Meurtre de l’ambassadeur Luca Attanasio: Le mystère s’épaissit!

Une semaine après le meurtre de Luca Attanasio, ambassadeur d’Italie au Congo-Kinshasa, les circonstances exactes de la mort de ce diplomate demeurent énigmatiques. La règle d’or en matière de « communication de crise » – à savoir, dire la vérité, toute la vérité – n’a pas été respectée tant du côté congolais que de PAM et de la Monusco. D’aucuns n’hésitent pas à avancer l’hypothèse selon laquelle « Luca » a été victime d’un crime de type mafieux.

Les spectateurs de l’émission « Kiosque » du CCTV (Canal Congo Télévision), du jeudi 25 février, n’ont pas manqué de tressaillir en entendant un des invités, en l’occurrence le journaliste Innocent Olenga, clamer haut et fort que Luca Attanasio fut un « ambassadeur sulfureux ». L’épithète « sulfureux » signifie ce qui contient du souffre. Sur le plan littéral, cet adjectif renvoie à ce qui évoque le « démon » et « l’enfer ».

Il importe d’ouvrir une parenthèse. Le 20 septembre 2006, la terre entière a suivi le leader vénézuélien Hugo Chavez quand il faisait le signe de la croix au moment où il succédait au président américain d’alors, Georges W. Bush, à la tribune de l’Assemblée générale de l’ONU. « Ça sent le soufre », ironisait-il provoquant l’hilarité générale. Fermons la parenthèse.

Rédacteur en chef du journal en ligne kinois « scooprdc », Olenga – qui est un ancien agent contractuel de la Monusco – ne cachait pas son étonnement de constater que le véhicule de transportant le diplomate italien et son garde du corps Vittorio Iacovacci « a été ciblé » mais pas celui dans lequel se trouvait le représentant du PAM (Programme alimentaire mondial) à Goma. Après avoir abattu le chauffeur du PAM, Mustapha Baguma Milambo, les assaillants ont forcé le diplomate et son garde du corps à les suivre. La suite est connue avec l’échange des tirs fatal.

QUI A « TRAHI » ET « VENDU » LE DIPLOMATE ITALIEN?

L’ambassadeur Luca Attanasio, agonisant

A Rome, la veuve Attanasio, née Zakia Seddiki, a accordé des interviews à deux grands journaux italiens. C’est le cas notamment de « Il Messaggero » et de « Il Corriere della sera ». « Luca a été trahi par quelqu’un qui nous est proche, proche de notre famille », a-t-elle déclaré. Sans toutefois donner l’identité du « suspect ». Selon elle, il s’agit de « quelqu’un » qui connaissait les déplacements de son mari et qui « a parlé, l’a vendu et l’a trahi ». Devrait-on déduire que le diplomate italien effectuait une « mission secrète » au Nord-Kivu? Quel en était l’objet? Qui l’a « vendu »? Qui l’a « trahi ». Auprès de qui a-t-il été vendu et trahi? Pourquoi? Mystère!

Dans une note verbale datée du 15 février 2021, l’ambassadeur avait pris soin d’informer le ministère congolais des Affaires étrangères de son déplacement. « Sous réserve de ses lois et règlements relatifs aux zones dont l’accès est interdit ou réglementé pour des raisons de sécurité nationale, l’Etat accréditaire assure à tous les membres de la mission la liberté de déplacement et de circulation sur son territoire », stipule l’article 26 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques. Les Etats restent souverains sur leur territoire.

Durant la Guerre froide, les diplomates originaires des pays du « Bloc soviétique » étaient soumis à des « restrictions » de circulation. C’était le cas au Zaïre de Mobutu Sese Seko. Les diplomates occidentaux étaient exemptés.

Dans ses mémoires (Un ambassadeur russe à Paris, éditions Fayard, 2020, p. 69), l’ancien ambassadeur de Russie en France, Alexandre Orlov, écrit notamment que dans les années 70 « les diplomates soviétiques pouvaient librement circuler à Paris et dans un rayon de 50 kilomètres autour de la capitale (…). Si on voulait aller plus loin, il fallait envoyer au Quai d’Orsay, deux jours ouvrables avant le départ, une note verbale avec l’indication de l’itinéraire exact du voyage, des villes et des noms d’hôtels où l’on devait passer la nuit ».

A Kinshasa, l’ambassadeur Attanasio avait certes informé les autorités diplomatiques congolaises de son déplacement. Sauf que dans la rubrique « motif du voyage », on peut lire: « Visite à la communauté italienne à Goma et Bukavu ». Dates: du 19 au 24 février 2021.

RÈGLE D’OR EN « COMMUNICATION DE CRISE »

Ministère des affaires étrangères

Dans une mise au point daté du 27 février, le directeur du Protocole d’Etat, Banza Ngoy Katumwe, reconnait que l’ambassadeur italien lui avait rendu visite le même 15 février au ministère congolais des Affaires étrangères. Le diplomate lui avait annoncé « que ce voyage n’aurait plus lieu ». Et qu’une note annulant la première « serait transmise à la direction du Protocole d’Etat ». Ladite note n’est jamais arrivée. Pourquoi le directeur Banza le fait savoir après la circulation de la note de l’ambassade d’Italie sur les réseaux sociaux?

Grande a été la « surprise » des autorités congolaises, au sens le plus large, d’apprendre, « par les réseaux sociaux, que l’ambassadeur a été assassiné » le lundi 22 février sur le tronçon Goma-Rutshuru. Question: Que faisait le diplomate italien à Kiwanja, l’ex-fief du CNDP (Congrès national pour la défense du peuple) de Laurent Nkunda? Pourquoi la direction du Protocole d’Etat s’était-elle abstenue d’appliquer la règle d’or de la « communication de crise » en disant toute la vérité par la divulgation de ce « pan » de la tragique histoire? Pourquoi a-t-elle attendu la date du 27 février pour avouer qu’elle avait reçu la note verbale de l’ambassadeur italien soit cinq jours après la mort de celui-ci? Pourquoi la ministre des Affaires étrangères Marie Tumba Nzeza s’est-elle gardée de faire état de l’existence de ladite note? Pourquoi le « dircaba » du ministre de l’Intérieur s’était-il empressé d’imputer ce crime odieux aux rebelles hutus rwandais des FDLR? Des questions qui restent sans réponses.

Revenons aux soupçons exprimés par la veuve Attanasio dans la presse italienne. Se reportant sur « ses sources » au sein de la Mission onusienne au Congo, notre confrère Innocent Olenga rapporte que le « suspect » dont parle la dame Zakia Siddiki ne serait autre que Leila Zerrougui, la patronne sortante de la Monusco.

D’origines maghrébines, les deux dames étaient devenues, selon lui, « très proches ». Se reportant toujours sur ses « sources onusiennes », Olenga de préciser: « (…), c’est dans cette optique que Leila Zerrougui lui [Luca Attanasio] aurait présenté la carte de ce qui se passe dans l’Est de la RDC et comment se faire de l’argent grâce aux minerais ». Scoop ou rumeur? Une certitude: cette version pour le moins rocambolesque ne fait qu’épaissir le mystère. D’une part, sur les circonstances exactes de la mort du diplomate italien. Et d’autre part, sur le mobile du crime.

 

B.A.W.

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