La révision des contrats miniers

Gaston Mutamba Lukusa

Quand on se trouve à Lubumbashi, Likasi, Kolwezi, on est frappé par la misère alors que cette région a produit plus de 1,5 millions de tonnes de cuivre et près de 80 mille tonnes de cobalt l’année passée. La route reliant Lubumbashi à Kolwezi en passant par Likasi est encombrée de camions remorques appelés familièrement trucks. Ils transportent les minerais vers le Sud (Zambie, Afrique du Sud). Pour une meilleure gouvernance, la production minière doit plutôt être évacuée par le chemin de fer du Sud ou par Lobito (Angola), d’où la nécessité de le réhabiliter. C’est moins coûteux. Cela permet aussi un meilleur contrôle et une diminution de la fraude. Aux alentours de Likasi, dans la localité de Kapolowe, dont le lac était très poissonneux, personne ne vous propose du poisson. Les acides utilisés pour le traitement des minerais ont pollué le lac et tué les poissons. D’ici 20 à 30 ans, quand les minerais seront épuisés, la contrée n’aura comme héritage que des lacs et rivières pollués ainsi que des trous béants d’où avaient été extraits le cuivre et le cobalt. La misère sera toujours plus omniprésente. Depuis la fin du régime de Mobutu en 1997, la quête est de faire profiter à la population des bienfaits des richesses naturelles du pays. Dès avril 2002, les délégués au Dialogue inter-congolais de Sun City (Afrique du Sud) furent préoccupés par la signature des contrats léonins dans le domaine minier et le bradage du patrimoine national. Ils prirent la résolution d’examiner la validité des conventions économiques et financières signées pendant la guerre, soit à partir de 1996. Leurs préoccupations étaient « d’établir la vérité et les responsabilités, d’évaluer les dégâts économiques et financiers causés à la république par les guerres, de réhabiliter le peuple congolais dans ses droits légitimes et de sauvegarder des intérêts supérieurs, d’arrêter l’hémorragie des richesses du pays, de mettre fin aux irrégularités et à l’impunité et enfin de jeter les bases de l’Etat de droit au Congo ». Ces inquiétudes furent amplifiées avec la publication, en octobre 2002, du Rapport final du Groupe d’experts des Nations unies sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres formes de richesses de la RD Congo. Ce rapport dénonce le pillage systématique des ressources minérales et autres ressources naturelles de l’Est du pays par les Etats belligérants impliqués et par les forces rebelles. A la suite de tous ces rapports, une commission d’enquête parlementaire fut mise en place à Kinshasa.

La commission d’enquête parlementaire congolaise

Palais du peuple, siège du Parlement congolais

La commission d’enquête parlementaire est connue sous le nom de Commission Lutundula. Sa mission était « d’inventorier toutes les conventions susvisées, de les examiner, d’en évaluer l’impact financier et enfin, de valider ou de rejeter lesdites conventions ». Ses travaux ont nécessité des investigations tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Le rapport de la commission fut achevé en juin 2005, mais il n’a jamais été débattu en plénière à l’Assemblée nationale malgré les insistances tant intérieures qu’extérieures. Des pressions avaient été exercées par le président Joseph Kabila pour que ce rapport ne soit jamais débattu en plénière à l’Assemblée nationale. Ce rapport démontrait que la réhabilitation de l’autorité de l’Etat sur toute l’étendue du territoire national restait une utopie. Tout le pays était confronté à une mauvaise gouvernance économique. Des cas de corruption, de ponctions d’argent dans les caisses des entreprises publiques ainsi que de détournements des deniers publics étaient monnaie courante. Des contrats léonins dans le domaine minier avaient été signés. Le patrimoine national avait été bradé. Dans chacun des cas, la Commission avait fait des recommandations qui allaient jusqu’à la mise en accusation devant la justice congolaise des personnes et des sociétés incriminées. Aucune suite ne fut réservée aux travaux de la commission d’enquête parlementaire.

Le Code minier de 2002

Pour favoriser les investissements étrangers au lendemain de la chute de la production minière, le secteur des mines fut libéralisé avec l’appui de la Banque mondiale. Une nouvelle aire débuta en 2002 avec la promulgation du Code minier et du Règlement minier. Ceci ouvrit le secteur à des investissements privés. Ce qui a permis aux sociétés minières de se développer. De manière générale, le code minier promulgué le 11 juillet 2002 favorise la participation du secteur privé dans les activités minières. Il limite le rôle de l’Etat à celui d’autorité réglementaire, en dépit du manque de capacité du gouvernement à faire respecter les normes environnementales et sociales par les entreprises privées. Bien plus, il réduit certaines taxes sur l’exploitation minière qui ont fourni dans le passé une importante source de revenus au gouvernement. Il assouplit certaines exigences concernant la transformation du minerai par des sociétés locales. Il en est de même de l’utilisation de la main-d’œuvre et des fournisseurs locaux ainsi que la fourniture de biens publics. Le Code minier de 2002 a aussi instauré une clause de stabilisation du régime fiscal, douanier et de change sur une période de dix ans. Cette disposition garantit aux investisseurs une sécurité juridique. Malgré la promulgation du Code minier, des entreprises minières se sont retrouvées envahies par des exploitations minières artisanales illicites qui ont écrémé plusieurs gisements destinés à l’exploitation industrielle. Ce, malgré l’institution de quelques zones d’exploitation artisanale par l’autorité minière du pays. Les mesures entreprises par la mise en application du Code minier en vue de la restructuration et de la libéralisation du secteur minier n’ont pas donné tous les résultats escomptés. La croissance du secteur extractif n’a pas généré de recettes fiscales et douanières importantes, ni une forte augmentation des réserves de devises étrangères. L’application du code minier a parfois conduit à la confiscation des terres des paysans et à l’expropriation sans contrepartie des concessions minières des entreprises publiques au profit de nouvelles sociétés minières privées, à la fraude généralisée et aux contrats léonins au détriment de l’Etat. La plupart des contrats miniers signés avec les entreprises publiques et l’Etat congolais ont conduit au bradage et à la spoliation du patrimoine minier de l’Etat. La faible contribution des recettes minières au budget de l’Etat provient du fait que le Code minier a été mal négocié et privilégie les sociétés étrangères. D’autres difficultés sont dues au fait que le code minier n’a jamais été entièrement appliqué. L’administration minière censée encadrer l’application du code minier n’a pas reçu les moyens conséquents. Elle souffre aussi d’un déficit de formation. Ainsi, certains opérateurs miniers se sont impliqués dans des fraudes massives à l’exportation des minerais.

La revisitation des contrats miniers

Martin Kabwelulu Labilo

Le 20 avril 2007,  le ministre des Mines, Monsieur Martin Kabwelulu, a mis en place une commission gouvernementale chargée de la revisitation des contrats miniers. Elle s’est vu assigner les missions suivantes:

  • Examiner les contrats de partenariat conclus par l’Etat et/ou les entreprises publiques ou d’économie mixte avec les investisseurs privés dans le secteur minier et leur impact sur le redressement des entreprises publiques et le développement national;
  • Proposer, le cas échéant, des modalités de leur révision en vue de corriger les déséquilibres ainsi constatés et les vices y rattachés.

La revisitation a porté sur 63 contrats. Il s’agit des contrats passés entre des entreprises publiques et semi-publiques et des opérateurs privés dont les termes ont été jugés défavorables à l’Etat congolais et dont on soupçonne certaines autorités d’avoir reçu des pots-de-vin. La commission est arrivée à la conclusion que « l’instabilité politique que connaît le Congo de 1997 à ce jour, et malgré l’existence d’un code minier promulgué en 2002, a conduit la Gécamines à conclure des contrats totalement déséquilibrés avec non pas des institutions bi ou multilatérales, mais avec des intermédiaires pour la plupart non professionnels, avec des adresses bancaires dans des paradis fiscaux. Une fois ces contrats léonins signés et sous prétexte des conditions politiques difficiles dans lesquelles le pays était plongé, aucun début d’exécution de travaux n’est constaté. Au contraire ces partenaires à la moralité douteuse recourent au cas de force majeure pour prétendre au non-démarrage de la production ». Ainsi, la plupart de tous ces contrats miniers signés avec les entreprises publiques et l’Etat congolais ont conduit au bradage et à la spoliation du patrimoine minier de l’Etat, avec la complicité soit des hautes autorités de l’Etat, soit avec les responsables des entreprises elles-mêmes. Comme la plupart des mines avaient été cédées à vil prix, certaines sociétés étrangères ont revendu à leur valeur réelle les titres miniers à des tiers, empochant au passage des plus-values considérables lors du boom des matières premières. La population n’en a pas profité. Après sa fragmentation, la Gécamines ne retire presque rien des partenariats signés avec les sociétés étrangères. Il y a donc lieu de revoir tous les contrats de joint-venture. Il faut procéder à la valorisation des concessions de la Gécamines et à la révision des contrats pour protéger les intérêts de la République.

Les contrats avec un groupement d’entreprises chinoises

Comme l’auteur de ces lignes l’avait déjà mentionné dans ces colonnes, le 22 avril 2008 fut signée à Pékin, la Convention de collaboration entre la République démocratique du Congo et un groupement d’entreprises chinoises (China Railway Group Limited et Sinohydro Corporation). Ces contrats furent présentés comme un partenariat gagnant-gagnant contrairement aux contrats signés avec les entreprises occidentales. Ils portaient alors sur une valeur de neuf milliards de dollars. Finalement, ces contrats furent révisés à la baisse soit à six milliards de dollars sous pression du FMI qui était préoccupé par la soutenabilité de la dette. Sur les six milliards, trois milliards de dollars devaient être consacrés à la construction des infrastructures et trois milliards pour la relance du secteur minier. Ces contrats comprennent deux volets. Il y a un volet minier, assuré par une joint-venture, dénommée la Sino-congolaise des mines (SICOMINES), associant le groupement d’entreprises chinoises cosignataires de l’accord sino-congolais (China Railways et Sinohydro) et la Gécamines. Aux termes de l’accord, la Gécamines a cédé à la joint-venture plusieurs titres miniers portant sur des gisements situés à Kolwezi, contenant jusqu’à 10,6 millions de tonnes de cuivre, dont 6,8 millions confirmées, et du cobalt. L’investissement minier de la SICOMINES est financé par un prêt de 3,2 milliards accordé par la China Eximbank, dont les deux tiers sont soumis à un taux d’intérêt de 6,1 %, le dernier tiers étant consenti à un taux d’intérêt nul. Le deuxième volet des contrats portait sur les infrastructures, notamment de transport, auquel devaient être consacrés 3 milliards de dollars. Il s’agissait de la construction de 3.600 km de routes asphaltées, de la réhabilitation de plus de 2.000 km de voies ferrées et de la réalisation de 800 km de nouvelles voies, ainsi que la construction de logements, d’infrastructures de santé, d’écoles, d’universités, de deux centrales hydro-électriques. C’est la China Eximbank qui devait accorder le prêt équivalent au montant des investissements requis. Le remboursement du prêt incombait à la SICOMINES à partir des bénéfices dégagés des activités minières. En définitive, il s’agissait en fait d’un troc « minerais contre infrastructures ». C’est en novembre 2015 que la première cathode de cuivre fut produite par SICOMINES. Tout compte fait, il y a lieu de se demander où sont passés les investissements prévus dans les contrats de 2008 avec le groupement d’entreprises chinoises, notamment dans les infrastructures. Il n’y a rien de visible sur le terrain. Suivant le Bureau de coordination et de suivi du programme sino-congolais, avant sa construction et sa mise en production, la SICOMINES a financé 12 projets d’infrastructures avec une enveloppe de 800 millions de dollars de décaissés, à savoir: Hôpital du cinquantenaire, Esplanade du Palais du peuple, Boulevard du 30 juin, Route Kasomeno et de petits travaux d’infrastructures. Ces contrats ont lourdement endetté la Gécamines, donc l’Etat congolais. A ce jour, c’est l’Etat congolais qui rembourse les prêts et non SICOMINES comme prévu. Il y a eu accroissement de l’endettement envers la Chine du fait de ces contrats. L’encours de la dette due à ce pays avoisine les 20% du portefeuille de la dette courante du fait principalement de l’emprunt SICOMINES. Il reste encore à déterminer le montant global que les investisseurs chinois ont réellement décaissé pour financer le projet SICOMINES. Pour le financement des infrastructures, l’argent n’a pas transité par le Trésor public mais par SICOMINES qui déboursait par la suite de petites sommes pour des projets d’infrastructures spécifiques. Suivant le Centre Carter et le FMI, la SICOMINES a perçu, entre 2008 et 2014, 1,163 milliards de dollars à dépenser pour les infrastructures. Sur ce montant, moins de 500 millions de dollars ont réellement été utilisés pour financer les projets d’infrastructures. Ces contrats doivent être revus. Ils sont pas du tout transparents. Ils ne sont pas non plus gagnants gagnants. Ce sont les Chinois qui en tirent le plus de bénéfices. Le projet jouit d’exonérations fiscales et douanières totales. Même les visas des travailleurs chinois sont gratuits, suivant une loi qui avait été votée au Parlement.

Le nouveau code minier

Le nouveau code minier fut promulgué le 9 mars 2018. L’objectif primordial de la révision du Code minier fut de faire des mines un véritable moteur de développement du pays, en s’assurant que l’Etat et les communautés locales tirent des profits équitables de l’exploitation minière. Le code minier se veut non seulement incitatif et attractif, mais aussi un code minier gagnant-gagnant, ou mieux d’un code minier rémunérateur pour tous, à savoir l’Etat, les investisseurs et les communautés locales. Le nouveau texte prévoit notamment une augmentation des taux de la redevance minière, l’instauration du paiement des droits proportionnels de 1% en cas de cession d’actif minier, la réduction de la durée de validité des permis d’exploitation de 30 ans à 25 ans, la répartition du paiement du pas de porte à concurrence de 50% pour la société minière du portefeuille de l’Etat et 50% pour l’Etat, le rapatriement de 40% des recettes d’exportation sous peine d’amende de 5% du montant non rapatrié, la garantie de stabilité du code minier révisé est ramené de 10 à 5 ans. Aussi, le taux des parts du capital social à céder à l’Etat par la société minière passe de 5% à 10% non-diluable.

Il est trop tôt pour revoir le nouveau code minier. Les sociétés minières qui s’étaient opposées à la révision du code, vont contester toute nouvelle augmentation des impôts, taxes et redevances. Les sociétés seront incitées à reporter leurs investissements. Les nouveaux investisseurs potentiels seront contraints d’orienter leurs choix d’investissements vers des juridictions dont le régime fiscal est plus équilibré. Le Congo dispose certes d’une géologie attractive. Mais il est compté parmi les pays les moins attractifs en termes d’investissements couplés avec des coûts opérationnels élevés. Il faut donc d’abord appliquer intégralement le nouveau code minier et l’évaluer avant de songer à le modifier.

 

Gaston Mutamba Lukusa

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