hui et qui sont les causes fondamentales de nos malheurs, notamment des guerres actuelles dans notre pays ? A-t-on donné, 62 ans après, un sens, une réalité au cri « plus jamais tout ça » fortement lancé le 30 juin 1960 par tous, avec grand espoir d’une autre, paisible et meilleure vie ?

Wina Lokondo

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